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L'année 1967

L’année 1967

par Arnold, Fran, Giom, Psychedd, Our Kid, Milner, Dumbangel le 19 avril 2005

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Pour le premier dossier de B-Side Rock, nous avons voulu nous pencher sur une année qui semble importante dans l’histoire du rock : 1967... En effet, cette année a vu naître beaucoup de chefs-d’œuvre qui comptent parmi les références les plus importantes des nos jours. Les Beatles sortent Sgt. Pepper’s, les Rolling Stones Their Satanic Majesties Request, alors que d’autres groupes font leur trou. Jimi Hendrix, The Doors, Pink Floyd et le Velvet Underground sortent chacun leur premier album, posant ainsi les bases d’un renouveau du rock, un nouveau souffle qui repousse ainsi la "mort du rock" dont on nous parle tant, aujourd’hui encore, depuis plus de 30 ans...

Le monde est en ébullition, mais pas seulement au niveau artistique... Le monde bouillonne, sur tous les continents. Le Viêt-Nam est en guerre depuis 1964, la Guerre des Six Jours explose au Moyen-Orient, le Nigéria entre en crise avec la guerre du Biafra (ce qui suscite un grand intérêt des grandes puissances internationales pour des raisons bassement pétrolières...). La conquête de l’Espace suit son cours, la course au nucléaire continue, la Chine fait l’acquisition de la bombe H. Culturellement aussi, le monde change. La jeunesse commence à contester la politique menée par leurs aînés, un mouvement "Flower Power" au mot d’ordre équivoque (Make love, not war !) voit le jour. Par conséquent, les mœurs aussi évoluent, la sexualité se débride, les tabous tombent, ce qui ne manque pas, évidemment, de choquer Monsieur et Madame Toutlemonde.

67, année lysergique...

Penchons-nous sur les good vibes astrales... Écoutez ce que nos amis hippies ont à dire... Oui, la réponse est dans une chanson de Hair « This is the dawning of the age of Aquarius... » « Aquaaaariiuuuus »)

L’ère du Verseau en français. Toujours pour citer Hair, The Age of Aquarius c’est entre autres « Harmony and Understanding, Sympathy (...) Mind’s True Liberation(...) », j’en passe et des meilleures.

1967, le Summer Of Love. Ca y est, c’est lâché. Un été ensoleillé où la seule pluie qui est tombée, c’est une pluie de fleurs et d’acide (n’ayons pas peur des clichés). Le monde occidental est secoué de spasmes nerveux. C’est un véritable état de crise en pleine période de paix qui est déclenché.
Les Freaks, vite dénommés « hippies » parce que ça fait moins peur aux bonnes gens, ont envahi le paysage quotidien. Des clochards célestes, des voyageurs alternatifs, qui baignent dans la béatitude et l’extase.
All You Need Is Love, Paix, Liberté...

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Timothy Leary

« Johnny’s in the basement
Mixing up the medicine
I’m on the pavement
Thinking about the government
 »
Bob Dylan, Subterranean Homesick Blues

1965. Un brasier de draft cards, ordres d’incorporation, s’allume un peu partout en Amérique. La guerre du Viêt-nam fait rage et la jeunesse refuse de cautionner l’action américaine dans ce petit pays d’Asie du sud-est. Le maccarthysme n’est plus aux États-Unis, il s’exporte, c’est la Guerre Froide, les communistes sont la plus grande crainte de la superpuissance.
Le pays le plus riche du monde vit une crise de l’intérieur. Tout est bon pour lutter, la jeunesse n’est pas contente depuis un bon bout de temps. Dans les ghettos noirs, c’est le temps des premiers soulèvements qui finissent pour beaucoup dans un bain de sang.

