Portraits
Genesis

Genesis

De la Genèse à la Révélation...

par Psychedd le 8 novembre 2005

Il semblerait que la mode est à la lapidation systématique des groupes progressifs des années 70. Genesis cumule cette tare avec son aspect FM années 80, qui a hélas laissé bien plus de tâches que la première période du groupe. Certes, on parlera des maquillages de Peter Gabriel, tous plus effrayants les uns que les autres, mais pourquoi ne pas aussi dire que Genesis a possédé le talent de créer un univers à la fois onirique et cauchemardesque, intemporel et innovant ? Petit historique d’une période méconnue...

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Traditions, cricket et pop-music

L’histoire commence dans le collège de Charterhouse, en 1963, vénérable institution scolaire typiquement anglaise, où les jeunes gens sont éduqués pour devenir les membres respectables de la bourgeoisie anglaise. Cette perspective ne semble pas réjouir deux nouveaux en ce jour de rentrée : Peter Brian Gabriel et Anthony George Banks, tous deux âgés de 13 ans.
Ils ne le savent pas encore, mais quelque chose va les pousser l’un vers l’autre, quelque chose d’essentiel en ce début de décennie qui s’annonce explosive : la musique.
Les deux garçons étant issus de familles de musiciens, ils sont tous deux baignés de musique et ont le droit aux traditionnelles leçons de piano. Peter Gabriel arrête vite sous prétexte qu’il n’a plus le temps de rien faire (l’équitation et le golf, ça prend du temps aussi !), il est pourtant fortement attiré pour la musique, il compose de petites chansons à 11-12 ans (dont Sammy The Slug, Sammy la Limace) et se découvre la passion du rythme quand il achète un petit tambour au frère d’un ami. Peu de temps avant son entrée à Charterhouse, il est d’ailleurs batteur dans un petit groupe local.
Tony Banks persévère le pianotage bien que ce ne soit pas la folie totale et qu’il préfère étudier les maths. Il va redécouvrir les joies de son instrument lors de son internat, le piano devenant un moyen d’évasion plutôt qu’un instrument de torture. Avec un professeur, il apprend du Rachmaninov et décide de vraiment s’appliquer.

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Tony et Peter à Charterhouse

En 1965, Peter Gabriel est toujours batteur, mais cette fois ci dans un groupe de soul. L’envie de composer ses propres chansons commence à le démanger sérieusement. C’est que bridé par une éducation trop rigide, il a besoin de s’exprimer et puisque ce n’est pas encore avec la musique, il va faire un essai dans la mode en créant des chapeaux... Ce qui lui amène un petit moment de gloire quand il voit l’une de ses créations sur la tête de Marianne Faithfull dans l’émission Juke Box Jury, très populaire à cette époque. Il aura moins de succès avec ses T-shirts peints qui auront la mauvaise idée de déteindre sur les vêtements blancs de cricket de ses camarades.
Au moment où ils commencent à traîner ensemble, Tony Banks découvre les Beatles grâce à I Feel Fine et se rend compte qu’il joue mieux du piano à l’oreille plutôt qu’avec une partition, et Peter est plus de style à acheter les 45 T de ce qui passe en radio. Pour son premier achat de 33 T, il choisi le premier album des Beatles. Voilà qui consolide les liens avec son pianiste d’ami. Ca et Otis Redding qu’ils adorent tous les deux.
Ils passent de plus en plus de temps ensemble autour de l’unique piano du collège, un privilège que l’on obtient si l’on est un bon coureur. Peter Gabriel : « Dès que les parties [de squash ou de tennis - NdA] finissaient, c’était un véritable combat pour accéder au piano. On prenait un raccourci par le passe-plat de la cuisine, histoire d’arriver avant celui qui passait simplement par la porte. ».
Ils commencent alors à écrire leur premières compositions personnelles, très marquées par leurs influences pop et soul.

La même année, un groupe se forme dans l’enceinte du collège, Anon (qui signifie « Bientôt » et « Anonymes »). Encore un groupe né de l’amitié de deux collégiens. D’abord, Michael John Rutherford, né comme Tony et Peter, en 1950, arrivé à Charterhouse en 1964, il a passé un an seul et quelque peu désœuvré. Lui, c’est la guitare son instrument de prédilection et ses influences sont plutôt rock’n’roll, Presley, The Shadows, Cliff Richard. Il commence à taquiner l’objet de ses rêves vers 8 ans et à 10 ans, il se fait offrir une guitare électrique.
En 1965, c’est Anthony Phillips, d’un an son cadet, qui rentre à son tour au collège. Lui aussi joue de la guitare depuis ses 11 ans, et il fait alors partie d’un groupe appelé The Spiders.
Ce statut de guitariste pose quelques problèmes à Mike Rutherford, en la personne d’un professeur acariâtre qui considère cet instrument comme un outil de révolution et de dépravation et qui lui confisque tout simplement sa guitare. Rutherford n’a pas la chance d’être doué au cricket comme Anthony Phillips qui se met ainsi le professeur, cité au dessus, dans la poche et qui peut donc continuer à gratouiller peinard. Pour la peine, il forme un groupe avec un ex-membre de The Spiders, River Jobs à la basse, Richard MacPhail au chant et Rob Tyrrell à la batterie. Mike les rejoints en tant que guitariste rythmique peu après.

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Mike Rutherford et Anthony Phillips

Pour fêter leur départ définitif de Charterhouse, MacPhail et Jobs décident de monter un vrai concert au sein du collège. Stupeur et tremblements dans le corps enseignant qui s’émeut et se met dans tout ses états à l’idée que de l’affreuse musique rock puisse être jouée en cet endroit respectable. La raison leur dicte pourtant d’accepter, la peur d’une émeute provoquée par un refus les effrayant encore plus...
Un jour de juillet 1966, le dernier concert d’Anon est donné avec en première partie un nouveau groupe de collégiens, The Garden Wall, composé de Peter Gabriel au chant, de Tony Banks aux claviers et de Chris Stewart à la batterie. Sauf qu’un concert sans guitariste et bassiste, ça le fait moyen. A cette occasion, River Jobs et Anthony Phillips vont prendre ces instruments pour dépanner The Garden Wall.
Peter sait déjà se faire remarquer et fait son entrée en jetant des pétales de roses sur le public, sapé dans les plus beaux atours de cette époque, collier de perles et kaftan, sans oublier un chapeau qui appartenait à son grand-père.
Après ce concert et le départ de MacPhail et Jobs, le groupe Anon se voit obligé d’arrêter là. Mais Anthony Phillips qui a bien accroché avec Banks et Gabriel va de plus en plus jouer de la guitare avec eux, tout en continuant sa collaboration musicale avec Rutherford avec qui il va enregistrer quelques morceaux. A cette occasion Tony Banks est appelé pour jouer un peu de piano, et c’est tout naturellement que ce dernier fini par inviter Peter Gabriel pour remplacer Phillips au chant. Encore plus fort, les compositions des deux larrons écrites autour du piano, dépassent quelque peu celles des deux apprentis guitaristes en matière de qualité. Le quatuor, renforcé par Chris Stewart derrière les fûts va enregistrer une démo qui va attirer l’oreille d’un ancien de Charterhouse et sceller le destin du groupe.


