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mercredi 15 avril 2015
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par Emmanuel Chirache le 20 avril 2010
paru le 3 avril 2006 (Domino / PIAS)
Si vous êtes à la recherche de la nouvelle star, pointez-vous rapidement chez Domino : là-bas, ils les élèvent en batterie. En trois ans, de 2003 à 2005, ce label indépendant a produit successivement, sans doute en vertu de la théorie du même nom que le label en question, les Kills, Franz Ferdinand et Arctic Monkeys. Trois groupes qui ont marqué tour à tour le renouveau médiatique de la scène rock. Et le pire, c’est que ça continue. Dernière perle signée chez Domino, les Archie Bronson Outfit ont tout pour exploser à la face du monde comme un bouton d’acné purulent sur la peau d’un ado. Seul bémol, leur musique est plus difficile d’accès, plus hermétique, que celle des groupes cités plus haut. Bien que Londoniens, les Archie Bronson Outfit n’ont pas cette british attitude adoptée par leurs collègues, leur rock est américain, terreux, aride, ancré dans le blues. Chez eux, pas de futals moulants, de costumes rétros cintrés, de pulls à cols en V ou de coupe de douilles à la mode Studio Line de L’Oréal, non, juste un cocktail cheveux courts et barbe de mormons ; un look “amishs rockeurs” pas forcément idéal pour attirer les midinettes. Cerise sur le gâteau, Derdang Derdang a été enregistré à Nashville, Tennessee, par Jacquire King, le producteur des excellents Kings Of Leon. Résultat, le son des guitares est crade, les riffs sont entêtants, planants même, et soutenus par des ronronnements déchaînés de caisse claire. De son côté, la voix haut perchée et tremblante de Sam Windett pousse des cris étranglés et donne une vie incroyable aux paroles parfois obscures écrites par le batteur, Arp Cleveland.
Difficile de trouver une filiation nette à ces Anglais ; peut-être faut-il chercher du côté du premier album des Black Rebel Motorcycle Club, ou de groupes post-punk tels que le Gun Club de Jeffrey Lee Pierce. D’autres évoquent Sixteen Horsepower, ou même les Monks, fabuleuse formation garage des 60’s. Une chose est sûre : les Archie Bronson Outfit sont parvenus à créer un son unique, à trouver la formule d’une alchimie rare, complexe et qui n’appartient qu’à eux. Après un premier album déjà très réussi, intitulé Fur, ce second opus confirme donc tout le bien qu’on pensait du trio (n’oublions pas Dor Hobday à la guitare et à la basse). Ces types-là savent écrire des chansons, et surtout les jouer avec l’énergie du démon. Car attention : Derdang Derdang ne convient pas à toutes les humeurs. Il est déconseillé de l’écouter les lendemains de cuite, jours de migraines et matinées nauséeuses... Non, ce disque est fait pour ces instants sacrés où une vitalité inconnue dégouline de tous nos pores, ces moments ridicules où l’on a envie de secouer la tête mécaniquement en mimant avec élégance le jeu du guitariste, le tout agrémenté de quelques beuglements de vache en rut. Dans ces cas-là, Derdang Derdang saute tout seul comme un grand sur la platine et égrène son chapelet de petites bombes.
D’entrée, Cherry Lips plonge l’auditeur dans une espèce de tourbillon, une transe rock à laquelle il est impossible de résister. Les guitares vrombissent, les fûts résonnent comme des tambours vaudou et Windett nous emmène au bout du delirium tremens en bégayant - un peu comme Roger Daltrey dans « My ge...ge...generation » - et en hurlant des mots pas très catholiques. Oui, probablement du cul. En guise de clôture, un riff diabolique accompagné d’un saxo strident nous achèvent définitivement. Juste un court répit histoire de reprendre ses esprits avant Kink, qui enchaîne au triple galop d’une charge de brigade légère. Ici, comme dans la plupart de ses morceaux, le groupe use (et parfois abuse) avec force talent du « je chante la la la en harmonie avec les notes que je joue », une façon intelligente de nous fourrer dans le crâne d’excellents refrains, sans avoir à leur trouver des paroles indigestes. Tout groupe débutant doit le savoir : chanter « la la la » (ou « ta da da », ou « na na na », à vous de trouver le vôtre) ça marche toujours. Même ce crétin pré-pubère de Raphaël sait le faire. Bref, Kink déménage et ça ne prendra pas un quart de seconde à votre cerveau pour retenir le refrain et le chanter en chœur avec vos potes une fois tout le monde bourré. Puis vient le tour du redoutable single Dart For My Sweetheart, sympathique déclaration d’amour d’un psychopathe à sa douce, racontée sous la forme d’un décompte morbide : « One is a gun with a dart for my sweetheart », décompte qui finit dans le sang parce que madame n’accepte pas les avances du narrateur : « twelve I’ll take you like only I can ». La chanson évolue sur un tempo plus lent que les précédentes, adoucie paradoxalement (en comparaison avec les paroles) par un chorus plutôt mélancolique chanté par des femmes.
Après quoi Got To Get (Your Eyes) repart sur un rythme plus soutenu mais un brin fouillis tandis que Dead Funny renoue avec l’efficacité mélodique et la furie des trois premiers morceaux. S’ensuivent un dispensable Modern Lovers et un charmant Cuckoo, petite ritournelle obsédante et bien ficelée qui ne mange pas de pain ; par endroits, elle me fait même penser à Heaven des Stones, le seul truc potable enregistré sur Tattoo You, l’album de Start Me Up. De son côté, Jab Jab nous remet sur les rails de la locomotive à vapeur conduite par Arp Cleveland et utilise de nouveau les refrains à onomatopées avec le succès qu’on connaît. Les deux morceaux suivants, How I Sang Dang et Rituals, marquent une baisse de régime avant que l’album ne s’évanouisse joliment dans une version ballade folk du single.
En résumé, Derdang Derdang se doit de trôner dans toute discothèque de rockeur qui se respecte. Autant d’énergie et d’intensité dans un si petit groupe, voilà qui se chérit avec l’amour de la rareté ! Il existe d’ailleurs une réelle jouissance à aimer ce que personne - ou presque - ne connaît, alors profitons-en avant que les trompettes de la renommée ne dérobent un jour ce trio à notre regard éclairé. Car nul doute que les Archie Bronson Outfit devraient faire parler davantage d’eux, surtout à l’heure où d’aucuns évoquent avec entêtement le « retour du rock » (dixit les Inrocks... ha bon, il était parti ?), sorte de discours convenu et bien-pensant actuel de la presse spécialisée, certes alimenté par le foisonnement de jeunes groupes, mais qui n’empêche pas Rock‘n’Folk de fêter son quarantenaire avec les Who en couverture, avant d’enchaîner le mois suivant sur « les années Oasis » ; chouette, on en salive. Prochain numéro, « U2, groupe de légende » ? Décidément, Internet aura toujours une longueur d’avance.
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