Portraits
Elliott Smith, une tragédie américaine

Elliott Smith, une tragédie américaine

par Giom le 10 mars 2009

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Elliott Smith nous a quittés bien trop tôt, ça on est tous d’accord pour le dire, laissant en souvenir six albums aussi riches que brillants. Il est temps aujourd’hui de lui rendre hommage pour que sa musique reste et non la seule polémique autour de sa mort médiatisée. Retour donc sur un parcours atypique dans une Amérique et un monde musical qui n’ont jamais vraiment compris comme il se doit la complexité d’une personnalité et d’une œuvre si soudainement mise sur les devants de la scène (l’épisode Miss Misery pour le film Good Will Hunting) après avoir sommeillé longtemps dans le monde du rock indé. Enfin comme on dit, les hommes partent, la musique reste ! (ah moins que ce soit autre chose ?)

Enfance sombre, lumière musicale

Elliott Smith est né à la fin des années 1960. Le 6 août 1969 précisément, sauf qu’il ne s’appelait pas Elliott mais Steven Paul ce qui est certes moins facile à porter. Notre artiste est né à Omaha dans l’état du Nebraska, de Bunny et Gary Smith qui, malheureusement pour lui, décidèrent de se séparer à peine un an après sa naissance. Alors que son père, psychiatre de profession, partait s’installer dans la ville de Portland (Oregon), l’enfant suivait sa mère au Texas, à Duncanville, près de Dallas. C’est dans une atmosphère assez sordide et violente que le jeune Elliott va grandir, marqué très tôt par la violence, l’alcool et la drogue (choses qu’ils a expérimentées dès son plus jeune âge).

Heureusement pour lui, la musique offre très vite une « porte de sortie » à son quotidien grisâtre et Elliott a la chance d’appartenir à une famille où les notes et les mélodies font partie de la vie. Son père lui fait écouter l’album blanc des Beatles à trois ans et Elliott envisage le plus sérieusement du monde de devenir bassiste alors qu’il n’a que six ans (« Comment ne pas vouloir devenir bassiste après avoir entendu Helter Skelter  ? » En effet, la question est pertinente !). C’est pourtant le piano qu’il apprend très jeune (9 ans) et où il brille très rapidement puisqu’il peut déjà commencer à composer à l’âge de 10 ans. Ils remportera même un prix décerné par la ville de Duncanville pour une de ses pièces intitulée Fantasy (vous avez dit « enfant précoce » ?). Le piano représente alors pour le jeune Elliott un échappatoire formidable comme le sera la musique en générale durant toute sa vie.

Car il faut dire que l’ambiance n’est vraiment pas terrible à la maison. Sa mère s’est remariée à un certain Charlie Welch, homme violent, dont le comportement laisse à désirer vis-à-vis de sa femme et de l’enfant. Le personnage de Charlie hantera d’ailleurs les futures compositions du futur compositeur Elliott Smith (Flowers For Charlie, No Confidence Man, Some Song).

La musique écoutée par Elliott Smith durant son adolescence est très éclectique et forgera des influences diverses sur ses compositions futures. Le jeune homme passe de la country (notamment Hank Williams) à Dylan (qu’il reprendra souvent sur scène), aux Beatles bien sûr, mais aussi Kiss (son premier disque acheté est Alive II de Kiss) au punk (The Clash, Elvis Costello). À douze ans, il ramène de Portland, après une visite chez son père, sa première guitare et tente laborieusement de reproduire des solos de Led Zeppelin ou d’ACDC.

L’adolescence d’Elliott est vraiment sombre entre l’alcool, le canabis et les constantes bagarres avec d’autres adolescents : « Tous les parents des gens que je connaissais étaient divorcés ou bien leur père les frappait. Un jour, un voisin a tué mon chat pour le foutre ensuite à la poubelle. Il a tapé son gosse puis il est venu tuer mon chat. »

Finalement, Elliott va rejoindre (apparemment à sa propre demande) son père à l’âge de 14 ans pour vivre à Portland. Même si cela ne va pas régler ses problèmes avec la drogue et l’alcool, il va pendant à cette période commencer à enregistrer ses premiers morceaux. « Ce changement dans ma vie a développé mon goût pour raconter les histoires des gens de mon entourage à travers mes morceaux. Spécialement, la vie de ma mère. » On sait par exemple que le morceau sur XO, Waltz #2 est emblématique de la vision d’enfance d’Elliott Smith sur les relations entre sa mère et son beau-père. Elliott commence alors à cette époque, au contact de son père, à s’intéresser à la psychologie et à la psychanalyse, lisant par exemple les essais de Freud.