From Genesis to Revelation

L’ancien en question s’appelle Jonathan King et comble de l’excitation pour nos cinq ados, il a eu un hit en 1965, avec sa chanson Everyone’s Gone To The Moon et est venu voir un ami à Charterhouse. On est en 1967.
Le groupe décide de lui donner une bande magnétique de leurs chansons fraîchement enregistrées. Pleins de courage et d’audace, ils préfèrent confier la bande à un ami pour la donner à King.
Ce dernier va gentiment écouter les six titres de la bande, mais n’est pas vraiment transporté de joie ou d’admiration. il trouve même ça un peu faiblard, mais il est persuadé qu’il y a là du potentiel au niveau musical, mais aussi que le chanteur à la voix particulière et assez originale peut donner quelque chose de bon. Il les contacte et les rencontre lors d’une autre visite dans l’enceinte du collège avec une proposition alléchante : une avance pour enregistrer une autre démo qui serait de meilleure qualité. Pari gagné quelques semaines plus tard, quand le groupe livre quatre chansons acoustiques, deux versions réarrangées de morceaux de la première démo et deux nouvelles chansons qui sonnent suffisamment comme les Beatles pour que Jonathan King décide de leur proposer un contrat pour cinq ans. Les parents paniquent un peu et mettent les pieds dans le plat, le contrat se voit réduit à un an avec possibilité de le renouveler.
Pour fêter ça, le groupe retourne enregistrer une troisième démo où commencent à percer des petites touches progressives, les morceaux s’allongent autour des 6 minutes, ce qui est long à cette époque. Et forcément ça déstabilise King qui tarde à leur donner des nouvelles. Et quand elles arrivent, elles ne sont pas particulièrement encourageantes ? Légèrement vexés, Tony et Peter vont se permettre un gros coup de bluff : Jonathan King aime les Bee Gees ? Ils vont lui en donner du Bee Gees avec le morceau The Silent Sun où Gabriel va même jusqu’à imiter leur façon de chanter. Et ça marche... enfin !

King veut tout prendre en main et pour la peine, son rôle lui incombe de trouver le nom du groupe. Il propose d’abord Gabriel’s Angels, ce que le groupe trouve un peu lourd à porter. Il a plus de chance avec Genesis, qu’il n’a pas été chercher bien loin à vrai dire, puisque ce nom fait référence à la naissance du groupe. Et à vrai dire, les cinq garçons s’en foutent un peu du nom qu’ils ont, même si ça fait pompeux. Eux, ils veulent rentrer en studio et dignement enregistrer leurs « œuvres ». Ils se prennent en effet une sacré grosse tête quand ils arrivent à sortir deux 45 T et que les critiques sont plutôt bonnes, même si les ventes sont quasiment inexistantes. Ils s’imaginent passant à Top of The Pops. Enfin, pas tous puisque Chris Stewart en a marre et lâche l’aventure fin mai 68. Il est alors remplacé par un ami de Charterhouse, John Silver.
A peu près au même moment et à force de s’acharner, Jonathan King arrive à faire accepter à Decca que le groupe doit enregistrer un vrai premier album. Un problème se pose à la maison de disque : un groupe du nom de Genesis existe déjà aux États-Unis. Craignant un procès, elle demande tout simplement un changement de nom. King refuse et propose un arrangement : le nom du groupe ne sera pas sur la pochette et les musiciens seront sobrement présentés comme « The Group ». Par contre le nom de l’album sera From Genesis To Revelation.
Et de révélation... il n’en est point... L’album complet est enregistré en une journée (le groupe arrive à neuf heures du matin dans les studios et en ressort aux alentours de minuit). L’exercice est difficile, surtout pour Peter qui n’a pas l’habitude de pousser autant sur sa voix (si en plus, il faut imiter les Bee Gees...) et qui se retrouve à prendre une douche entre chaque prise pour reposer sa voix.
Pour les dégoûter définitivement, ils se rendent compte que si Jonathan King est intéressé par la musique, c’est plus pour avoir un hit éphémère qui rapporte plutôt qu’un album de bonne qualité. Au niveau de la production, il noie avec plaisir la musique du groupe sous une couche épaisse de violons sirupeux et dégoulinants. Premier effet, la musique du groupe est complètement étouffée et rien de transcendant n’en sort. Pour achever le tout, quand l’album sort en mars 1969, la sobriété de la pochette et le nom du disque provoquent la confusion chez certains vendeurs qui le classent illico en catégorie « Musique religieuse ». On comprendra que commercialement, c’est un peu la débâcle...
Aujourd’hui encore, les fans de Genesis ne considèrent toujours pas cet album comme le premier du groupe, c’est simplement un tir d’essai. Par contre, la suite va devenir carrément plus exaltante.

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Genesis en 1968

En moins d’un an, Genesis va connaître quelques bouleversements. En premier, Jonathan King qui n’apprécie pas la tournure que prennent les choses et qui trouve que la musique du groupe devient franchement compliquée et chiante comme la pluie, les laisse tout simplement tomber. Ensuite, le batteur accessoire, John Silver décide qu’il a d’autres choses plus intéressantes à faire ailleurs et s’en va lui aussi.
Les quatre qui restent commencent sérieusement à douter, d’autant plus qu’ils se séparent géographiquement. Anthony et Peter restent à Charterhouse, Mike se tire de là pour aller au Farnborough Technical College et Tony va étudier la physique dans l’Université d’Essex. Lui et Peter menacent plusieurs fois d’arrêter, à chaque fois l’un retient l’autre. Tony, en plus, commence à franchement en avoir marre de son orgue, qui n’est qu’une pâle copie de son piano chéri. Sauf qu’à l’université, il n’a ni l’un ni l’autre et pour la peine, il se met à composer à la guitare et certaines de ces mélodies se retrouveront bien plus tard dans les albums du groupe. Peter, pour la première fois de sa carrière, va tenter de se rapprocher du cinéma en tant qu’acteur ou en tant que metteur en scène... Avant de tout arrêter pour repartir avec Genesis. Car Mike et Anthony restent tellement motivés qu’ils empruntent du fric à leurs parents, s’achètent du matos, qu’ils transportent dans le vieux taxi de Peter, et se réunissent où ils peuvent pour répéter. Si bien qu’au début de l’été 1969, ils composent une suite de trois quart d’heure appelée en toute simplicité The Movement dans laquelle ils pomperont également quelques extraits pour leurs compositions futures.
Comme tout semble rentrer dans l’ordre (Tony a même fait la paix avec son orgue), ils passent une annonce dans le Melody Maker pour trouver un nouveau batteur. Ce sera John Mayhew l’heureux élu.

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1969

Le 20 août, ils enregistrent un énième démo qui contient déjà deux morceaux du prochain album : White Mountain et Family . Peter commence à ce moment à rajouter de la flûte traversière et Mike passe à la basse où il excelle très rapidement. Pourtant, les premières maisons de disques contactées ne sont pas vraiment emballées et il est même dit que Peter devrait s’arrêter là pour le chant.
Visiblement masochistes, les membres du groupes décident de s’acharner encore et leur persévérance est récompensée au mois de septembre...

Un jour de répétition chez les parents d’Anthony Phillips, le groupe reçoit la visite de Richard MacPhail qui reste épaté par les progrès techniques de ses anciens compagnons. A tel point qu’il va devenir leur ingénieur du son/manager de tournées et qu’il leur propose de s’installer dans le cottage de ses parents pour qu’ils puissent bosser leur musique tranquillement. Cerise sur le gâteau, le père de Richard leur prête sa camionnette en plus. Comme il faudrait être stupide pour refuser, nos cinq compères acceptent, un peu de bave au coin des lèvres.
De novembre 1969 à avril 1970, le groupe s’enferme dans le cottage et bosse. Il ne fait d’ailleurs presque ça, car sans fonds, ce n’est pas la nourriture ou autre chose qui va venir les tenter. Ca bosse si dur que leur musique va prendre de l’ampleur, s’étoffer et devenir enfin LA musique de Genesis. Avec un petit coup de pouce du hasard... Car malgré un rythme éprouvant et un travail quasi-continuel de leurs instruments respectifs, les jeunes gens s’arrêtent quand même de temps en temps pour écouter de la musique. Et l’un des albums qu’ils vont découvrir durant cette période va tellement les bouleverser qu’ils accrocheront même la pochette au mur, comme si elle pouvait leur porter bonheur. Ce disque, c’est In The Court of The Crimson King de King Crimson, un album fondateur qui fait rentrer Genesis dans le monde naissant du progressif.
A ce moment, le groupe décide de sérieusement se frotter à la scène et enchaîne les concerts. Parfois, il joue même en première partie de stars qui montent tels Mott The Hoople, le 1er mars 1970 et David Bowie le 11 mars de la même année. Il est aussi très présent dans le réseau des soirées étudiantes. Entre la vie d’ermite au cottage et les prestations scéniques de plus en plus nombreuses, Genesis va développer une énergie et une violence latente qui tranchent avec les mièvreries gluantes de leurs débuts et qui vont ressortir dans la peau d’une chanson de 19 minutes, The Knife, qui porte fort bien son nom, chanson guerrière, cruelle et qui vient achever les concerts dans un crescendo de tension incroyable... Quand le groupe est au point. Car certains concerts sont calamiteux, les musiciens ne savent pas comment se placer sur scène ou encore pire, ils ne savent pas gérer le son, ce qui est légèrement embêtant !

