Incontournables
Grace

Grace

Jeff Buckley

par Kris le 3 mars 2009

paru le 23 août 1994 (Sony)

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Après des centaines, des milliers, des milliards, des trilliards d’écoutes de Grace, l’effet mystificateur de cette montée en puissance délicate de Mojo Pin reste invariablement intact. Ce chant fin et cristallin, ce cri fragile nous fera encore et toujours tressaillir même après dix ans, même selon les humeurs, selon les saisons, Jeff Buckley a réussi à créer un chef-d’œuvre sur lequel le temps n’a pas d’emprise. Magnifique dans son désespoir, magnanime dans ses plus grands succès, Jeff Buckley en un unique album d’un génie peu égalé, a su se faire une place au firmament des artistes disparus beaucoup trop tôt, aux côtés de ses comparses Nick Drake et Elliott Smith.

La personnalité obsessive et blessée par la vie de Jeff Buckley y est pour beaucoup dans la beauté sombre de Grace. Étoile filante brillante de mille feux d’une lueur quasi-sacrale, ce premier et unique album dépeint un univers extensible et gothique ancré d’un poids humain à la puissance psychique lourde, beaucoup trop lourde... Musicien hors-pair et chanteur hors du commun, Jeff Buckley a développé cet amour de la musique très tôt lorsque jeune et renfermé sur lui-même, il écoutait ses disques seul dans sa banlieue californienne, écoutant Piaf et Led Zeppelin. Fils de Tim Buckley qu’il n’aura pas connu, Jeff Buckley, d’abord né Scott Moorehead, prendra son nom qui est le sien comme signe de rébellion précoce envers sa famille, comme pour renforcer son indépendance vitale, psychologique et sentimentale. Couper tout lien, pour devenir un autodidacte de la vie. Les dix titres de Grace nous explosent en pleine figure comme un électrochoc existentiel, tant cette solitude vécue, toute cette douleur et cette tristesse qui ont macérées dans le cœur maltraité de Jeff Buckley nous parviennent si forts et si poignants.

Chaque titre composé et travaillé jusqu’à la moindre note de cet album suinte la grandiloquence, le lyrisme fantasque du personnage Buckley. Pétillant et extraverti, Jeff Buckley n’en est pas moins cette bête maladive, cet animal désillusionné, cet artiste à l’âme rongé par un désespoir expansif. Grace est un témoignage sans équivoque d’un musicien loquace et d’un être humain dont l’intelligence de l’âme ne souffrait que d’un trop besoin d’amour. Cette voix viscérale réclame un amour inconditionnel qui est la quintessence vitale dont elle a besoin pour subsister. Lover, You Should Have Come Over est criante d’évidence, on est à genoux devant cette justesse dans l’inquantifiable univers onirique de Jeff Buckley. Chaque écoute de chaque morceau, chaque seconde de chaque passage, chaque détail de chaque accord nous remplit notre âme et notre conscience de ce surplus de sentiments et d’émotions que Jeff ne pouvait plus contenir seul. Il a trouvé en des milliers d’auditeurs ce qu’il aura finalement toujours voulu. Juste de l’amour.

Sage et toujours conscient de la portée de ce qu’il faisait, Jeff Buckley possédait cette capacité à sur-exprimer des sensations avec une justesse infinie, sensations que l’on ne saurait nous-mêmes pas ressentir. La musique de l’artiste possède autant d’ampleur dans sa vie que dans sa mort. Follement alarmiste et dépressive lorsqu’il fut encore parmi nous, elle en devient glorieusement annonciatrice et prédictive une fois mort, comme un ultime héritage, un testament légué à qui veut bien l’entendre. Pourtant que de regrets, quelle tristesse inconsolable se fait ressentir lorsque l’on se remet en boucle des chef-d’oeuvres solennels inégalés que sont Grace, Last Goodbye ou Dream Brother. On porte notre regard au loin, vers l’horizon, ou vers les étoiles, et l’on s’imagine cet homme à l’esprit insondé sortir encore un, deux, dix, vingts nouveaux albums pour nous faire ressentir toutes ces sensations vertigineuses comme lui seul savait le faire. Comment ne pas regretter de ne plus pouvoir rester béatifié à une intensité aussi folle qu’à l’écoute d’un Hallelujah ? Jeff Buckley nous a laissé tous orphelins, restant désormais seul accompagnateur secret de nos nuits noires, seul témoin et acteur de nos plongeons dans les abîmes les plus profondes de nos pauvres âmes damnées.

Jamais pareille voix aussi habitée n’aura eu autant d’impact dans le rock de ces dernières années que celle de Jeff Buckley, mis à part probablement celle de Thom Yorke. Celui-ci même qui a été inspiré par la voix de Jeff Buckley pour écrire l’un des plus beaux morceaux de Radiohead, Fake Plastic Trees. On ressent d’autant plus aujourd’hui la perte d’un artiste comme Jeff Buckley, lorsque l’on voit ce dont sont capables les artistes sur lesquels son influence se sera fait sentir. Hallelujah.



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Tracklisting :
 
1. Mojo Pin (5’41")
2. Grace (5’22")
3. Last Goodbye (4’35")
4. Lilac Wine (4’32")
5. So Real (4’43")
6. Hallelujah (6’53")
7. Lover, You Should Have Come Over (6’43")
8. Corpus Christi Carol (For Roy) (2’56")
9. Eternal Life (4’52")
10. Dream Brother (5’26")
 
Durée totale : 51’43"