Au lycée à Portland, il intègre un premier groupe : Stanger Than Fiction, dans lequel il prend parfois le nom de Johnny Panic. Le groupe est composé de ses amis Garrick Duckler et Jason Hornick. Un an après leurs débuts, un batteur les rejoint, Adam Koval. Même après la dissolution de ce premier groupe, Elliott Smith restera longtemps en contact avec les deux membres fondateurs, souvent cités dans les livrets de ses disques. « C’était assez excitant, une bonne façon de passer le temps... » Smith compose en tout cas de plus en plus et, dès cette époque, il écrit des morceaux qu’il exploitera plus tard dans son répertoire d’artiste solo. Condor Avenue, qui se trouvera sur Roman Candle, le premier album d’Elliott Smith seul, fut entièrement composée à 16 ans. Quant au morceau Everybody Cares, Everybody Understands, sa structure de base est trouvée dès cette époque et le titre sera ensuite retravaillé pour apparaître sur XO en 1998. Les compositions d’Elliott sont en tout cas à cette époque déjà très sombres, évoquant les thèmes de la solitude et du désespoir existentiel que l’on retrouvera dans une grande partie de son œuvre postérieure. En témoigne le titre The Last Call, également sur Roman Candle, composé au lycée, qui aborde déjà les motifs de l’alcool et de la futilité humaine.


Quoi qu’il en soit, le jeune Elliott Smith (qui commence à cette époque à se faire appeler Elliott, repoussant définitivement ce nom composé qu’il déteste) réussit plutôt bien son parcours scolaire et obtient son bac (enfin l’équivalent) en juin 1987. il est même distingué en tant que finaliste du National Merit Scholarship Test. Il décide alors de rejoindre le Hampshire College, au départ pour suivre sa copine du moment qui a été acceptée dans cet établissement. Elliott s’inscrit dans un cursus de philosophie et de science politique. « Nous pensions qu’il deviendrait juriste. » confiera rétrospectivement sa mère. Certes, mais ce fut loin d’être le cas.

En groupe puis seul

À la fac, Elliott s’en sort plutôt bien même s’il ne supporte pas l’ambiance et les gens « qui voulaient se la jouer cool alors qu’ils ne l’étaient pas ». Il quitte donc rapidement le campus et s’installe à Northampton, ville proche de l’université, où le pauvre Elliott continue de croiser des « gens qui ne faisaient que de parler de post-structuralisme, mais bon, c’était mieux que sur le campus. »

C’est pourtant durant ces années de fac qu’Elliott rencontre un certain Neil Gust avec qui il partage l’amour de la musique post-punk et une certaine vision critique de la société américaine. Les deux jeunes hommes se lient d’amitié, fondent un groupe appelé Heatmiser avec un bassiste nommé Brandt Peterson et retournent ensemble à Portland après avoir obtenu leur diplôme respectif. Un batteur (Tony Lash, une connaissance de lycée d’Elliott) les rejoint alors et ils peuvent même publier un premier LP chez Frontier Label : Dead Air.

JPEG - 3.7 ko
L’album Dead Air d’Heatmiser

Les premiers concerts du groupe ont lieu en 1992 en première partie de soirée dans le club de Portland La Luna. Elliott assure le chant dans le groupe même s’il n’aura pas une haute idée de ses performances vocales de l’époque. Les paroles des morceaux qu’il compose laissent place à la description de ses rêves et de ses cauchemars. Logiquement, cette première tentative discographique ne sort pas de l’anonymat régional et c’est en 1994 avec le EP Yellow No. 5 puis le deuxième album Cop And Speeder que Heatmiser commence à faire un peu de bruit au niveau national. Le son du groupe est résolument rock dans le style de Fugazi, bref assez différent de ce que fera Smith plus tard durant sa carrière solo.