Mais l’expérience forge le caractère et gonfle certaines têtes. Tony Banks par exemple se sent incompris et frustré. Leur musique est la meilleure du monde tout de même !
Heureusement qu’ils sont têtus car le hasard continue de jouer en leur faveur. Leur style commence à toucher le public, qui avait jusqu’alors tendance à les ignorer royalement, et emballe le propriétaire du Ronnie Scott’s Club à Londres qui leur propose de jouer six mardis à la suite. C’est lors de l’un de ces concerts que John Anthony, producteur de Van Der Graaf Generator, vient les voir sur les conseils d’un ami. Et ce qu’il entend lui plaît tellement qu’il décide immédiatement de les faire signer sur le label Charisma. Il en touche un mot au patron de la compagnie, Tony Stratton-Smith qui lui aussi va les voir dans le même club. Comme John Anthony, il s’emballe tout de suite et devient leur manager sur le champ. Il le sent bien : le groupe a encore du boulot, mais ça promet d’être réjouissant. Genesis est presque prêt pour entrer dans la cour des grands...

Genesis devient un groupe professionnel en avril 1970 et va vite s’atteler à enregistrer son deuxième premier album, le troublant et réussi Trespass. Pour Tony Banks, il n’y a pas de doute : « C’est vraiment le début de Genesis, l’album dont tout découle... ». Les concerts qu’ils ont donné en très grand nombre commencent à rameuter quelques fans qui se hâtent de répandre la réputation du groupe.
En juin et juillet 70, Genesis rentre aux Trident Studios de Londres. Ils enregistrent six chansons, en abandonnant une bonne partie de celles qu’ils jouent alors en concert. The Knife est, bien entendu, de la partie, clôture le disque pour faire écho à leurs prestations scéniques sauf que pour les besoins du disque, il est réduit de moitié. Un concentré de violence mené par la guitare tranchante d’Anthony Phillips. Genesis trouve enfin le son qui va faire sa marque de fabrique. En plus de la musique, les textes de Gabriel se densifient et plutôt que de parler de chansons, on peut parler de petits contes, souvent étranges et cruels. D’ailleurs, pour la première fois, le groupe va expliquer ses chansons au moyen de courts textes avant les paroles. Ainsi Stagnation, véritable petite pépite, où la trame est ainsi contée : « A Thomas S. Eiselberg, un homme très riche qui fut suffisamment sage pour dépenser toute sa fortune à s’enterrer à des miles sous la surface du sol. Comme il fut le seul membre survivant de la race humaine, il hérita de la terre entière. » . On retrouve aussi des morceaux issus des premières démos, comme White Mountain et Dusk (anciennement Family).
Hormis The Knife, tout l’album semble être plongé dans une sorte de brouillard où le temps n’a pas de prise. On passe avec surprise d’ambiances feutrées à des chansons pop aux chœurs éthérés, de moments de douceur grâce au son de la douze corde de Phillips à des moments de pure énergie électrique. Les influences passées sont encore présentes, mais déjà Genesis est ailleurs. La pochette réalisée par Paul Whitehead est un bon support visuel à la musique, bizarrement médiévale, le calme relatif des personnages fendu par un poignard menaçant, est la preuve que sous un aspect encore lisse, ça bouillonne et ça ne demande qu’à exploser en plein jour.
L’enregistrement s’achève et à la mi-juillet, Anthony Phillips décide de plomber l’ambiance en annonçant son départ. Consternation des autres membres du groupe qui perd une pièce maîtresse au moment où tout semblait pourtant aller pour le mieux et sérieuse remise en question. La décision du guitariste ne vient pas de nulle part : « La vérité, c’est que je n’en pouvais plus des tournées, j’avais le trac rien qu’à l’idée de monter sur scène. C’est bizarre, dans les premiers temps, c’est plutôt Peter qui était bloqué, il fallait même qu’un technicien monte sur la scène pour présenter les morceaux car lui en était incapable.(...) ».

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Trespass

Boîte à musique

La désolation est si complète que Tony, Peter et Mike se demandent s’ils vont pouvoir continuer et sont à deux doigts de tout laisser tomber quand ils décident que non, ils n’ont pas galéré pour rien... Pour la peine, ils prennent une décision pas facile, mais nécessaire pour l’évolution du groupe : ils virent John Mayhew qui n’a pas le niveau technique suffisant. Stratton-Smith fait passer une annonce en son nom dans le Melody Maker : « Tony Stratton-Smith cherche batteur sensible à la musique acoustique et guitariste douze cordes. »
Un jeune batteur qui connaît le patron de Charisma se trouve être assez intéressé par cette offre. Un soir, au bar du Marquee, il apprend par Stratton-Smith qu’il s’agit de Genesis. Le batteur est doublement intéressé, connaissant la réputation scénique du groupe. Enfin l’occasion de faire de la scène, pas comme avec ses Flaming Youth qui eux, ont par contre du mal à trouver des dates...
Quelques jours plus tard, Philip David Charles Collins, Phil pour les intimes, passe une audition et se fait embaucher après son essai plus que prometteur. A-t-il un secret ? Oui... Jouant du tambour depuis ses cinq ans, ce petit irlandais à la bouille ronde a en plus une gouaille et une bonne humeur communicative qu’il tient des expériences théâtrales de son enfance (c’est utile une mère travaillant pour une agence de théâtre !). Le gamin a donc des dons de chanteur et de comédien, mais c’est la batterie qui l’emporte dans la liste de ses passions et il va passer de groupe en groupe jusqu’à tomber dans Flaming Youth dont le seul album avait été déclaré album du mois par le Melody Maker, le 1er novembre 1969. Mais comme on l’a dit, le groupe tarde à décoller et Phil Collins préfère aller voir ailleurs. Il joue du tambourin sur All Things Must Pass de George Harrison (sa prestation a d’ailleurs été virée du mixage final) et est approché par Yes (Phil en est un grand fan et connaît bien le chanteur Jon Anderson). Il a rendez-vous pour une audition, mais il ne s’y présente pas. Il se présente en revanche à celle qui se déroule dans la propriété des parents de Peter Gabriel, avec un ami guitariste. Et la chance est de son côté : « Ronnie et moi étions très impressionnés par l’endroit et comme une demi-douzaine de batteurs devaient passer l’audition avant moi, Peter m’a proposé de patienter en plongeant dans la piscine. De là, j’ai pu me rendre compte de toutes les erreurs commises par les autres candidats et quand mon tour est arrivé, j’étais vraiment prêt. (...) ».