Bien sûr, l’âge du rock’n’roll est loin, on n’est plus un «  Rebel Without A Cause  », les premiers modèles qu’étaient James Dean ou Elvis ont laissé la place à une contestation sociale beaucoup plus engagée. Il faut compter sur des figures telles Martin Luther King, pour les droits de la population Noire (qui reste en pôle position pour aller se faire tuer dans les rizières), Bob Dylan et le mouvement folk, descendant de la Beat Generation et grand frère de la contre-culture naissante. Et puis des extra-terrestres peints à la Day-Glo, peinture phosphorescente : les Merry Pranksters. Leur « leader » (dans l’idée générale, les Pranksters refusent la notion de chef) est Ken Kesey, un agité du bulbe qui avait déjà fait parler de lui avec son livre Vol Au-Dessus d’un Nid de Coucou, violente critique du monde psychiatrique et hommage à la différence. En 1963, cette joyeuse communauté s’installe près de San Francisco, à la Honda.
La même année, Timothy Leary est expulsé de Harvard et Aldous Huxley meurt.
Le point commun entre ces personnes : l’expérience psychédélique provoquée par l’utilisation d’hallucinogènes puissants. Mescaline pour Huxley, LSD pour les Pranksters et Leary.


Vous avez dit "Psychédélique" ?

Psychédélique ? La définition académique est la suivante : « Néologisme signifiant “qui dévoile, qui déploie l’âme” ». Merci Monsieur Larousse.

Petit historique :
1938 : Le LSD 25 est identifié lors de recherches sur le développement d’analgésiques par le laboratoire suisse Sandoz. Son caractère hallucinatoire est décelé très vite et c’est cette propriété qui va être utilisée entre autre par les SS, dans le cadre d’expériences sur le « contrôle du cerveau ».

1953 : Les rapports nazis saisis sont déterrés et utilisés par la CIA qui passe un accord avec les laboratoires suisses qui fournissent une dose importante d’acide lysergique. Des essais sont faits, à leur insu, sur des soldats du Pentagone. L’un d’eux se suicide deux jours après, les recherches s’arrêtent pour l’armée, mais déjà, le milieu psychiatrique expérimental s’y intéresse, pensant avoir trouvé un remède miracle contre la schizophrénie. Des thérapies, à 500 dollars la séance, voient le jour...

1954 : Aldous Huxley, écrivain anglais, pose les bases du psychédélisme (qu’il appelait, le phanorotymisme, « qui mime une psychose ») dans son essai Les Portes de la Perception, titre issu d’un poème de William Blake (et qui plus tard donnera l’idée à Jim Morrison d’appeler son groupe les Doors). Dans cette nouvelle, l’auteur écrit son expérience sous mescaline et délivre une vision métaphysique du monde.

1959 : Pour se faire un peu d’argent, Ken Kesey sert de cobaye humain dans le cadre d’un programme gouvernemental de recherche sur les drogues à l’hôpital des Vétérans du parc de Menlo. Y sont examinées une variété de drogues psychoactives telles que le LSD, encore légal, la psilocybine, la mescaline et les amphétamines IT-290. En étudiant attentivement le plafond de sa chambre, sous l’effet des drogues, Kesey se dit qu’il tient là l’outil de libération de l’esprit le plus efficace qui soit. Illumination : le monde entier doit connaître cet état de grâce.

1960 : Leary, diplômé en psychologie clinique entre à Harvard après avoir été obligé de quitter l’armée pour alcoolisme et parjure. Là, il substitue le LSD à la psilocybine et, bien généreux, en fait profiter ses étudiants. Sachant que son livre de chevet est Le Livre des Morts tibétains, on peut facilement imaginer que les effets hallucinatoires du LSD et la forme du mysticisme qu’il provoque conduisent le professeur à mélanger psychologie, philosophies orientales zen et tantriques et faire subir des vraies séances d’initiation à ses élèves. De plus cette drogue a une nette tendance à décupler la libido...
On devine bien le désarroi des vénérables professeurs de la prestigieuse université, qui voient d’un très mauvais œil de telles pratiques.

Et nous voilà en 1963, Leary est viré et il emporte avec lui son LSD chéri, son mysticisme et ses adeptes. Lui aussi sera l’homme qui délivrera l’humanité.
Sauf que sa conception des choses diffère totalement de celle de Kesey ! Le premier intellectualise. Les séances sous LSD sont planifiées à l’avance, on utilise la méditation pour contrôler ses visions, tout est codifié.
Le second aborde l’expérience par son aspect festif, ça part dans tous les sens, on se déchire la tête et advienne que pourra. Deux visions, deux mondes qui se rencontreront mais qui ne s’entendront pas, les uns trouvant les Pranksters irresponsables et fous dans leurs têtes, les autres trouvant Leary et sa clique chiants comme la pluie.