JPEG - 7 ko
Cop And Speeder

Pourtant, Elliott Smith ne se satisfait pas vraiment de cette expérience puisque le quotidien du groupe est marqué par la confrontation de son génie de compositeur et des volontés plus « fabriquée » du groupe. « Tous mes morceaux passaient à la moulinette du groupe et quand ils en sortaient je ne les reconnaissais plus. » Elliott se lasse très vite également de la vie de rock star et de l’attitude à adopter lors des concerts qu’il juge peu sincère et peu en adéquation avec sa personnalité : « Je jouais un rôle, un rôle que je n’aimais pas. Au début, tout le monde trouvait ça cool d’être dans un groupe et puis au bout de deux ans, on en a tous eu marre. » Durant cette période, Elliott enchaîne les petits boulots comme ceux de boulanger, laveur de vitres, transporteur de bois de bambou et même pompier.


Cependant, il ne perd pas totalement son temps car sa participation à Heatmiser lui fait rencontrer de nombreuses personnes de la communauté musicale de Portland dont beaucoup l’encouragent à composer pour lui seul. On retiendra le nom de Sam Coomes, qui, après avoir traîné ses guêtres à San Francisco avec le groupe Donner Party, s’est installé à Portland au début des 90s et a fondé avec sa femme le groupe Quasi, formation qu’on retrouvera en tournée avec Elliott Smith autour de 1998. Commes assurera même la basse pendant un temps chez Heatmiser en remplacement de Brandt Peterson. Smith à cette période compose beaucoup pour lui-même et c’est le manager de Heatmiser, J. J. Gonson qui se charge en tout cas d’envoyer une démo des morceaux d’Elliott Smith au label Cavity Search Records. Le manager du label, Christopher Cooper, propose rapidement à Smith de publier un album complet sous son nom chez eux alors que de son côté le songwriter tentait avec beaucoup de mal d’imposer la sortie d’un single chez Olympia (un label de Washington). Elliott Smith voit alors une opportunité de stopper ses activités avec ce groupe dans lequel il ne se sent pas à l’aise et la voie est ainsi libre pour la composition de Roman Candle qui sort dans la foulée pendant l’année 1994. Cependant, l’affaire Heatmiser se poursuit tout de même jusqu’au milieu de 1995 quand le groupe s’autodétruit définitivement malgré leur récente signature chez Dreamworks (futur label d’Elliott Smith au passage.) Pour l’anecdote, la personne que l’on voit à l’arrière-plan de la photo utilisée pour la pochette du disque Roman Candle n’est autre que Neil Gust, avec qui Elliott Smith restera en bon rapport malgré la dissolution du groupe. Mais l’avenir n’est définitivement plus en groupe pour Elliott...

Roman Candle et Elliott Smith

JPEG - 6.1 ko
Roman Candle

Alors à quoi ressemble Roman Candle ? Et bien, ce sont neuf morceaux formant une grosse demie-heure de musique d’une cohérence et d’une homogénéité remarquable pour un première album. Elliott Smith semble avoir trouvé son style dès le début, proposant une musique résolument acoustique sur laquelle il brode des paroles sombres marquées par un mal-être existentiel évident. Le jeune Elliott ressasse ses vieux cauchemars et il n’est pas étonnant de voir le morceau éponyme qui débute l’album convoqué une nouvelle fois la figure récurrente du beau-père en filigrane d’une composition musicale pourtant d’une douceur remarquable : « I want to heart him, I want to give him pain. » On notera que quatre chansons n’ont pas de titre ( No Name # 1, # 2, # 3, et # 4) peut-être, en plus de briser de le côté conventionnel du titre de chanson, pour ne pas imposer un sens à ces paroles d’une intensité parfois remarquable. L’album se conclue sur un morceau instrumental, Kiwi Maddog 20/20, très réussi avec une boucle de guitare électrique (l’une des rares utilisations de cet instrument sur le disque) parfaitement évocatrice d’une mélancolie contenue mais bien présente.