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Phil Collins

La carrière de Collins au sein de Genesis commence par des vacances. Le groupe n’a toujours pas de guitariste et s’offre deux semaines de repos avant de remettre ça. Et quand ils remettent ça à quatre, ce n’est pas très facile, mais éducatif : pour imiter le son de la gratte électrique, Tony Banks branche son orgue à une pédale de distorsion. Dans le même temps, Peter déboule avec sa dernière chanson, The Musical Box, et de textes qui avaient déjà tendance à être étranges, le groupe passe à la catégorie chelou... Comment décrire autrement cette chanson qui parle de jeu de croquet meurtrier et de spectre lubrique ? Non, non, vraiment, c’est chelou... Sans guitariste, on ne peut pas dire que ce soit une franche réussite et pour la peine un guitariste intérimaire est embauché le temps de quelques concerts. Le trio fondateur est tellement exigeant qu’il a auditionné près de 80 guitaristes sans en choisir un seul. Le 22 octobre, Trespass sort et reçoit de bonnes critiques et a un succès commercial relatif (six mille exemplaires vendus pour cet album contre six cents pour le tout premier, on peut parler de succès commercial).
Providence toujours, au mois de décembre, une annonce dans le Melody Maker attire leur attention : « Guitariste-compositeur cherche musiciens réceptifs bien décidés à lutter contre la stagnation des formes de musique existantes. ». Celui qui a passé l’annonce est un guitariste de 21 ans, jeune homme solitaire qui pourrait presque être une doublure parfaite de Robert Fripp (leader de King Crimson), Stephen Richard Hackett, jeune prodige de la guitare, fasciné par la guitare douze corde, mais aussi par la fusion des styles rock et jazz a tout pour plaire au groupe. Peter lui téléphone pour lui proposer de venir les voir en concert, mais Hackett se méfie un peu : « J’imaginais que c’était un groupe dans le style encens et Hare Krishna, vu le nom étrange dont ils s’étaient affublés. Mais un de mes amis qui était présent me traita d’imbécile et me conseilla d’écouter Trespass. »
Hackett ne reste pas un imbécile très longtemps et conquis par le disque, il va voir Genesis en concert le 28 décembre au Lyceum de Londres. Conquis également par le concert, il reçoit chez lui Peter et Tony pour passer une audition en janvier 1971, accompagné par son frère, John, à la flûte, il montre son côté acoustique, très classique et épuré. Mais il a aussi son côté électrique qui ressemble suffisamment à du King Crimson pour subjuguer les deux auditionneurs que l’on sait fans...
Caché derrière de grosses lunettes et une barbe épaisse, Hackett pousse l’imitation de Robert Fripp jusqu’à jouer assis pendant les concerts.

D’ailleurs sa première apparition scénique au sein du groupe, le 14 janvier, n’est pas ce qu’on peut appeler une réussite : lui se souvient à peine de ses parties de guitare fraîchement apprises, le stress accentuant encore plus cette petite crise d’amnésie passagère mais gênante et Phil Collins « légèrement » ivre rate sa batterie un coup sur deux et s’évertue à frapper dans le vide avec ses baguettes.
Steve prend heureusement vite le pli et s’intègre très rapidement dans la petite bande. Comme tout se passe bien, Genesis est convié par Tony Stratton-Smith à participer au Charisma Show, série de neuf concerts destinés à promouvoir les groupes de sa compagnie. Le groupe va jouer pour l’occasion avec Van Der Graaf Generator et le petit chouchou du label, Lindisfarne, qui n’a pas laissé un souvenir impérissable, il faut bien le dire.
Le 24 janvier, lors de l’un de ces concerts, l’organisateur, Tony Smith, craque pour Genesis. Deux ans et demie après, il deviendra leur manager et ne bougera plus de cette place.
Pour le groupe qui commence à avoir une solide expérience et renforcé, enfin, du guitariste tant attendu, le show est surtout un moyen de prouver qu’il existe et qu’il n’est pas là pour rigoler, la violence voilée des débuts commence à exploser. Leur professionnalisme surprend et impressionne Peter Hammill, leader de Van Der Graaf Generator : « Les membres de Genesis, contrairement à nous, voulaient déjà à l’époque devenir de grandes stars et leur show était extrêmement cohérent, tout en sonnant parfois assez agressif. Avec Van Der Graaf, le public ne savait jamais à quoi s’en tenir : un soir, nous étions réellement incroyables, le soir suivant, c’était une cacophonie monstrueuse. En concert. 1971Alors que Genesis, qui jouait toujours les mêmes chansons et dans le même ordre, savait maintenir invariablement la même force, quelles que soient d’ailleurs les réactions de la salle. ». Pour couronner le tout, Genesis obtient de bonnes critiques dans le Melody Maker. Il est temps au groupe de s’exporter un peu hors de ses terres britanniques pour commencer à conquérir l’Europe... Enfin l’Europe... D’abord la Belgique, le 7 mars à La Ferme Woluwe St Lambert où ils jouent des chansons inédites et qui le resteront. Le Gab en grande forme mélange anglais et français pour présenter ses chansons, au grand plaisir du public qui se marre bien : Happy The Man serait une chanson parlant d’un homme qui mange ses ongles. Déjà original, mais comme on le verra, il peut faire encore mieux.

Entre deux concerts, le groupe s’enferme dans la maison de campagne de Tony Stratton-Smith de la fin mars au mois de mai. Cette petite pause dans son emploi du temps lui permet de se mettre à jour en refaisant la musique de The Musical Box, morceau auquel il manquait jusqu’à présent la guitare. Petite ombre au tableau, le statut des membres : Banks et Rutherford s’imposent comme le duo de compositeurs et Gabriel se charge des textes et des idées bizarroïdes. Les deux nouveaux venus, bien que parfaitement intégrés au sein du groupe sont surtout considérés comme de simples musiciens. Situation qui convient parfaitement à Collins qui aime par dessus tout taper sur ses peaux, mais qui satisfait moins Hackett qui a des idées de compositions mais n’arrive pas vraiment à les imposer. Frustration qui n’ira qu’en grandissant et qui provoquera un jour son départ. Mais on n’y est pas encore...
Pour l’instant, on en est à la mise en place de leur album à venir et Banks se fait plaisir en s’offrant un mellotron ayant appartenu à King Crimson. De quoi amener de nouveaux sons et rentrer définitivement dans la cour du rock progressif. En août, ils retournent aux Trident Studios et enregistrent Nursery Cryme. L’apport de Phil Collins et de Steve Hackett est tel que l’on se retrouve loin de Trespass : on quitte la brume pour entrer en pleine lumière. Le guitariste amène une certaine sauvagerie aux compositions grâce à un son de guitare qui ne s’embête pas de fioritures et autres effets. C’est tranchant, vif, sec, complexe et ça va de paire avec le jeu de Collins qui fait preuve de virtuosité, alternant roulements rapides et breaks dévastateur. Mais ces deux là savent aussi faire dans la pure subtilité et la délicatesse. Ce qui ne déplaît pas aux trois patrons qui se demandaient encore peu de temps avant s’ils pourraient y arriver sans Anthony Phillips.
Pour la première fois, Peter délègue le chant à Phil sur le deuxième morceau (For Absent Friends), et la surprise est de taille pour le néophyte tant la voix des deux hommes est proche. Il faut vraiment s’y connaître pour pouvoir faire une différence...
Certains trouveront que l’album pèche par manque de cohérence, Tony Banks lui-même n’est toujours pas convaincu : « Je ne pense pas que Nursery Cryme ait représenté un gros progrès dans l’évolution du groupe. Il n’apporte rien de neuf par rapport à Trespass et les deux morceaux les plus intéressants, "The Musical Box" et "The Fountain of Salmacis", sont les prolongements d’idées que nous avion eues lorsque Ant était encore parmi nous. ». On serait tenté de modérer ses propos en affirmant timidement que Genesis fait enfin du Genesis et que ça y est, ils ont LE son.
Le label lui même n’est pas exactement enthousiaste et bâcle un peu la promotion de l’album au profit des inconnus de Lindisfarne. Dommage, car les critiques étaient loin d’être mauvaises... Comme le diront certains membres du groupe, le disque n’a commencé à se vendre que comme objet de collection, une fois seulement le succès arrivé. Même le coup de pouce de Keith Emerson dans le Melody Maker n’y fait rien, il y met pourtant les formes : « Tôt ou tard, ils deviendront énormes et vous regretterez de ne pas avoir été là dès le début. ». Le claviériste serait-il extralucide ? A ce moment de l’histoire, ses avertissements ne sont pas pris au sérieux... En Angleterre. Car la surprise est de taille, le jour du mariage de Gabriel avec sa femme Jill, la nouvelle leur arrive : Trespass est numéro 1 en Belgique. Pour la peine, ils y retournent en janvier 1972, toujours pour le Charisma Show. Lors de ces concerts, le groupe joue de nouvelles compositions qui seront bientôt leurs fers de lance : Supper’s Ready et Watcher of The Sky. Stagnation et The Knife sont toujours jouées en guise de rappel, mais la tendance est nette, Genesis fait le ménage et ne s’embarrasse plus de compositions passées.
Un nouveau bouleversement dans leur histoire se produit au mois de février : Nursery Cryme est un véritable succès en Italie, pays friand, voire gourmand de rock progressif (dans le même classement, on retrouve Van Der Graaf Generator, King Crimson, Emerson, Lake & Palmer et Yes, c’est dire). Décidément, le continent est bien accueillant et Genesis aime à se faire accueillir de la sorte. Plein de gratitude Phil n’hésite pas à clamer : « L’Italie nous a sauvés ! ». C’est beau ! Ca ne fait que commencer...