Retour en 1965. Le LSD est légal et se répand à une vitesse record dans les milieux artistiques, intellectuels et populaires.

Les Merry Pranksters sillonnent les États-Unis dans leur joli bus psychédélique (Further, Plus loin pour les non-anglophones) qui brille la nuit et qui est conduit par Neal Cassady, héros du livre On The Road de Jack Kerouac sous le nom de Dean Moriatory. Ils filment tout, les flics qui les arrêtent et qui en sortent toujours bredouilles, les passants qui regardent mi-atterrés, mi-amusés, ces clowns psychédéliques qui leur jouent de la flûte du haut du toit de leur engin tueur de rétines...

Déjà, le haschisch est dans les mœurs (bien que prohibé). Bob Dylan a initié les Beatles qui sont devenus des chevelus envapés et qui livrent cette année là leur Rubber Soul. Même année, même Beatles, John et George testent le LSD grâce à un dentiste malhonnête et lubrique qui en verse dans leur café, pensant certainement ainsi obtenir des faveurs des deux stars.


Pendant ce temps en Europe...

Il est temps de parler un peu de l’Angleterre. Le rock’n’roll avait fait des ravages chez les Britanniques, et lancé des petits groupes comme les Rolling Stones et les Beatles, qui eux-mêmes rêvaient de l’Amérique. Les quatre de Liverpool l’avaient déjà conquise, et avaient lancé une vague anglaise sans précédent. Sur cette petite île, l’explosion musicale ne se fait pas attendre.

Le mouvement Mod se tourne vers l’Europe dans le but avoué de s’affranchir des États-Unis. Leur groupe fétiche, les Who arbore fièrement l’Union Jack sous toutes ses formes, vestes, drapeaux... On roule en Vespa, et on va se castagner avec les Teddy-Boys, résidus rock’n’rolliens qui horripilent les jeunes dandys, sur les plages de Brighton. La grande époque quoi !
Ce qui sera bientôt qualifié de British Invasion, c’est une approche élégante et énergique de la mode et de la musique.

Scandale ! Sur Carnaby Street, Mary Quant crée la minijupe et libère les jambes des filles.
Les Who, toujours eux, écrivent l’hymne ultime de la jeunesse : My Generation. Un condensé sous blue (terme désignant les amphétamines dont sont friands les mods) de la révolte adolescente.
« I hope I die before I get old ».

Scandale encore ! Les Stones bravent les bonnes mœurs en faisant connaître leur mode de vie orgiaque. Les relations multiples entre Mick Jagger, Keith Richards, Anita Pallenberg et Marianne Faithfull défraient la chronique. Brian Jones se transforme en pharmacie ambulante. Il y a quelque chose de pourri dans la jeunesse anglaise se disent les aînés flegmatiques qui laissent faire...

Et ils ont raison de laisser faire. Les cultures se mélangent, la jeunesse partage désormais les mêmes valeurs de liberté et de folie. Éloge de la différence toujours. Les cheveux poussent au nom de la beauté naturelle. Et plus les cheveux poussent, plus les jupes se raccourcissent...

À côté de cette évolution se profile celle de la “musique clandestine”, caractérisée notamment par les radios pirates. Comme le dit Pete Townshend : «  Les radios pirates ont joué un grand rôle dans la diffusion de disques peu médiatisés et de nouveaux courants musicaux. Des groupes comme les Who, les Stones et même les Beatles n’auraient jamais pu voir le jour sans elles ». D’une certaine façon, cette forme de radio ne constitua qu’un regroupement de personnages lunatiques, soucieux d’exposer toute leur collection de disques à l’encontre des différents classements discographiques existants. D’un autre côté, c’est un aspect extraordinairement vivant de la pop britannique. Ed Stewart et Kenny Everett ne se prennent plus vraiment de refus de la part des pontes musicales de nos jours mais avec d’autres collègues des stations de radio émettant en dehors des eaux territoriales dans les années 60, ils ont réellement inauguré la traditon des diffusions illégales en Grande Bretagne.