Grande réussite que ce Roman Candle donc, que beaucoup considèrent comme le meilleur album d’Elliott Smith, chose rare pour un premier album. Tout est en effet là, les thématiques morbides, la voix fragile et un jeux de guitare sobre mais incroyablement évocateur soutenant, quitte à faire corps avec elle, la guitare de façon prodigieuse. Le style du disque, comme l’œuvre entière d’Elliott Smith, est alors très difficile à définir, proche d’un néo-folk aux thématiques renversées, on sent également dans les compositions une tentation pop qui ne cessera de s’affirmer par la suite faisant de la musique du jeune homme de Portland, un artiste original.

JPEG - 16.2 ko
Elliott et ses tatouages

Elliott Smith va alors commencer à donner des concerts solo et on sait que le premier eu lieu le 17 septembre 1994 en première partie d’Heatmiser à l’Umbra Penumbra devant très peu de monde. Des habitués et amis sûrement puisque certains spectateurs auraient réclamé le titre Condor Avenue. Ce soir là, accompagné de Neil Gust sur scène, Smith aurait joué un nouveau morceau du groupe Heatmiser, Not Half Ring, écrit par Elliott dans l’après-midi précédant le concert.

Une chose est sûr, Elliott Smith est un garçon prolifique. Roman Candle à peine sortie, le jeune songwriter a déjà signé un contrat avec un autre label : Kill Rock Stars (quel nom !) pour la réalisation de son deuxième EP qui sort en mai 1995 prenant pour titre le nom de son compositeur. Ce choix a apparemment troublé quelques journalistes puisqu’il n’est pas rare de voir des chroniques de l’album de l’époque nommer le disque Kill Rock Stars (oui, c’est étrange !). La réalisation de ce deuxième LP a marqué un tournant dans la carrière d’Elliott Smith car c’est avec ce disque qu’il a pu vraiment composer comme il l’entendait, le patron du label, Slim Moon, lui laissant une entière liberté pour la réalisation de l’album.

JPEG - 7.2 ko
Le deuxième album solo

Et il faut dire que le disque est somptueux. Il comporte en effet plusieurs des plus belles compositions de l’artiste, toutes en rage contenue, en désillusion affichée. Pour la première fois, le rapport aux drogues est explicite dans ses textes, notamment sur le titre d’ouverture Needle In The Way où une guitare nerveuse accompagne des propos sous forme de confession amère :

“Four more blocks plus the one in my brain
Down downstairs to the man
He’s gonna make it all ok
I can’t beat myself
I can’t beat myself”

On retiendra également les brillantes compositions que sont Clementine ou Coming Up Roses. Sur ce dernier morceau, Smith travaille encore plus l’analogie entre voix et guitare allant jusqu’à pousser le processus très loin en « fondant » véritablement les deux « instruments » pour un résultat magnifique et totalement représentatif de son talent. La voix du chanteur est également plus profonde encore, variant les tonalités de façon encore plus convaincante que sur le premier album pour donner une présence incroyable au narrateur des morceaux. On notera la participation de son amie Rebecca Gates qui vient poser sa voix sur St Ides Heaven et celle de Neil Gust, toujours dans les parages donc, présent à la guitare sur Single File. L’album, avec sa pochette qui fait appel au personnage de super héros Spiderman, est donc la première véritable pure merveille d’Elliott Smith et participe en tout cas à faire grandir sa notoriété dans le paysage luxuriant du rock indépendant américain. Smith s’impose comme un personnage à part, ressassant ses obsessions existentielles pour en faire des petites perles nostalgiques et acerbes.

Après deux albums impressionnants, Elliott Smith trouve tout de même le temps de conclure la courte existence d’Heatmiser en beauté avec la mise en forme d’un ultime LP du groupe : Mic City Sons dont l’enregistrement s’achève en mars 1996. Le disque est produit par Rob Schnapf et Tom Rothrock qui retravailleront avec Smith plus tard. Composé à la fois de titres écrits par Smith et Gust, l’album offre donc un résultat extrêmement hétérogène. Smith se fait de plus en plus poignant et personnel dans ses textes, évoquant un malheur profond et un recul toujours plus fort sur la vie en rock :

« I can’t stand by here waiting while they dumb me down
I fit the perfect picture that you want for all
The fix is in i’m going where i don’t belong” (The Fix Is In)

En tout cas, ce disque marquera bien la fin de l’aventure Heatmiser puisque les derniers concerts du groupe ont lieu à la fin de l’année 96 au moment où Smith a déjà la tête bien ailleurs, tournée vers son troisième album : le fabuleux Either/Or.