Horizons

Puisque l’Italie ne peut pas venir à eux, c’est eux qui iront en Italie, au mois d’avril. Et c’est presque de l’hystérie de la part du public, autant dire que nos cinq héros en sont tout requinqués. Ils trouvent l’inspiration pour une nouvelle chanson sur un toit et Peter Gabriel a une révélation en repensant aux années de galère : « On jouait dans les bars d’universités, où ils se foutaient royalement de ce qui se passait sur scène. Alors il fallait capter leur attention et la garder. ». Et pour capter l’attention, Peter choisi une technique radicale : incarner physiquement les personnages des chansons. Ce qui n’est pas très simple quand on décrypte les dites chansons. Ce qui fout la trouille quand on voit la métamorphose opérée par le chanteur : il se rase le haut du crâne (très joli) et apparaît sur scène, le visage blanc d’un pierrot lunaire psychopathe, les yeux soulignés de noir, vêtu de costumes brodés faits sur mesure par des amis à lui, Guy Chapman et Erica Issit. Et ça reste sobre par rapport à ce que ça va devenir, mais c’est déjà pas mal. En tout cas, le Gab ne sera plus jamais le même après ce coup d’essai, en ce jour historique du 28 mai 1972. De chanteur, il devient comédien, la différence est de taille...

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Phil Collins et Peter Gabriel en 1972

Le 26 juin, ils débarquent en France où ils jouent encore pour le Charisma Show, à l’Olympia. Genesis, bien que totalement inconnu dans l’Hexagone, surprend, séduit et subjugue le public. Et Peter Gabriel n’y est pas pour rien, son show est tellement au point qu’un raccourci facile se fait à partir de ce moment : Gabriel est LE leader de Genesis, les autres ne sont que ses musiciens. Idée qui peut sembler justifiée mais qui réveille quelque peu la rancœur de Rutherford et Banks qui restent tout de même les principaux artisans du son Genesis.
Qu’à cela ne tienne, de retour en Angleterre au mois d’août, Genesis a suffisamment de matériel pour enregistrer leur nouvel album au studio Island de Londres. Après trois ou quatre changements de producteurs, dont un qui n’apprécie pas l’utilisation du mellotron sur la chanson d’ouverture Watcher of The Skies , ils finissent par en trouver un pas trop mauvais, mais ils se raccrochent surtout à l’ingénieur du son, John Burns, qui produira les deux autres albums à venir.
A part ces débuts d’enregistrement mouvementés, tout va bien se passer et l’accouchement de Foxtrot va se faire sans douleur. Le résultat va au delà de toute espérance : le son, ils l’avaient déjà, mais une telle cohérence, c’est assez nouveau pour le groupe. Ce disque contient de grands classiques de la période Gabriel, dont Supper’s Ready, déjà cité, mais qui constitue la pièce de résistance, le chef d’œuvre et la synthèse parfaite de tout ce que sait (bien) faire Genesis. Écriture surréaliste inspirée de l’Apocalypse, idée surgie du cerveau d’un Peter Gabriel bouleversé par une expérience hallucinatoire qu’il a vécu avec sa femme Jill et John Anthony, le tout sans l’aide de quelconque stupéfiant (paraît-il). Quoiqu’il en soit, Genesis met en musique une belle palette de sentiments humains, se rapproche étonnamment d’une forme de science-fiction et atteint la perfection (voyez ici un pur avis personnel).

La formule marche enfin et quand l’album sort le 7 octobre, l’Angleterre décide enfin d’y jeter une oreille et il rentre au hit parade. En Italie, il est premier.
Il faut dire que le jeu scénique de Peter Gabriel n’y est pas pour rien. Out le simple maquillage blafard, bonjour les masques tous plus flippants les uns que les autres. Avant la sortie de Foxtrot, Peter a fait un essai, juste pour voir. La scène se passe à Dublin, le 28 septembre 1972, Mike Rutherford se rappelle : « Je me suis toujours senti à l’aise, sauf une fois. On jouait dans une salle de boxe à Dublin. Sur la couverture de Foxtrot, il y avait une femme en robe rouge, à tête de renard. On jouait et Peter est arrivé sur scène avec une robe rouge et une tête de renard ! ».

Quant à Peter Gabriel, il en rigole encore : « Je me souviens de ce moment, quand je suis arrivé avec ce costume. Ca a vraiment fait un choc et terrorisé le public. J’étais content de moi ! J’ai continué ! ». Pour l’anecdote, la petite robe rouge appartenait à Jill.

