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Cowboy In Sweden

Cowboy In Sweden

Lee Hazlewood

par Sylvain Golvet le 2 octobre 2007

4,5

paru en 1970 (Reprise Records)

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On associe naturellement le nom de Lee Hazlewood à Nancy Sinatra, et c’est bien normal puisqu’en cette année 1970 celui-ci jouit encore de la renommée des duos qu’il a enregistrés avec la belle sur Nancy & Lee en 1968. Particulièrement inspiré par ce rôle de Pygmalion, Hazlewood fait de Some Velvet Morning un succès énorme en 1967, tout comme These Boots Are Made For Walkin’ l’année précédente, chanté seule par Nancy. Contrat réussi donc, puisque au départ Lee avait plus ou moins été engagé par papa Frank pour lancer la carrière plutôt pâlichonne de sa petite. Suivra un Nancy & Lee Again en 1972 et même des chansons composées pour Dean Martin. Lee est donc bien intégré dans la bande du Rat Pack et peut-être même un peu trop, puisqu’il semblerait que la relation Lee et Nancy deviennent un peu trop privilégiée. La légende voudrait même que la raison pour laquelle notre ami moustachu s’exile en Suède en cette année 1970 soit un contrat passé sur sa tête par Frank Sinatra lui-même. De fait, la vérité semble bien plus terre-à-terre : Lee part en Scandinavie pour que son fils puisse échapper à son incorporation dans l’armée US en guerre au Vietnam à ce moment-là.

Arrivé en Suède, Hazlewood ne perd pas de temps et se lance dans un projet “multimédia” avec son ami réalisateur Torbjörn Axelman. Ce sera Cowboy In Sweden, un film au départ prévu pour la télévision suédoise et dont l’auteur-compositeur-interprète-producteur se chargera de la musique. Le film étant un peu tombé dans l’oubli audiovisuel (et on le comprend au vu des images du compositeur chevauchant au ralenti sur No Train to Stockholm), nous nous concentrons donc sur cette bande originale, en fait un disque solo pour Lee Hazlewood et sommet d’une carrière bien remplie.

Violoncelle, rythmique country, voix brumeuse entourée de son propre écho et texte plein d’autodérision, Pray Them Bars Away débute le disque dans la pure tradition Hazlewood, qui a beau être les pieds dans la neige n’en a pas moins la tête tournée vers son Midwest natal. Plus que de la pop orchestrale, c’est une ambiance mélangée de rockabilly, de piano-bar et de blues Honky Tonk qui sert de base musicale à ces onze morceaux. Puis, en témoignent le Leather and Lace qui suit ou le magnifiquement mélancolique The Night Before, des arrangements de cordes renversants alliés à une voix féminine nimbée de reverb nappent le tout d’un écrin de tristesse et de classe. [1] On perçoit aussi quelques touches de psychédélisme via deux ou trois parties d’orgue bien senties. Et oui, Lee aime aussi s’entourer de femmes. C’est ici Suzi Jane Hokom et Nina Lizell qui se partagent la tâche de contrebalancer son timbre profond voire d’être la partenaire moqueuse d’un quasi-dialogue vocal tel Hey Cowboy. (Hey cowboy, where did you get the clothes you wear/Hey cowboy, where did you get the funny hair/…/You’re just a toy cowboy).

Ensuite, le climat suédois étant ce qu’il est, la température est propice pour le chanteur aux constats amers (Cold Hard Times). Pourtant on n’échappe pas si facilement à l’Amérique et son contexte guerrier et No Train To Stockholm lui donne l’occasion de réaffirmer ce refus du conflit, il est vrai bien dans l’air du temps de l’époque. Puis, presque pudiquement, c’est une autre voix que la sienne qui se charge de graver le souvenir joyeux de ce doux exil, en témoigne la pochette ensoleillée de l’album. Peut-être aussi parce qu’il sait que toute chose à une fin.

Le contraste voix grave de Lee / voix aérienne de Nina Lizell fait encore des merveilles sur le Vem Kan Sagla qui clôt l’album, comme deux voix ne pouvant être ensemble, séparées par cet écart de ton, de langage (Nina la suédoise chante dans sa langue natale tandis que Lee traduit le texte en anglais, mais décalé). Lee la bohème se voit donc déjà repartir, la douceur de la Suède n’étant peut-être qu’un passage. Et cette chanson traditionnelle du pays lui sert de métaphore mélancolique à sa vie qui ne sera que voyages et départs difficiles.

“Qui peut faire de la voile sans vent ?
Qui peut ramer sans rames ?
Et qui peux quitter son amant
Sans verser de larmes ?
 
Je peux faire de la voile sans vent
Je peux ramer sans rames
Mais ne peux quitter mon amant
Sans verser de larmes.”

Disque court mais riche (30 minutes grand maximum), ce projet sera suivi de quelques autres avec son ami Axelman, puis par des retours plus ou moins réussis aux États-Unis, constituant une carrière arrêtée il y a peu par la mort de son instigateur. Mais plus de trente ans après, ce disque ressorti sur Smells Like Records, label de Steve Shelley (batteur de Sonic Youth de son état) et toute l’œuvre de Lee Hazlewood sont reconduits par un grand nombre de groupes liés à l’americana, de Calexico à 16 Horsepower ou Tindersticks (certains passages de cordes « empruntés »), voire réincarnés presque à l’identique dans le Ballad Of The Broken Seas d’Isobel Campbell et Mark Lanegan. Une réhabilitation méritée pour sûr, pour un disque qui respire la joie d’une parenthèse heureuse et la mélancolie de savoir que cette période comme toute autre aura une fin.



[1Ce n’est pas pour rien que le jeune Phil Spector collait à ses basques de producteur

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Tracklisting :
 
1. Pray Them Bars Away (2’40")
2. Leather And Lace (3’04")
3. Forget Marie (2’02")
4. Cold Hard Times (2’25")
5. The Night Before (3’14")
6. Hey Cowboy (3’20")
7. No Train To Stockholm (2’21")
8. For A Day Like Today (4’01")
9. Easy And Me (2’48")
10. What’s More I Don’t Need Her (3’32")
11. Vem Kan Segla (2’27")
 
Durée totale : 31’48"