JPEG - 11.9 ko
La fin de l’aventure d’Heatmiser

La montagne Either/Or et les feux de la rampe

Elliott Smith va alors énormément travailler pour la réalisation de son deuxième album chez Kill Rock Stars, Either/Or, du nom d’un ouvrage du philosophe Danois Soren Kierkegaard. Pour la première fois, il produit le disque et cette double casquette semble lui poser des problèmes tant son perfectionnisme ralentit la conception de ce qui restera peut-être son œuvre maîtresse. Il compose en tout cas plus d’une trentaine de morceaux pour ce troisième album et éprouve de grosses difficultés à choisir lesquelles se trouveront sur la galette finale. En plus de cela, Smith commence une relation tourmentée avec une musicienne de Portland, Joanna Bolme, bassiste dans différents groupes locaux. La relation est donc tumultueuse, bien qu’intense, et trouve vite son terme ce qui amène Elliott Smith à quitter Portland pour emménager à New York.

JPEG - 8.3 ko
La pépite Either/Or

L’album Either/Or sort finalement en 1997 et reçoit un accueil critique enthousiaste ce qui n’est pas étonnant tant la qualité est là. Smith a agit en véritable self-made man puisqu’il a joué de tous les instruments. Car instruments il y a puisque c’est la grande force de ce disque de frotter les compositions de Smith à une orchestration rock classique (batterie, basse, guitare électrique). Either/Or marque donc un tournant dans la musique d’Elliott Smith, la rendant encore plus riche et dense. Le style véritable de Smith est ainsi trouvé, parfois plus pop, fait de crescendos impressionnants où la voix s’envole en fin de morceau accompagnée d’une guitare électrique très claire suivant la voix comme son ombre. On retrouve sur ce disque les thématiques fondatrices de l’univers d’Elliott Smith qui concernent la mort, le malheur, le vide existentiel, les drogues. Pas très réjouissant comme d’habitude mais d’une beauté renversante tant cet univers est alors porté par une musique et une voix à leur paroxysme sur ce disque. Pour l’exemple, le morceau Between The Bars où une bouteille de whisky adresse une déclaration d’amour à un écrivain. On appréciera également l’ultime morceau du disque, Say Yes, titre de pop acidulée étonnamment optimiste à certains moments et digne des Beatles, qui conclue le disque en toute beauté (bon arrêtons nous là, sinon je ne pourrais plus chroniquer ce disque en « Incontournables » sur ce site.)
Une fois le disque sorti, Smith tourne un peu partout accompagné du groupe Quasi dont on se souvient que le bassiste, Sam Coomes, grand ami d’Elliott Smith avait brièvement fait partie d’Heatmiser à la fin de l’existence du groupe.

En tout cas les choses vont changer très vite pour notre songwriter et Elliott Smith ne doit pas s’imaginer à quel point au moment où il est contacté par Gus Van Sant, réalisateur aujourd’hui très (re)connu, pour qu’il participe à la B.O. de son prochain film. Van Sant veut en effet tourner un film avec les jeunes Matt Damon et Ben Affleck qui ont écrit le scénario et qui va s’intituler Good Will Hunting. Le film, dans la lignée du livre culte The Catcher In The Rye, conte l’histoire de deux jeunes adultes des banlieues pauvres de Boston, Will Hunting (joué par Damon), le personnage principal étant en fait extrêmement doué pour les mathématiques mais vivant mal tous ces espoirs soudains formés autour de lui et de son talent alors qu’il n’aspire pas forcément à ce genre de vie, enfin du moins n’en sait-il rien. Van Sant demande en tout cas à Elliott Smith une composition originale pour le film qui sera la fabuleuse Miss Misery et pioche dans le répertoire de l’artiste d’autres titres (No Name # 3, Between The Bars, Angeles, Say Yes) pour boucler la bande son du film.