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Radio Caroline

À l’époque, la BBC, monopole d’État pour l’émission de programmes télé et radio, limitait la musique pop à une diffusion hebdomadaire de deux heures seulement. Si bien que l’homme d’affaires irlandais Ronan O’Rahilly décida de combler le vide en créant Radio Caroline, en mars 1964. De larges antennes furent attachées à des bateaux de pêche qui croisaient en dehors des eaux territoriales du royaume. Rapidement, la station conquit 6 millions d’auditeurs quotidiens, faisant des émules auprès de Radio City ou bien Radio Essex qui occupaient des bâtiments construits durant la Seconde Guerre Mondiale dans l’estuaire de la Tamise et délaissés depuis.


John Peel, devenu plus tard une légende vivante de Radio 1, développa à cette époque-là son style tout en douceur à bord de Radio London : « Personne sur le bateau ou dans les bureaux de la station à Londres n’écoutait ce que l’on diffusait. J’ai donc décidé un jour de mettre un terme au format imposé et de passer des disques que j’aimais. Le premier des managers qui a découvert ma combine fut Brian Epstein qui m’appela en disant que l’idée était géniale mais qu’il se demandait ce qu’en pensaient mes supérieurs à Londres. Apparemment, j’étais la première personne à diffuser Sgt.Pepperdans son intégralité. On avait réussi à me refiler le disque au nez et à la barbe de l’éditeur, si bien que j’ai pu le passer en entier ».

Ces diffusions illégales prirent fin peu de temps après cet événement lorsque le gouvernement travailliste promulga un décret interdisant cette pratique. C’est ainsi que Radio 1, sorte de Radio Caroline légale conçue par la BBC, commença à émettre le 30 septembre 1967 en diffusant son tout premier disque, Flowers In The Rain de The Move dont le groupe fut dans la foulée invité au premier show musical de John Peel intitulé Top Gear.

Même en France, ça commence à bouger, un peu, dans les milieux intellectuels. La perfide Albion a beau être l’ennemie héréditaire, la vague de liberté touche une petite minorité, on est voisins tout de même !
D’autant plus que le pays sort depuis peu de la guerre d’Algérie et que de Gaulle est président. On vit dans le passé, les jeunes veulent maintenant se projeter dans l’avenir. Et la guerre du Viêt-nam touche tout autant puisqu’on parle là de l’ancienne colonie d’Indochine. Les Américains ne font que continuer le boulot, au nom d’une autre idéologie, pour d’autres raisons toutes aussi obscures et colonialistes. Les jeunes français choisiront une voie moins pacifique que leurs homologues américains et anglais. C’est le pays de la Révolution après tout... Sans oublier le barrage de la langue qui rend d’autant plus difficile la compréhension des thèmes abordés dans la musique, et une politique beaucoup plus prohibitive concernant les drogues.

Les premières communautés hippies

On arrive en 1966 et tout s’accélère. Les premières communautés voient le jour et s’organisent aux États-Unis. À San Francisco, les Diggers s’implantent et deviennent des figures de proue, des modèles et une aide précieuse pour les mois et les années à venir.

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Diggers distribuant des repas

Groupe théâtral d’avant-garde, libertaire, généralement plus vieux que les hippies, ils s’occupent surtout d’assister ceux qui se retrouvent sans rien. Ils fournissent vêtements et quotidiennement, ils distribuent des repas aux plus nécessiteux, mais ce problème est encore marginal... Autant que le mouvement. On les reconnaît à leurs fripes, rien n’est psychédélique chez eux, ils ne ressemblent en rien aux Beautiful People, hauts en couleurs.

Le LSD est sur toutes les lèvres. Les Byrds partent Eight Miles High, Bob Dylan professe, maniant, avec tout le talent qu’on lui connaît, un double sens qui prête à confusion, « Everybody must get stoned ! » dans sa chanson Rainy Day Women #12 & 35. En tout cas, lui il l’est, stoned... Ça rigole fort, il imagine déjà la tête des squares, des gens réglos, quand ils décrypteront ses paroles... Petit cours de langue : «  stoned » signifie lapidé mais aussi défoncé. Alors oui, c’est bien ça le problème et la blague, les jeunes hip, branchés, se font lapider parce qu’ils sont défoncés... Qu’est ce qu’on se marre ! Et il le faut, parce que ça ne va pas durer...


