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par Giom le 12 juin 2007
paru le 21 juin 1968 (Decca)
Un clavier fait résonner des sonorités proches de celles habituellement produites par un accordéon et ainsi commence Bare Wires, album de John Mayall et de son groupe, les Bluesbreakers.
Pour le commun des mortels ou, ce qui revient au même, le grand public, le nom de John Mayall est associé à une chose : le blues. En effet, il est à la source, dans les années 1960, de l’importation et de l’électrification du son et du rythme de cette musique issue du delta du Mississippi. Le british blues boom est donc attaché à la carrière de Mayall qui, avec ses Bluesbreakers au nom si bien trouvé, l’a porté jusqu’à son apogée. Le chef-d’œuvre du genre est bien connu, il s’agit de l’unique disque fait en compagnie d’Eric Clapton, autre pionnier du style blues-rock à l’anglaise, sobrement intitulé Bluesbreakers. Pour reconnaître le disque, traquez une photo où God himself se livre à la lecture d’un comic book.
Le décor est planté donc, Mayall fait du blues-rock et il sait s’entourer pour le faire. Après Clapton viendra Peter Green, future figure de proue de Fleetwood Mac, et par la suite Mick Taylor, le guitariste injustement oublié qui échouera parmi les Rolling Stones alors en plein âge d’or fleurissant avant de se résilier à partir face à la surcharge d’ego du groupe. Trois guitaristes d’exception pour un genre noble comme le blues-rock, l’histoire ne pouvait pas mieux faire les choses.
Pourtant Bare Wires commence par ces sonorités étranges. Et ce n’est pas fini, on entend rapidement et très distinctement des notes de violon, puis des cuivres ! Mais qu’est-il arrivé à Mayall ? A-t-il renié ses idéaux fondateurs d’un genre à partir de 1968 ? Et bien non, il en invente juste un autre, le jazz-blues ou blues-jazz si ça sonne mieux comme cela. Qui dit mieux ?
Rappelons d’abord que Mayall est avant tout issu d’une culture musicale particulière, celle du jazz, puisqu’il était fils de musicien pratiquant ce genre. Ensuite, en 1968, Mayall a fait des Bluesbreakers un septuor, une formation à la palette musicale beaucoup plus riche donc grâce notamment aux deux saxophonistes Chris Mercer et Dick Heckstall qui apportent une touche capitale au disque que nous traitons.
Car, en effet, les possibilités qu’offrent cette nouvelle formule de groupe sont rapidement exploitées sur le disque dès le premier titre homonyme de plus de vingt minutes. Une pièce-maîtresse de la nouvelle esthétique de Mayall en six mouvements faite d’un patchwork de styles et d’ambiances où chacun des musiciens prend à son tour son solo, comme au temps des grands orchestres de jazz justement. On appréciera particulièrement ceux de Taylor, excellent sur l’intégralité du disque de toute façon, et du bassiste Tony Reeves en fin de parcours. La composition passera par une partie un brin mystique accompagnée de percussions débridées et de clameurs de Mayall à la fois enthousiastes et exaltées.
L’auditeur est déjà K.O. par tant de richesses dès cette première piste qui, il est vrai, frappe fort puisqu’il s’agit de la grande œuvre du disque. Le reste sera tout de même d’un très bon acabit, toujours dans cette même veine jazzy. Mayall, sûrement pas le meilleur chanteur des 60s, réussit à émouvoir sur I’m A Stranger, encore une fois très en symbiose avec la double partie de saxo. Taylor fera sonner la wha-wha sur le plus classique du blues-rock No Reply, co-écrit par Mayall et son guitariste virtuose. Ce titre est justement plus dépouillé et l’harmonica fait irruption, comme un symbole de retour aux sources à travers cet océan de bricolages musicaux parfois assez osés.
Car avec Bare Wires, Mayall et son groupe s’essayent à réinventer le style de la rhapsodie musicale, comme au temps des big bands où chacun prend son tour d’improvisation au milieu d’une structure mélodique solide et indestructible. Sur Hartley Quits cependant, Taylor est le seul roi, ne laissant à la place à aucun autre au cœur de cette composition de son cru. Mais les lamentations des vents ne perdront pas leur temps pour refaire surface dès Killing Time, où piano et guitare s’entremêlent une nouvelle fois à merveille. La voix grave de Mayall y pose alors un chant d’amour approprié.
La surprise est également que cette nouvelle formule des Bluesbreakers s’avère étonnamment dansante. Après la rythmique effrénée et le jet de notes de guitare d’ Hartley Quits, She’s Too Young repart à toute allure, comme si Mayall, en comptant ce portrait d’adolescente, reproduisait un air sur lequel son personnage aurait pu se déhancher. Les textes de Bare Wires sont en tout cas très lyriques, veine pas tant que ça exploitée par l’artiste jusqu’en cette année 1968, réalisant donc une double mutation dans la carrière de Mayall et de sa pépite à talents. L’ultime Sandy ne trahira pas cette idée, chanson bordée de bottleneck, dernière occasion pour Taylor de montrer sa polyvalence face à son attribut de prédilection.
Bare Wires est un album peu connu de la bande à Mayall. Vu comme le début de la fin du cycle doré du british bluesman, il est cependant révélateur d’une entreprise de recherche musicale et de brouillage des genres qui saura trouver un écho dans l’avenir. Cela valait donc la peine de le ressortir.
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