Très bien sauf que le film, très bon au demeurant, est un énorme carton international lançant coup sur coup la carrière des acteurs Damon et Affleck, apportant une reconnaisse méritée au réalisateur Van Sant (on n’est pas encore à la Palme d’Or mais ça va venir) et finalement plaçant sur le devant de la scène notre Elliott Smith qui n’en demandait peut-être pas tant ! Du jour au lendemain, Smith et son titre Miss Misery se retrouvent sur les devants de la scène. Smith doit enchaîner les performances télévisées ce à quoi il ne semble pas prendre plaisir. On le verra notamment en 1998 interpréter une version de Miss Misery accompagné d’un orchestre (!) pour la soirée des Academy Awards où Miss Misery est nominée dans la catégorie « Meilleur Composition Musicale pour un film », l’award étant finalement remporté par My Heart Will Go On de Céline Dion pour Titanic.

JPEG - 8.6 ko
Le fameux passage télé qui marque la fin de l’Elliott Smith indé

Heureusement que Smith semblait se foutre complètement de cette récompense car il y a de quoi être vert ! Pour continuer dans le cinéma, Smith enregistre peu de temps après le succès de Miss Misery une reprise de ses idoles les Beatles avec le morceau Because, qu’il interprète a capela de façon très forte. Le titre prendra place dans la bande originale d’un autre film qui a marqué la période 1997-1998 : American Beauty de l’Anglais Sam Mendes avec Kevin Spacey dans le rôle principal. On peut entendre la reprise de Smith lors du générique final du film ponctuant cette tragédie du quotidien que représente le film d’une façon très émouvante.

En 1998, Elliott Smith devient donc soudainement très connu mais sa vie commence à se détériorer sérieusement puisqu’à cette époque il fait plusieurs petits tours par des hôpitaux psychiatriques pour troubles de la personnalité et problèmes récurrents de drogue (qu’il a toujours nié tout au long de la décennie des 90s). Pourtant Smith compose toujours autant et signe même sur une major (Dreamworks, le label lancé par Steven Spielberg) pour la réalisation d’un nouvel album. Ce départ de Kill Rock Stars sera vu par certains comme une trahison de la part d’Elliott Smith qui décidait ainsi, selon eux, la célébrité arrivant, de quitter un monde du rock indé qui l’avait toujours soutenu. Pourtant, musicalement du moins, l’avenir s’annonçait encore palpitant pour Elliott Smith.

Le début de la fin

JPEG - 8.1 ko
XO

L’album XO, premier disque pour Dreamworks, sort en juillet 1998 et ne déçoit pas. Certains y voient un disque plus léger, ce qui semble une grosse erreur selon les propos même du songwriter : « Les gens ont pensé que je voulais faire dans le romantique. Pourtant quand je chante « ready to go » (sur le morceau Amity), je veux bien sûr parler d’une fatigue de vivre et d’une envie d’en finir. »

I’m here today and expected to stay on and on and on
I’m tired
I’m tired
Looking at on the substitute scene
Still going strong
XO, mam

On remarque au passage qu’on peut difficilement qualifier ces paroles de « légères ».