La Musique Psychédélique

La musique psychédélique voit le jour, elle est là pour retranscrire de manière sonore les effets provoqués par des substances hallucinogènes. Les Merry Pranksters font parler d’eux avec leurs Acid-Tests. Grands happenings, sous le signe de l’expérience totale des sens. La Day-Glo et Le Film des Pranksters pour la vue, des vapeurs parfumées pour l’odorat, de la peinture sur corps pour le (se ?) toucher et du Kool-Aid pour le goût. Le Kool-Aid est une boisson lyophilisée qui est censée ressembler à du jus d’orange. Les Pranksters en proposent à deux parfums : avec ou sans acide. Ces événements rameutent toujours plus de monde, grâce à une excellente communication (il faut dire que, où qu’ils aillent, ils ne passent pas inaperçus les joyeux lurons) et un slogan qui attise la curiosité : « Can You Pass The Acid Test ? » demandent les affiches colorées. Toute latitude est laissée durant la soirée, on prend du LSD ou non, on participe ou on regarde. La seule chose à faire, c’est se laisser porter. Les Pranksters sont tellement à la coule, que leur organisation est généralement catastrophique et que la moitié des Acid-Tests finissent en soirées privées pour eux et leurs nouveaux amis, les Hell’s Angels, qu’ils ont rendu doux comme des agneaux grâce à leur substance fétiche.

Ceux qui ont suivi auront noté qu’il manque l’ouïe.
Pour satisfaire ce sens là, ils ont désormais leur groupe attitré qui anime les soirées « découverte psychédélique », le Grateful Dead, qui joue, aussi défoncé que le public... Après un long apprentissage pour apprendre à gérer leurs trips, ils arrivent enfin à faire coïncider leurs hallucinations avec les sons qu’ils jouent (chose qu’ils font également lors du mixage de leurs albums, si bien que c’est assez souvent de la bouillie sonore). La musique s’étire, les trois minutes officielles sont largement dépassées.

De grandes jams sonores deviennent la marque fabrique de plusieurs jeunes groupes tels le Pink Floyd de Syd Barrett en Angleterre. Ces jeunes sauvages jouent fort, et faux vous diront certains puristes de l’époque. C’est qu’ils font des reprises de standards blues et R’n’B (rythm’n’blues, le vrai de vrai, celui des Stones, pas des Destiny’s Child !) qui durent plus d’un quart d’heure.

Et puis, bien sûr, il y a les Beatles qui eux rendent l’expérience psychédélique en trois minutes avec le fantastique Tomorrow Never Knows, imprégné d’acide de la voix à la musique en passant par les paroles. Ça y est, les ex-gendres idéaux dominent la pop-music d’une tête de géant. Et on parle d’un géant, très, très grand... 1ère chanson enregistrée pour l’album Revolver, c’est l’œuvre d’un Lennon quasi-christique qui nous chante en langage codé du haut de son petit nuage chimique. Les paroles sont inspirées de la réécriture par Timothy Leary du Livre des Morts Tibétains.

« Turn off your mind/
Relax, and float downstream
[...] »

Allusion directe au mode de vie prôné par Leary dans sa célèbre devise : « Turn on, Tune in, Drop out » soit « Branche-toi (aux événements), Accorde-toi (aux vibrations ambiantes), Laisse tout tomber (pas besoin d’en dire plus !) ». Le problème, c’est que très vite, ça « drop out » sévère... Nombreux vont être les martyrs de l’ère psychédélique. Mais on n’y est pas encore, pour l’instant, tout va bien, tout est OK, tout est beau.
Le LSD branche l’esprit sur un autre niveau de conscience, il écrase l’ego et ôte toute violence. Tout comme la marijuana qui fait rigoler et rend tout mou.
Dans le monde de la musique, on a une seule idée, faire mieux que les quatre anglais magiques. S’engage une course effrénée avec les Stones en Angleterre et les Beach Boys en Californie. Revolver est d’ailleurs une réponse au Pet Sounds de Brian Wilson. Ce dernier deviendra fou en voulant enregistrer sa « symphonie adressée à Dieu », l’album maudit Smile qui a enfin vu le jour en 2004.


Un autre OVNI agit du côté des États-Unis : The Mothers of Invention menés par Frank Zappa, l’homme à la moustache et aux beaucoup d’albums (on avance le chiffre de 100). Chouchou de la contre-culture, il ne cadre pas du tout avec le paysage. Il refuse en effet toute absorption de drogue ou d’alcool au sein de son groupe. Il se fout même de la gueule de ces petits jeunes : « Hey punk ! Où vas-tu une fleur à la main ? ». Respect...

Musicalement, vers 1967, l’ère des albums était arrivée et la beat music morte ; la pop psychédélique avait balayé de plein fouet le Royaume-Uni. Ces mouvements n’avaient jamais pris racine aux États-Unis et les groupes garage étaient proche de l’extinction, leurs singles ne se vendant que médiocrement. Un nouveau type de public émergeait : des fans ayant développé une réflexion poussée à propos de la scène musicale en Angleterre et qui en demandait toujours plus.

C’est à ce moment que fleurissent dans les studios britanniques des expérimentations sonores. Des producteurs comme Joe Meek ou Sir George Martin mettent au point des effets comme le phasing (qui donne un effet planant à des morceaux comme Here Comes The Nice des Small Faces) ou les bandes inversées (Tomorrow Never Knows) qui deviennent désormais de rigueur pour chaque enregistrement, tout comme les techniques de feedback développés par les Yardbirds, les Who ou les Beatles (cf. l’intro de I Feel Fine). À cela s’ajoutent la pédale wah-wah (développée pour Clapton sur Strange Brew) ou encore la fuzz box comme sur Think For Yourself des Beatles. Toutes ces innovations contribuent à enrichir la palette sonore.

Parallèlement et pour diffuser ces idées, de nouvelles maisons de disques et des labels, comme Planet du producteur Shel Talmy ou Immediate d’Andrew Loog Oldham voient le jour pour contrecarer l’oligarchie de quelques majors qui contrôlent le marché britannique. Cette émergeance poussa des maisons de disques comme EMI ou Decca à s’ouvrir à de des idées moins conventionnelles.

Et puis, les choses se gâtent. Le 6 octobre 1966, le LSD est officiellement déclaré illégal. Moment où les autorités comprennent que c’est plus un médicament qu’un outil de torture. Les politiciens conservateurs et la CIA considèrent dès lors cette drogue comme extrêmement dangereuse, car elle possède le pouvoir d’ouvrir l’esprit des êtres humains. Et c’est à cette occasion que des milliers de Freaks se réunissent pour un immense Human Be-In (rassemblement de masse qui comprend danse et concerts gratuits...) dans le Golden Gate Park de San Francisco. Ce jour là, sous l’œil des policiers venus pour surveiller cette racaille chevelue, ça s’envoie en l’air dans tous les sens... Naturellement et chimiquement, grâce à Owsley, fournisseur officiel de l’équipe Pranksters.

Le lendemain, une politique de répression s’organise, et les flics font une descente musclée dans les communautés. Ken Kesey a été obligé de fuir au Mexique après avoir été arrêté pour la possession de trois grammes de marijuana et menacé d’une peine très lourde de prison. Désormais, la pression va être de plus en plus forte et nombreux seront ceux qui vont craquer. Pour l’instant, il est hors de question d’abandonner cette liberté.


Le Summer Of love

L’année 1967 va démarrer et avec elle l’espoir d’un nouvel avenir arrive.
Débuts un peu ratés pour certains. Le 29 janvier, à Londres, Mick Jagger, Keith Richards et Marianne Faithfull sont arrêtés et inculpés pour possession et usage de stupéfiants. Ils seront finalement relâchés et condamnés à des peines bénignes. Mais voilà, maintenant on le sait « Big Brother is watching you. »
La musique est partout. Jefferson Airplane, Grateful Dead, Moby Grape, Quicksilver Messenger Service, Big Brother & The Holding Company sont les têtes d’affiches à San Francisco. Les Doors et Love à Los Angeles. Et le Velvet Underground d’Andy Warhol à New-York.
Ils jouent chaque soir dans des salles devenues mythiques : le Fillmore, l’Avalon Ballroom, le Whisky-A-Go-Go...

