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Begin To Hope

Begin To Hope

Regina Spektor

par Béatrice le 22 août 2006

4

paru le 13 juin 2006 (Sire Records/ Warner)

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Begin To Hope, pourquoi pas, même s’il faut bien avouer que Regina Spektor a déjà très largement dépassé le stade d’espoir, et que le moment où on a “commencé à espérer”, en ce qui concerne sa musique, est déjà assez lointain . Et, soit dit en passant, ce titre pas franchement des plus accrocheurs est loin d’être ce qu’il y a de plus intéressant dans le nouvel opus de la New Yorkaise - mieux vaut ça que le contraire.

Ceci dit, quelques ombres de doutes auraient pu assombrir les espérances quant à cet album. En vrac, Regina s’est afflubée du producteur David Kahne (qui a travaillé avec les Strokes et McCartney, mais aussi avec les nettement moins glorieux Sugar Ray ...), elle a ressorti une chanson datant de son premier album, Samson (si excellente qu’elle soit), et a choisi comme single le titre Better, bluette sucrée et un tantinet calibrées FM - bref, on ne peut plus éloignée de ce à quoi elle nous avait habitués. Ceux qui l’ont connu assurant la partie rythmique de Poor Little Rich Boy en tapant sur son piano avec une baguette ont effectivement de quoi être légérement surpris de retrouver la voix toujours aussi indomptable de la chanteuse entourée de boîtes à rythme, réverb’ et autres bidouillages. Donc, on en convient, cet album paraît nettement moins artisanal que les précédents, peut-être un peu moins convivial aux premières écoutes. C’est parfois un peu superflu, voire vaguement irritant (comme sur Edit) mais, de là à en faire toute une histoire et à pleurer l’autenticité qui se cavale comme les jeunes années, il y a plusieurs kilomètres qu’on ne parcourera sûrement pas, et les cinq premières secondes de Fidelity suffiront à faire fuir à tire d’aile tous les doutes plânants, leurs ombres, et le reste, pour ne laisser que l’impression délicieuse de retrouver un lieu familier.

Parce qu’il faut le dire, Regina Spektor n’a absolument rien perdu de son talent de composition débridé et original, ni de sa faculté à chanter comme bon lui semble sans que cela ne sonne jamais à côté de la plaque, et encore moins de son incroyable don pour raconter des histoires tendres et décalées, teintées d’humour et de mélancolie mais dans lesquelles chacun, finalement, se trouve à sa place. On peut regretter que tous cela soit moins mis en avant qu’auparavant, il n’empêche que les doigts de Regina Spektor glissent toujours sur les touches du piano avec la même insolence et que le chant les accompagne toujours avec la même fantaisie, passant de la tristesse à la joie, du sérieux à la naïveté, avec des incartades tantôt vers l’angoisse, tantôt vers une énergie rauque, tantôt vers un flow râpeux, et parfois tout ça en même temps. Brillamment entremêlées parmi les sillons de ce disque bien moins sage qu’il n’y paraît, les ambiances et le humeurs se côtoient, se heurtent, se mélangent, se fâchent, se rejoignent, avec la même fluidité déterminée que les notes et les mots. Et c’est ainsi que, alors que pendant les trois premières chansons somme toute assez paisibles on s’était lové dans une sorte de calme doux-amer, on se retrouve ensuite propulsé à droite et à gauche, un coup plongé dans la tristesse de Field Below qui évoque l’ennui du centre-ville si loin de la campagne (I wish I could see a field below/ I wish I could hear a rooster crow/ But there are none that live downtown), un coup dans l’improbable énumération de souvenirs qu’est That Time, pour immédiatement après subir la répétitive et paranoïque Edit toute en a-coups et en claquements. Regina dépeint personnages et situations impropables avec autant d’ironie que de tendresse dans 20 Years Of Snow, s’amuse avec les mots et les sons dans Hotel Song qui donne une idée de ce que pourrait donner une Camille inspirée et un tant soit peu naturelle et libérée du joug de la conventionalité, ou encore tisse dans On The Radio une drôle d’étoffe de fantaisie poétique et de philosophie naïve qui se conclue en un hommage à November Rain : And on the radio, you hear Nowember Rain/ That solo’s awful long/ but it’s a good refrain. L’ensemble est magistralement interrompu par la diluvienne et tempétueuse Après Moi, situé pile au milieu de l’album et dans laquelle la chanteuse se transforme en une diva prisonnière et clame qu’“Après[elle] le déluge” avant de s’envoler dans une magnifique tirade en russe, nuée déferlante à la fois fantastique et prophétique.

Ce n’est que vers la fin que l’album commence à ressembler à sa pochette et à se teinter de sérieux, s’effilochant doucement et mélancoliquement le long de Lady (hommage à Billie Holiday) puis de Summer In The City. L’instrumentation et la voix se font plus graves, les textes plus sombres, et la musique s’estompe lentement, achevant l’album presque naturellement. Reste que contrairement à ce que l’aspect extérieur du disque semblait nous indiquer, Regina Spektor n’a pas tant changé que ça ; elle reste la même écrivaine à la fois délurée et grave, ingénue et mélancolique, qui réussit encore une fois à construire une oeuvre incroyablement chaleureuse et acceuillante, un peu triste aussi, parce que le ciel est rarement complétement bleu. Drôle tout en restant amer, décalé tout en restant ancré dans le quotidien, joyeux et dépité à la fois, aussi daté qu’actuel, mais toujours plein d’espoir, ce disque évoque autant une balade automnale qu’un vieux film de Woody Allen. Et s’il ne nous fait pas commencer à espérer, il aura au moins le mérite de nous aider à continuer.



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Tracklisting :
 
01. Fidelity (3’47")
02. Better (3’22")
03. Samson (3’11")
04. On The Radio (3’22")
05. Field Below (5’18")
06. Hotel Room (3’29")
07. Après Moi (5’08")
08. Twenty Years Of Snow (3’31")
09. That Time (2’39")
10. Edit (4’53")
11. Lady (4’45")
12. Summer In The City (3’50")
 
Durée totale : 47’15"