JPEG - 3.8 ko
Smith à Los Angeles pour les sessions de XO

À ce moment de sa carrière, Elliott a déménagé à Los Angeles, où l’album est d’ailleurs en partie enregistré, dans les fameux studios Ocean Way. Il fréquente de nombreuses personnalités de la scène musicale californienne qui l’ont aidé à réaliser XO (Joey Waronker, Jon Brion, Tom Rothrock, Rob Schnapf...) et commence à avoir une notoriété importante qui l’amène à faire des tournées mondiales où il découvre ses fans australiens ou japonais pour qui il n’avait encore jamais eu l’occasion de jouer. Tous soutiennent un artiste qui semble être à l’apogée de sont talent malgré une vie qui commence à partir de plus en plus en vrille, Elliott prenant constamment des anti-dépresseurs et autre produits pas très conseillés en partie pour supporter la fatigue causée par une tournée mondiale éreintante. On voit en tout cas de plus en plus Elliott Smith dans la presse et celui-ci donne de nombreuses interviews qui permettent de comprendre les sources (l’enfance notamment) de son inspiration. On en apprend aussi beaucoup sur ses tatouages (Ferdinand le taureau sur le bras droit et une carte du Texas sur le gauche), mais on ne va pas tomber dans le people. Il fait même une nouvelle apparition dans un show télévisé en octobre 1998 au Saturday Night Live (alors qu’on sait qu’il déteste ça, mais les joies du contrat avec Dreamworks doivent être dans le coup). En tout cas le disque s’impose rapidement comme la meilleure vente d’Elliott Smith puisque avec près de 200 000 copies vendues aux États-Unis, il réalise un score deux fois supérieur au total des ventes des deux disques précédents sortis chez Kill Rock Stars.


De retour de tournée, Elliott Smith ne s’accorde pas de pause et retourne en studios avec la même équipe de musiciens et de producteurs qui avaient travaillé avec lui sur XO. La différence est que cette fois-ci, Smith n’enregistre pas totalement le disque en Californie mais squatte les mythiques studios d’Abbey Road où il peut retrouver l’énergie de ses idoles pop 60s britanniques. Il en sortira un album justement très influencé par le rock anglais, intitulé Figure 8, qui est dévoilé au monde en 2000. L’album est une nouvelle fois très bien reçu par la critique même s’il marque une évolution dans le style d’Elliott Smith. Il est alors étonnant d’entendre souvent parler de diptyque associant XO et Figure 8 car malgré leur sortie assez rapprochée, les deux disques sont assez différents. Figure 8 se présente comme plus heurté et aigre-doux, la musique fait alors de plus en plus corps avec les textes alors que XO unissait paroles profondes à des mélodies plus lumineuses.

JPEG - 9 ko
La période figure 8

Bien sûr, ce nouvel album est l’occasion d’une nouvelle tournée mondiale qui épuise encore plus Elliott Smith et certains concerts sont parfois chaotiques où le musicien, peut-être sous l’emprise de produits, est victime de trous de mémoire à propos des paroles de certaines chansons ou d’incapacité à jouer de la guitare. Son entourage et ses fans s’inquiètent surtout qu’il semble de plus en plus clair qu’Elliott est maintenant complètement accro à l’héroïne. Il est maintenant barbu et porte les cheveux longs (et sales bien sûr) ce qui étonne tout le monde lors de ses performances lives chaotiques.

Fin tragique et album posthume

JPEG - 5.8 ko
Le début de la fin

Pourtant l’artiste semble encore capable du meilleur et il commence à partir de la fin de l’année 2001 à retravailler sur un nouvel album. Il semble cette fois-ci bien décidé à fermer la page Dreamworks et cherche un label indépendant quoi pourrait sortir son nouveau disque totalement produit par ses soins, qu’il souhaite double à l’imitation de l’album blanc des Beatles. Le problème est qu’à cause de ses problèmes de drogue, il se fâche avec un peu près tout son entourage dont surtout le musicien et ami Jon Brion où sa manager (depuis Roman Candle) Margaret Mittleman. Il commence à développer aussi une forte paranoïa qui l’amène à penser que les gens de Dreamworks cherchent à le persécuter et à lui voler les enregistrements de son prochain album. Bref les choses ne s’arrange pas, David McConnel (membre du groupe Goldenboy) qui l’aide à accoucher de ses nouvelles compositions confiera à la presse qu’Elliott en arrive à consommer pour 1500 dollars d’héroïne et autres drogues par jour (ce qui est, admettons-le, assez hallucinant). McConnel affirme également que le chanteur n’est pas passé loin à plusieurs reprises de l’overdose fatidique et qu’il parle de suicide assez constamment.

