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Friend Opportunity

Friend Opportunity

Deerhoof

par Yuri-G le 17 avril 2007

4

paru le 23 janvier 2007 (Kill Rock Stars)

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Possible de ne pas prendre l’album de Deerhoof au sérieux. Il faut dire qu’il est plutôt rigolo, ce trio arty, iconoclaste et joueur, qui malmène allègrement la pop, incapable de prolonger une mélodie plus d’une minute, avec des guitares tapageuses et la voix approximative d’une Japonaise - Satomi Matsuzaki - gavée aux sucreries déglinguées. Vite fait de ranger ça dans une case "gamineries délirantes", au nom de l’harmonie et de la droiture. Mais évidemment, non. Trop espiègles, trop pétillants de créativité allumée, trop percutants dans leur inventivité mélodique pour être étroitement réduits à une bande de plaisantins agréables, juste gentillets. En plus, Friend Opportunity est incontestablement leur album le plus réussi, efficace et cohérent.

Et les membres de Deerhoof ne ressemblent qu’à eux-mêmes, c’est déjà ça. Dans l’inaugural The Perfect Me, le terrain qui s’annonce est glissant, et le restera. La batterie est vigoureuse et solidement plantée, les guitares rigides, pourtant accrocheuses, secondées par des bouquets de synthés naïfs, le chant enfantin, pépiements presque insolents dans leurs esquisses désinvoltes ; volontairement bas du front comme entrée en matière, et les premières cassures font irruption, un motif de guitare percutant qui envoie valser les bribes de structure déjà présents, l’énergie qui dérive vers des séquences mélodiques isolées. Vu comme ça, la déconstruction stérile et aride n’est pas loin. Justement non, les mélodies circulent et se recoupent entre elles, non pas éparpillées ou désordonnées, simplement fourmillantes. Étant tenu de circonscrire le paysage, on avancerait probablement les Fiery Furnaces pour le catapultage de toute vraisemblance linéaire, Stereolab pour la charmante palette de couleurs naïves et récréatives, ou encore l’héritage Riot Grrrl pour l’esbroufe rugueuse du son. Ceci étant valable pour quelques titres. Le reste du temps, Deerhoof zigzague insolemment entre les passerelles hermétiques de la pop - noisy, electro, orchestrale, baroque, criarde, que dire ? Comme ils le faisaient auparavant, mais avec une adresse et une unité inconnues jusqu’alors, les précédents albums étant beaucoup plus sauvages, plus insaisissables aussi.

Un charme piquant, immédiat certainement, malgré la relative impression de désordre incontrôlé qui pourrait tromper de prime abord. De toute façon, Friend Opportunity est fondamentalement amusant. Ce disque conjugue tout. Aussi bien la rage crépitante et frénétique que la mélancolie décomplexée. Par exemple, Choco Fight s’entame sur des bases branlantes d’ambient funk, puis débouche sur un refrain (tout du moins, ce qui s’en rapproche) touchant d’innocence, à la trame dépouillée. Un songe tendrement désenchanté, qui rêve encore de sentiments aux couleurs pastel, pour mieux décrocher la lune en plastique qui luit sagement là-haut, dans ses cendres scintillantes. Juste après, Whither The Invisible Birds ?, Satomi Matsuzaki se drape d’une soie de cordes et de claviers, dans la peau d’une Scott Walker acidulée, à la tristesse infinie. Son timbre tire alors vers une pâleur résignée, émouvante pour cette ode réservée aux dimanches pluvieux et brumeux. Enfin le disque se referme sur Look Away, longue dérive malade et pétrifiante, quasi no wave ; le groupe y concentre son excentricité dans un cauchemar éveillé, avec guitares fiévreuses et tentaculaires, prise de pouvoir aliénante.

Ce qui fait donc la valeur de ce disque singulier : Deerhoof propose fondamentalement quelque chose. Pas de surplace, dans leur folie brouillonne ils ne cessent d’étourdir, en écartant tout bon sens et toute sagesse. Friend Opportunity est inimitable, vraiment. Les approximations s’y accordent avec la rigueur. La richesse avec la simplicité. La pop avec la psychose bonne enfant.



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Tracklisting :
 
1. The Perfect Me (2’40")
2. + 81 (3’03")
3. Believe E.S.P. (3’07")
4. The Galaxist (2’40")
5. Choco Fight (3’01")
6. Whither the Invisible Birds ? (2’11")
7. Cast Off Crown (2’47")
8. Kidz Are So Small (1’59")
9. Matchbook Seeks Maniac (3’23")
10. Look Away (11’45")
 
Durée totale : 36:44