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The Musical Box

A partir de cette prestation scénique mémorable, Genesis va conquérir un nouveau public. Gabriel avec ses amis stylistes vont créer des masques, des chapeaux, des costumes extravagants qui vont devenir indissociables de tous leurs concerts. C’est peu dire que face au vieillard lubrique de The Musical Box ou scruté par des yeux phosphorescents au début de Watcher of The Skies, les spectateurs sont d’abord déconcertés, surpris puis conquis.
Mais c’est aussi peu dire que les autres membres du groupe prennent les excentricités de Gabriel assez mal. Ils ont particulièrement peur que la musique soit éclipsée au profit de ces incroyables costumes. Il ne peuvent tout de même pas cracher sur le fait que sans eux, Genesis n’aurait pas pu connaître le succès qui a été le sien. En plus des costumes, Peter raconte parfois une histoire censée expliquer la chanson à venir. On dit bien « censée », car ces interludes, qui ressemblent à de véritables petites saynètes sont des petits condensés de non sens et d’humour typiquement british. Là encore, Gabriel met en condition, instaure un climat, comique ou étrange, c’est au choix. Plus que jamais, il arrive à capter l’attention du public pour le mettre en condition d’écoute parfaite. Sauf que les craintes des autres musiciens sont parfois justifiées : le public fait trop attention à Gabriel. Les frustrations s’accumulent, et ce n’est jamais bon dans un groupe...
Mais ils ne sont pas au bout de leurs peines puisqu’ils en sont à peine à la phase de rodage. C’est l’heure de viser plus haut et d’aller voir comment ça se passe aux États-Unis et ce n’est pas exactement dans la poche : la musique du groupe ne semble pas être assez commerciale pour la maison de disque américaine qui ne prend pas vraiment la peine de faire une promo digne de ce nom.
Au mois de décembre, le groupe s’envole tout d’abord pour Boston puis va à New-York, le 9, pour jouer au Philharmonic Hall, devant un public, dont une bonne partie rassemble le bottin mondain du rock. Niveau détente et zénitude, on peut mieux faire. Niveau technique aussi : le concert est perturbé par un bourdonnement ininterrompu, l’orgue de Banks marche au niveau strictement minimum et Peter Gabriel a beau s’exciter avec ses masques, les spectateurs restent silencieux. Le groupe se replie rapidement en coulisses, Rutherford pris de colère jette sa basse à terre et Peter n’a qu’une idée, rentrer en Angleterre. Il faut l’intervention de Stratton-Smith pour qu’ils réalisent que le public applaudit à tout rompre et que c’est un véritable succès.
L’Europe reste quand même leur fief et c’est avec un certain plaisir qu’ils rentrent chez eux.
Même la France est contaminée par le virus Genesis, quand le groupe vient se produire au Bataclan, pour l’émission Pop 2 le 10 janvier 1973, les critiques sont dithyrambiques... concernant Gabriel qui est désormais le centre de toute l’attention. Il faut dire qu’il sort le grand jeu : la tête de renard pour The Musical Box, Supper’s Ready pour mettre l’ambiance puis The Return of The Giant Hogweed et The Knife pour achever le public à coups de lattes électriques bien placées.
Partout où il joue à cette époque, le groupe cartonne auprès du public, mais aussi auprès des critiques. Le concert du 9 février 1973 au Rainbow de Londres marque en quelque sorte l’apogée de cette période et reste d’ailleurs l’un des meilleurs souvenirs de Tony Banks. C’est pour pouvoir avoir une trace de ces concerts que la maison de disque décide de sortir un album live officiel. Face à un refus catégorique du groupe qui ne se sent pas prêt pour tenter l’expérience, Charisma insiste en jurant que ce disque ne sortira qu’en Allemagne. Le groupe accepte un peu vite sans penser que pour lutter contre le piratage, le label va aussi le sortir en Angleterre puis partout en Europe, si bien que leur discographie se trouve augmentée malgré elle de ce médiocre témoignage audio. En juste retour des choses, ce disque est entré dans la légende en créant le mythe de la mort de Richard MacPhail, l’ami de toujours. Cité dans la pochette de Foxtrot comme étant le Sound friend de Genesis, l’album Genesis Live lui est carrément dédié. Sauf que sa photo est accompagnée d’une phrase sobre et assez ambiguë : « Cet album est dédié à Richard MacPhail qui nous a quitté, avril 1973. ». Le groupe va même recevoir des lettres de condoléances, mais ce serait peu juste envers Richard que de l’enterrer aussi vite. La vérité, c’est que pris de panique devant la tournure prise par les événements, MacPhail préfère quitter le navire... pour le moment, puisqu’il reviendra en 1976 et qu’il restera toujours actif pour aider ses cinq amis sur divers enregistrements.
Cet album est aussi important pour Peter Gabriel qui parvient à caser une histoire tordue, dont il a le secret, au dos de la pochette. On comprend pourquoi elle n’a pas pu être mise en musique puisque le chanteur atteint un sommet dans sa narration à la fois fantastique et dérangeante. Pensez donc ! Une histoire de femme qui se déshabille dans le métro et qui une fois nue ouvre son ventre à l’aide d’une fermeture éclair placée à l’entrejambe, laissant tomber ses entrailles sur le sol. Et encore, on ne raconte pas tout, car c’est vraiment compliqué. Le plus savoureux dans tout ça viendra deux ans plus tard quand William Friedkin, réalisateur de l’Exorciste va lire ce petit texte et faire une proposition à Peter. On y reviendra plus tard.

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Genesis aux USA

Pour l’instant, Genesis retourne aux États-Unis, fait deux concerts avec Lou Reed et un avec Richie Havens, mais ce n’est pas tout à fait le même enthousiasme qu’en décembre 72, surtout quand le groupe se produit hors de New-York où il est totalement inconnu...
Rien de mieux pour se refaire une santé que d’aller tâter la scène là où ça marche vraiment. Le 7 mai 1973, ils reviennent jouer à l’Olympia de Paris. Avec Peter Gabriel dans le rôle du frontman qui assure, Genesis fait l’effet d’un bulldozer qui pulvérise tout sur son passage, les critiques français en redemandent. En août, le groupe participe au festival de Reading devant 30.000 personnes. Christian Décamps, chanteur du groupe Ange y était, puisque son groupe y a joué, et se rappelle du passage de Genesis : « [...]La nuit tombée, le mellotron de Banks fait monter vers le ciel une nacelle fixée au bout d’un pied télescopique et dans laquelle a pris place un Peter Gabriel maquillé fluo. Intro de "Watcher of The Skies". L’effet est saisissant. L’ennui, c’est que l’engin n’a jamais voulu redescendre. Aussi, c’est au moyen d’une échelle que le chanteur a pu retrouver ses acolytes et reprendre son micro in-extremis. ». Voilà un bel exemple de ce qu’on appelle poliment les aléas du direct. Et ce n’est pas le seul de ce genre, Genesis a l’air de les attirer...
Le même mois (décidément, l’été les inspire), est enregistré leur cinquième album Selling England By The Pound qui est, de l’avis des musiciens, leur meilleur. Un disque qui sonne tellement anglais qu’on se demande si ce n’est pas une réaction au relatif échec américain. Pour la première fois, ce n ‘est plus Paul Whitehead qui illustre la pochette, c’est une artiste contemporaine appelée Betty Swanwick, ce qui amène une nouveauté de taille, l’illustration du disque ne s’est pas faite à partir de la musique, c’est la musique qui s’est faite à partir du tableau puisqu’il a servi de base à Gabriel pour la chanson I Know What I Like. Pour cet album, la musique se fait plus douce, l’aspect acoustique de Genesis ressort grâce à l’omniprésence du piano et de la guitare douze cordes. En fait, le terme « classique » convient parfaitement à Selling.... Les mélodies s’écoulent avec fluidité, la patte de Hackett est enfin bien marquée puisqu’il s’accorde un long instrumental en composant After the Ordeal, pièce que Tony Banks considère comme légèrement inutile... Pour la première fois également, Phil Collins est crédité pour son chant sur More Fool Me, chanson gentiment sentimentale qui n’annonce pas forcément que du bon, composée par Mike et Phil.

Pour la première fois également, Genesis va placer un 45 T dans les charts avec I Know What I Like, chanson qui n’est pas leur préférée, trop pop, trop Beatles disent-ils. Mais de manière prémonitoire et fort ironique lors des répétitions, le groupe aimait à appeler ce morceau « le tube ». Et puis il y a bien sûr Dancing With The Moonlit Knight qui ouvre magistralement l’album sur un chant a capella de Peter à vous filer des frissons le long de la colonne vertébrale et vous faire dresser les poils de plaisir. L’occasion encore pour Peter d’arborer un magnifique costume de chevalier lors des concerts, que l’on peut voir entre autres sur une vidéo que le groupe a enregistré au mois d’octobre aux studios Shepperton, afin de la sortir de manière régulière (projet qui n’aboutira pas, mais il existe de bons pirates de ce concert filmé). Sur cette vidéo, tout est là, le groupe joue à la perfection et donne la prestation idéale avec les chansons idéales. Pour celui ou celle qui veut vraiment voir ce que c’est que le Genesis grande époque, on ne saurait faire autrement que conseiller de ce procurer un exemplaire de ce film.