Pourtant, Elliott Smith finit par revenir sur les devants de la scène et son nouveau label Suicide Squeeze Records publie un single de l’artiste en version vinyle limitée, annonçant un album à venir. Le titre, Pretty (Ugly Before) est joué par Elliott depuis la tournée de Figure 8. Un inédit est par contre sur la face B, la magnifique A Distorted Reality Is Now A Necessity To Be Free, qu’on retrouvera sur From A Basement On The Hill et qui reprend la thématique d’une liberté impossible déjà évoquée dans Independence Day sur l’album XO. La fin de l’année 2002 est marquée pour Elliott par un accrochage avec la police californienne qui lui vaudra une nuit passée en prison. Voulant défendre un homme agressé par la police lors d’un concert où se produisait à la fois Beck et le Flaming Lips, Smith est alors pris pour un sans abris par les autorités et est donc arrêté ( !) pour aller faire un petit tour en prison. Décidément, la chance n’est pas de son côté...


Smith va alors passer par une période très sombre qui va l’amener pas loin de la folie. Il ne se nourrit plus que de glace et passe parfois un temps fou sans dormir, restant également très longtemps inconscient. Son attitude paranoïaque augmente et sa méfiance vis-à-vis de son ancienne maison de disques Dreamworks est de plus en plus forte. Pourtant il revient une ultime fois aux affaires, se produisant plusieurs fois en concert durant l’année 2003, semblant jouer avec plaisir la quasi-totalité de son répertoire et offrant de nouvelles chansons prometteuses. Sur un forum qui lui est consacré, il annonce même son retour en forme et certifie que les sessions de son prochain album, double donc, sont sur le point de s’achever. Le titre est déjà trouvé, à la symbolique verticale troublante : From A Basement On The Hill. Tous le monde y croit alors et peut-être même lui aussi !

Jusqu’à ce 21 octobre 2003, jour de sa mort. Les circonstances de cette mort, en tout cas tragique puisque le chanteur n’avait que 34 ans, sont assez troubles. Alors qu’elle venait de se disputer assez violemment avec lui, Jennifer Chiba, sa compagne de l’époque, se serait réfugiée et enfermée dans la salle de bain. Peu de temps après, elle aurait entendu Elliott crier, se serait précipitée pour le trouver inconscient un couteau enfoncé dans son corps. Voici pour la version officielle à laquelle se sont ajoutées plusieurs rumeurs affirmant que le musicien aurait été assassiné. Tout est parti d’une note laissée par Smith avant sa mort : « I’m sorry, love. Elliot, God forgive me. » La faute d’orthographe au prénom pouvait ainsi laisser planer un doute sur la thèse du suicide qui n’a d’ailleurs toujours pas été validée officiellement. Pourtant Jennifer Chiva est à plusieurs reprises sortie de son silence depuis la mort d’Elliott pour clamer son innocence et la faute sur la note a depuis été analysée comme une erreur de transcription d’un enquêteur (un comble !). Cependant le mystère persiste si on pense par exemple à cette remarque d’un des assistants d’Elliott sur les bandes de From A Basement On The Hill qui affirme qu’Elliott ne se serait jamais tué avec ses habits ce qui aurait rendu l’entreprise du suicide par coups de couteau plus difficilement réalisable. Bref, tout ça n’est pas simple mais n’est peut-être pas si important que ça. Elliott Smith est mort fin 2003, voilà qui reste le plus marquant, beaucoup trop jeune donc et sûrement sans nous avoir vraiment tout dit de ce que lui-seul était capable d’exprimer avec une guitare, sa voix et ses mots.

JPEG - 8.3 ko
From A Basement On The Hill

L’album From A Basement On The Hill sortira un an plus tard, de façon posthume. Finalement que sur un seul disque, sa réalisation aura été supervisée par sa famille, son ancien collège Rob Schnapf et son ancienne petite amie Joanna Bolme. L’album n’est donc, du fait de la mort prématurée de l’artiste, pas jugeable comme un véritable disque d’Elliott Smith. Il n’empêche qu’il s’impose comme un ultime témoignage d’un artiste singulier et définitivement décalé qui ne peut que manquer dans le paysage.

Sources :

Livre :

Benjamin Nugent, Elliott Smith And The Big Nothing, Da Capo Press, 2005.

Sites Internet :

Magazines et webzines :

Les Inrockuptibles, Télérama, Pitchfork.



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom