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Ágætís Byrjun

Ágætís Byrjun

Sigur Rós

par Kris le 24 octobre 2006

5

paru le 14 août 2000 (PIAS)

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Toutes ces légendes scandinaves n’étaient donc pas forcément infondées. Ce rêve d’un pays merveilleux au paysage étincelant de mille feux sacrés existe donc bien quelque part. Entre ces verdures éloignées et cette atmosphère si particulière, le petit voyage thérapeutique décide de faire escale du côté de l’Islande. Et quelle escale. Le genre de voyage que l’on n’oublie pas, qui nous met des images plein la tête et qui ne donne qu’une seule intarissable envie : y retourner le plus vite possible. Ágætís Byrjun, chef-d’œuvre contemporain de musique ambiante et de prog-post-rock fondamentale provoque un certain remue-ménage sur la scène rock du moment.

Après un premier album Von qui avait réussi tant bien que mal à s’exporter de la natale Islande, le succès et la confirmation d’un futur grand groupe va venir avec cet album sorti en fin de siècle dernier. Une production beaucoup plus lissée et des chansons à faire rêver le plus maniaque des nihilistes, Sigur Rós parvient en soixante-douze minutes à tutoyer les cieux. Littéralement. Les symphonies légères et fluides se propagent tout au long de l’album pour diffuser leur poudre angélique, pour nous faire miroiter un Walhalla mirifique, comme pour nous emporter de grâce, nous donner les ailes que nous n’avons pas. les Islandais s’improvisent fée Clochette. Les compositions sont d’une précision chirurgicale comme manipulées pour réparer les plus grandes blessures d’un temps, d’une civilisation en perdition.

Ce grand dévalement de lyrisme arc-bouté nous fait ressentir ce grand remplissage intérieur, comme si Sigur Rós était parvenu à recréer ce cocon maternel, tel le fœtus (certes pas très humain) présenté sur la pochette. Les Islandais se sont efforcés de recréer cette sensation de cotonnement, d’isolation existentielle, pour ne plus que garder les choses essentielles de l’existence : la vie, les sentiments, la mort. Oui, la mort. Clairsemé d’une beauté froide apparemment spécifique à la culture nordique, Ágætís Byrjun ne déroge pas à la règle en soufflant cette brise enlaçante et fatalement séduisante. Sorte de grande dame blanche flottant au-dessus de cette nappe musicale ambiante et nuageuse, la grande faucheuse dissémine les graines de sa propre fascination occulte. Comme pour déclarer cette impuissante volonté de rejoindre un ciel plus clément que cette terre dans laquelle nous vivons.

Ágætís Byrjun qui signifie « un bon début » est une de ces claques dont on se relève rarement. Pierre angulaire d’une popularisation, voire même vulgarisation, d’un post-rock abstractif, Sigur Rós nous emmène. Où ? On ne sait pas trop. Voyage initiatique embrumé au sein d’univers parallèles où ne règnent ni ordre ni vertu, les Islandais nous traînent dans les recoins les plus symboliques de la musique. Allégorie remuante d’un monde éthéré, les chansons du groupe valsent tantôt dans des lentes et vastes compositions neurasthéniques (Sven-g-enflar), tantôt dans des gestations telluriques poignantes (Flugufrelsarinn) si ce n’est pas pour plonger dans des fin fonds marins délétères (Starálfur). Sigur Rós est parvenu à ce stade où l’on est plus, où l’art prend le dessus, enfermé dans une chapelle Sixtine créée de toute pièce à l’aide de violons, de guitares, de lignes de basse, de batterie, et surtout d’une voix. Quelle voix. Insidieuse et impénétrable comme les voies du Seigneur, ce chant porté aux nues par ces compositions remarquables, grandiloquentes et teintées d’un lyrisme impressionnant de maîtrise et de grandeur. Qui a dit que le langage était une barrière ?

D’une beauté affolante, ce second album de Sigur Rós est également à ce jour, le point culminant de leur relativement jeune carrière. Il faut bien dire qu’il est difficile d’atteindre de nouveau cette barre qu’ils ont eux-mêmes placé tellement haut. On raconte que Thom Yorke en personne, grâce à qui Sigur Rós a pu se faire connaître internationalement, aurait jeté à la poubelle tous ses travaux qu’il avait en cours, car estimant que ses compositions étaient insignifiantes comparées à celle de ses jeunes protégés. En même temps, on peut se dire que s’il mentionnait Olsen Olsen, perle magnifique dans une huître céleste, on comprend que le Thom ait décidé de se la jouer profil bas. On tremble face à cette fantastique machine à créer des songes, huilée à l’essence angélique et diabolique. On se rend compte que tout discours est inutile, qu’il suffit d’écouter pour comprendre, et que tous les mots du monde ne suffiraient pas à décrire Ágætís Byrjun. Dieu a du sang islandais.



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Tracklisting :
 
1. Intro (1’36")
2. Svefn-g-englar (10’04")
3. Starálfur (6’47")
4. Flugufrelsarinn (7’47")
5. Ný batterí (8’11")
6. Hjartað Hamast (7’11")
7. Viðrar Vel Til Loftárása (10’18")
8. Olsen Olsen (8’03")
9. Ágætís Byrjun (7’56")
10. Avalon (4’00")
 
Durée totale : 71’51"