Un intrus s'est glissé sur cette photo. Saurez vous le retrouver ?L’album sort en septembre et atteint la troisième place des charts anglais, une autre première dans la carrière de Genesis. Un véritable envol au propre comme au figuré, car Gabriel dans ses nouveaux délires scéniques a décidé qu’il chanterait un passage de The Battle of Epping Forest suspendu en l’air par un fil invisible. Et quand on parlait plus haut des aléas du direct, un incident technique a failli tout simplement tuer le chanteur volant, puisqu’un soir le fil a eu la merveilleuse idée de lâcher. Plus que jamais dans l’esprit du public et de la presse, Genesis est le groupe de Peter Gabriel, idée dont il tente de se défendre dans une interview donnée pour le Melody Maker. En vain... La séparation chanteur/musiciens est incontournable et irréversible et les égos entrent en phase de crise.
Si en plus des problèmes de pognon viennent mettre le bout de leur nez dans toute cette affaire, l’aventure risque de tourner court. Les finances sont tellement mauvaises, par manque d’un manager réellement compétent, que lors du renouvellement de contrat avec Stratton-Smith, ce dernier va leur conseiller de prendre Tony Smith comme manager à plein temps. Il faut dire que le bonhomme est habitué à ce genre de tâches. Pour aider son père lui-même organisateur de concerts, il lui est arrivé une fois d’aider les Beatles à sortir vivants d’un concert. S’étant également occupé des Who et des Monty Pythons, il apparaît comme l’homme de la situation. Il déglutit tout de même à la vue des 200.000 livres de dettes du groupe qui a vraiment dû faire n’importe quoi pour en arriver là...
Il tente de gérer tant bien que mal la prochaine tournée U.S du groupe, hurle quand il découvre que la compagnie américaine n’a pas prévu de concert sur la Côte Ouest et s’arrange pour obtenir des dates au Roxy Theatre de Los Angeles, à raison de deux concerts par jours, pendant trois jours. Et, une fois n’est pas coutume, le public américain non new-yorkais est ravi et les musiciens aussi : le Roxy leur offre enfin la possibilité de jouer dans une salle à l’acoustique impeccable. Au bout du troisième essai, Genesis a enfin réussi à séduire l’Amérique.


The light dies down on Saint-Étienne

Pour célébrer l’année 1974 qui commence, et pour ne pas perdre la main, Genesis repart en tournée européenne avec une escale italienne au mois de février qui rameute pas moins de 20.000 personnes à Rome. Le NME les choisi carrément comme Meilleur groupe scénique de l’année et ils repassent par la France pour enregistrer I Know What I Like et Supper’s Ready pour l’émission Melody. A cette occasion, les producteurs qui ne sont pas chiants du tout, leur font refaire cinq fois Supper... qui ne dure pas moins que 25 minutes et qui en plus est complètement ruiné par un éclairage trop fort, bousillant les effets scéniques de Gabriel.

1974

Re-voyage aux U.S.A en passant par Miami, New-York, Boston et Chicago avec un interlude « vol de matériel dans les coulisses », ce qui les énerve un peu tout de même.
L’été si propice à l’enregistrement d’albums sera cette fois utilisé pour préparer le prochain disque et accessoirement se prendre la tête entre musiciens. L’extravagance de Peter commence à sérieusement taper sur les nerfs des quatre autres et lui même commence à avoir envie de souffler. D’autant plus que sa vie personnelle s’apprête à changer avec la naissance de son premier enfant, il lui faudrait beaucoup plus de temps pour lui, ce que les autres comprennent difficilement. Bon gré, mal gré, ils se réunissent tout de même pour mettre au point le nouvel album à venir. Gabriel a eu une idée issue de la dernière tournée américaine où il a beaucoup étudié ce qui se passait là-bas. Cette fois ci, il est décidé à ancrer son histoire dans la réalité et le monde contemporain. Il a déjà écrit un bon paquet de textes et devant tant d’ardeur et de volonté, le reste du groupe s’incline et choisi de mettre en musique ce concept album qui narre l’histoire, forcément étrange, d’un jeune portoricain appelé Rael. Le compromis choisi est que Peter écrira seul tous les textes tandis que Genesis (au point où ils en sont, on peut réellement faire une séparation entre Gabriel et le groupe) et surtout le duo Banks/Rutherford composera absolument toute la musique. En théorie, car en pratique, Gabriel y va aussi de ses propres compositions. Comme l’inspiration est au rendez-vous, ils se rendent vite à l’évidence : l’album va devoir être double. Ils commencent les répétitions au Headley Grange où ont résidé entre autres Led Zeppelin, The Pretty Things et Bad Company. Les compositions jaillissent seules, comme si c’était un processus tout à fait naturel et malgré quelques accrocs, tout semble être sous les meilleurs auspices.

Un événement inattendu va pourtant venir perturber le travail du groupe : Peter Gabriel est contacté par William Friedkin, fortement impressionné par le texte qu’il a lu au verso du disque Genesis Live . Ce dernier propose alors au chanteur de collaborer sur un film de science-fiction, idée qui réjouit Gabriel qui souhaite ainsi réaliser son rêve de bosser pour le cinéma en tant que scénariste. Le groupe est en revanche beaucoup moins ravi et quand Peter vient leur demander la permission d’y aller, il se voit opposer un non catégorique. Légèrement fâché, le chanteur claque la porte et quitte le groupe, tout simplement. Après quelques jours de doutes, durant lesquels le chanteur n’est pas réapparu, Rutherford craque et l’appelle pour régler la chose. Il lui propose de remettre ses projets à plus tard et de revenir bosser avec eux. Il faut l’intervention de Stratton-Smith et de Tony Smith pour décider Peter à revenir. Sans vraiment en avoir envie. Il vient de comprendre que sa collaboration avec Genesis touche à sa fin.

The Lamb Lies Down on BroadwayAprès maintes engueulades pour enfin finir toutes les compositions, le groupe file au Pays de Galles pour enregistrer The Lamb Lies Down on Broadway. Période cauchemardesque pour Peter Gabriel qui doit faire des aller-retour entre les studios et l’hôpital où sa petite fille nouveau-née se trouve entre la vie et la mort. Avec un tel rythme, le chanteur s’épuise et prend conscience que son statut de rock-star l’empêche de mener une vie familiale et personnelle un peu plus tranquille. Mais en homme d’engagement, il fini d’enregistrer l’album et le groupe réintègre les studios londoniens pour le mixage final, tandis que du côté de l’hôpital les choses se calment et l’enfant retrouve la forme. De quoi mettre Gabriel en joie. Le 2 novembre 1974, c’est un homme transformé qui présente sa nouvelle tête au NME : cheveux courts, barbichette et jeans. On n’arrête pas le progrès du côté de chez Genesis ! Il en profite également pour parler du nouvel album qui va sortir et parle de son appréhension des critiques : « Nous nous attendons à lire pas mal de saloperies à son sujet...C’est un "concept-album", idéal pour que les critiques y plantent leurs crocs acérés. ». Et il devine juste, à sa sortie en novembre, les critiques ne comprennent rien à ce qui se passe et descendent l’album dans les règles de l’art. trop ambitieux, trop en avance sur son temps et trop différent du Genesis des disques précédents, The Lamb ne plaît pas. Même certains fans en sont tous retournés, c’est dire.
Mais comme le groupe n’a plus rien à perdre, il tente une mission commando consistant en une tournée géante de 102 dates (en théorie toujours, Hackett s’est gravement blessé à la main et dès le début, il y a de l’annulation de concerts) entre les États-Unis, le Canada et l’Europe. Il y en a qui grincent des dents, ainsi Phil Collins qui résume la situation : « On a fait 98 concerts avec cet album. On est allé aux USA avant la sortie du double album. Du suicide ! On a joué tout l’album devant un public largué. ». Un public d’autant plus largué que les concerts sont absolument grandioses niveau mise en scène (quand les 1450 diapos projetées derrière veulent bien fonctionner ou qu’un technicien ne fait pas tout exploser en forçant sur les doses de mélange explosif) et que Peter Gabriel a changé totalement de style. Il a même changé de costumes et se retrouve à en porter un tellement improbable que le vase déborde.

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The Slipperman

Phil Collins encore : « Pour moi, il a dépassé les bornes avec le costume de Slipperman. C’est qu’à l’époque, j’étais juste un musicien dans le groupe. Et je m’énervais dans mon coin ! Parce que Peter était toujours trop loin du micro dans ce costume. Alors qu’il était censé être là pour chanter... » . Avouez tout de même qu’un costume jaune où viennent se greffer des espèces de testicules mutants, ce n’est pas très seyant et encore moins pratique. Néanmoins, ça en jette et Philou a beau s’énerver, le public en redemande et les critiques finissent par se détendre.
Un autre qui s’énerve, c’est Steve Hackett qui ne supporte pas ce projet. Il est étonnant de voir d’ailleurs à quel point son rôle est réduit sur scène, Rutherford assurant une bonne partie des guitares. De toute manière, il s’est vu obligé de remiser toute composition personnelle au placard, et pour regonfler un peu son ego en mauvais état après son divorce il enregistrera par la suite le superbe Voyage of The Acolyte, un album extrêmement classique. Pendant ce temps, Collins aussi va voir ailleurs. Genesis est devenu une cage même pas dorée (toujours ces problèmes financiers...). Les seuls qui n’en n’ont pas leur claque, Banks et Rutherford donneraient une jambe ou un bras pour que le groupe continue...

Mais la décision de Gabriel est irrévocable. Il avait parlé de son probable départ avant de commencer la tournée à Tony Smith et annonce la nouvelle à ses collègues au Canada. Comme il n’est pas du genre à laisser ses amis en galère, il décide qu’il finira la tournée et qu’après... Tony Banks, son ami de toujours tente bien de lui faire changer d’avis, mais le chanteur a des arguments trop convaincants pour qu’on s’y oppose. Et chose rare dans le monde du rock, la séparation va se faire sans mal, sans insultes par journaux interposés. Non, elle va se faire en toute amitié et à Saint-Étienne, le tout dernier concert de la tournée The Lamb..., un beau jour de mai 1975.
Phil Collins : « Normalement, nous devions jouer le lendemain à Toulouse mais les places ne s’étaient pas assez vendues : on venait d’apprendre que le concert était annulé. On s’est donc retrouvé ce soir-là à Saint-Étienne, réalisant juste avant de commencer que c’était notre dernier concert avec Peter. Dans les coulisses, il a joué la sonnerie aux morts au hautbois. Puis, nous sommes tous rentrés sur scène. C’était très émouvant... ».
Chose étrange, l’annonce officielle ne sera faite qu’au mois d’août et déjà la presse s’empresse d’enterrer Genesis. Les pauvres ! Si ils savaient ce qui les attend !
Quant à Gabriel, il envoie une lettre aux journaux où il explique son choix. Libre à eux de la publier ou non...
Phil Collins coupe court à toute rumeur d’arrêt définitif : « C’est la décision de Peter et nous allons continuer comme si rien n’était arrivé. ». Et c’est ce qui arriva.

Tandis que Gabriel prend enfin un peu de temps pour lui avant de se lancer dans une carrière solo prolifique (surtout à partir de 86, où il commence enfin à toucher le grand public) qui continue encore de nos jours, Genesis continue à quatre, renforcé de Bill Bruford (ex de chez Yes) puis de Chester Thompson à la batterie puisque Phil Collins malgré ses réticences fini par passer derrière le micro. Les deux albums suivants A Trick Of A Tail et Wind & Wuthering restent dans la veine génésienne des débuts et sont de très bons albums. Mais les choses sont ce qu’elles sont et c’est le départ de Steve Hackett en 1977 qui a marqué l’entrée de Genesis dans le monde de la daube commerciale et un changement significatif de public : après avoir fait taper du pieds de jeunes garçons chevelus et boutonneux, Genesis a fait hurler des filles hystériques. Il ne faut blâmer personne, Phil Collins n’est pas le seul fautif de cette dérive, Tony Banks et Mike Rutherford ont tout de même poussé le vice jusqu’à continuer tous les deux avec un nouveau chanteur en 1997, sans un franc succès, il faut bien l’avouer.


Epilogue

Aujourd’hui, par ces temps de nostalgie aiguë, la mode vintage aidant, on prie pour une reformation du groupe au complet, tel qu’il était à l’époque Peter Gabriel. De nombreuses rumeurs ont circulé et enfin, elles semblent s’avérer vraies : Peter Gabriel aurait confirmé avoir rencontré Genesis pour discuter d’une réunion à l’occasion d’un concert. 1975Plus beau encore, pour ceux qui rêvent de voyager dans le temps, un groupe appelé Musical Box se produit en concert en reprenant toutes les chansons de cette première période, costumes, masques, instruments d’époques et coupes de cheveux craignos inclus. Un mimétisme poussé tellement à l’extrême que l’on a réellement l’impression d’y être, chaque tournée attire de plus en plus de monde et permet un rattrapage aux idiots nés trop tard.

Franchement, c’est pas un peu stupide de dire que Genesis est mort et enterré ?

 [1]



[1Sources :

Ouvrages :

  • F. Delâge, Genesis, La boîte à musique, Ed. Camion Blanc, 1998
  • A. Bayeulle, L. Berrouet, Genesis, Ed. Albin Michel, 1987
  • P. Russel, Genesis, play me my song, A live guide 1969 to 1975, S.A.F Publishing, 2004

Documentaire : Genesis, The Story So Far

Vos commentaires

  • Le 28 novembre 2011 à 10:21, par Genesis France En réponse à : Genesis

    L’intérêt de cette bio sont les témoignages recueillis par les membres-même de Genesis, pour une part lors de leur tournée d’adieu de 2007, et par le reste de TOUS les membres du groupe, ainsi que tous les acteurs de leur équipe.

    Ces récits son regroupés chronologiquement et agrémentés de photos célèbres et inédites, et replace cette histoire de 40 ans de rock dans le contexte de chaque époque.

    Tout passe en revue, la complicité de collégiens, le rêve américain d’adolescents, les premières confrontations avec la réalité du show business de la fin des années 60, l’engagement et l’ambition de musiciens exigeants à la recherche d’une identité à l’encontre de la musique commerciale à l’origine des changements de personnel, puis l’apogée d’une grande entreprise commerciale jusqu’au déclin de la réputation du groupe.

    Le groupe a aussi une grande histoire avec l’hexagone, dont il est très vite oublié par rapport à d’autres pays comme l’Allemagne, l’Italie ou la Belgique dans lesquels Genesis et leurs membres solo continuent d’établir leur carrière.

    Il existe cependant en France un petit milieu associatif qui encourage la venue d’artistes à l’origine du groupe tel que Steve Hackett ou à son développement tardif tel que Ray Wilson.
    Vous pouvez y participer ou vous informer ou y adhérer en vous rendant sur leur site : www.genesisfrance.fr

  • Le 27 septembre 2012 à 15:54, par Dan-Al Blanc En réponse à : Genesis

    Ah ! Genesis, l’essence même de la musique " British ", des envolées de guitares douze cordes aux textes d’influence médiévale, du moins pendant l’ère de l’archange Gabriel. Car lorsque celui-ci ouvre ses ailes pour voler vers d’autres cieux, le petit lutin-bouffon Collins prend sa place au micro et dès lors plus rien ne sera jamais pareil au sein du groupe.
    Fini les concerts théatraux du quintet devenu quartet, à présent c’est la musique seule qui va s’émanciper au point où elle ne sera plus reconnaissable. De musique progressive, elle se transformera rapidement en musique FM et les concerts ne seront plus que des spectacles. De salles moyennes on va passer aux grands arènes où le groupe n’est même plus visibles que par ceux des premiers rangs...

    Entre " Trespass ", " Foxtrot " et autres " Selling England " à " Invisible touch " et " We can’t dance ", on ne reconnait plus ce groupe qui fut un des premiers dans le genre progressif... De " Cinema show " à " Land of confusion ", il y a eu comme un recul, comme si on avait pris une voie qui menait nulle part... Genesis aurait-il vendu son âme pour trouver le sacro-saint succès ? ... Affligeant...

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