Les affiches aux motifs psychédéliques apparaissent et fleurissent partout. Nouvelle forme d’art, visions sur papier où dessins et textes se mélangent, parfois jusqu’à l’incompréhension totale.
En Angleterre, c’est la même histoire ! Les lieux où il faut être : l’UFO, résidence secondaire de Pink Floyd, sa musique barrée et son light-show qui fait tourner les têtes et le Middle Earth. Paul McCartney lui-même vient s’asseoir au milieu du public. Il est le premier Beatles à s’intéresser au psychédélisme. Il va écouter de la poésie, de la musique contemporaine, il finance l’International Times (IT), premier journal underground anglais. Lennon, lui, prend tellement d’acide pour annihiler son ego trop fort qu’il finit par se prendre pour Jésus et le fait savoir à ses collègues en les appelant un par un au téléphone à 4 heures du matin. Quant à Harrison, il file en Inde pour suivre l’enseignement de Ravi Shankar et le maniement du sitar. Grâce à lui et à ses chansons indianisantes, l’Orient va faire un bond phénoménal dans le conscient collectif et va devenir le lieu privilégié d’échouage des hippies, le must étant d’aller vers Katmandou et ses sommets toxiques. Et Ringo... Ben, il est cool quoi...

1967... L’année des chefs-d’œuvre absolus, albums parfaits, témoignages d’une époque, au cœur de l’action, sans mensonges. Les Beautiful People dansent et pensent. Ils pensent à l’Amour, à la Paix, au futur qui se promet d’être magique. C’est dans l’air... Il va se passer quelque chose.

Le mouvement ne fait que s’étendre. Chaque jour, de nouveaux arrivants débarquent aux endroits où il faut être. Particulièrement dans le Haight Ashbury où ça vire à la folie collective. Les parcs sont pris d’assaut, on y passe la moitié de son temps et quand on ne sait pas où pioncer, il reste l’herbe et les couvertures données par les Diggers. Bientôt, la Free-Clinic ouvre ses portes afin de soigner gratuitement les bobos de l’amour (herpès, morpions, hépatites...).

Ses murs se couvrent d’avis de recherche pour des gamins qui prennent le large de chez eux. Grande tradition américaine la vie sur la route, depuis Kerouac et les « Beatniks ». Et puis toujours Bob Dylan. Ils sont « Like a Rolling Stone ». Ils y vont, c’est tout. Ils tournent le dos à leur vie étriquée, aux valeurs parentales.


Les communautés voient passer des tas de gens. Certains restent, d’autres vont voir ailleurs... Le 27 avril, à quelques heures d’intervalle, la 1ère grande manifestation du Summer Of Love a lieu à New York et à San Francisco. Rassemblement d’une dizaine de milliers de jeunes dans les parcs, toujours... On vient écouter de la musique et des orateurs venus prêcher la bonne parole. On fait l’amour, on fait la fête. La vie est belle... Et rose... fluo... Les esprits s’unissent quand ils quittent les corps. Avec leur force mentale, ils vont tout changer, ils sont remontés à bloc nos Flower Children.

Le 1er juin, les Beatles sortent Sgt.Pepper’s Lonely Hearts Club Band, le 21, à l’occasion du solstice d’été, une retransmission télévisée mondiale est organisée pour promouvoir leur chanson All You Need Is Love. Total Good Vibrations, trop groovy ! Les demi-dieux ont béni de leur regard bienveillant cette belle saison.

Nos freaks voulaient un débarquement extra-terrestre pour l’été, ils devront se contenter du premier festival géant où toute une génération vient acclamer ses héros et ses porte-parole. C’est là que les réputations vont naître, là que les légendes sont créées.
Le Monterey Pop Festival qui eut lieu les 16, 17 et 18 juin entre Los Angeles et San Francisco.
Toujours faute d’ovnis, les cinquante mille spectateurs attendent les Beatles. Qui ne viennent pas pour cause de voyage en Inde, à la recherche d’un gourou. Pas plus que les Beach Boys et les Stones pour diverses causes juridiques. Seul Brian Jones y sera vu, traînant avec les vedettes. Mais il n’y a pas que des vedettes, les producteurs souhaitant offrir la plus grande diversité de musique possible et la promotion de petits groupes ma foi, forts sympatoches...

Liste non-exhaustive qui fait baver. Étaient présents : Jefferson Airplane, Grateful Dead, Janis Joplin & Big Brother, The Mamas & The Papas (dont le guitariste était un des producteurs), les jeunes Simon & Garfunkel, Canned Heat, Ravi Shankar(qui a tant bien que mal essayé de persuader le public que prendre de la drogue, ce n’est pas nécessaire pour apprécier la musique. Il y en a qui rigolent encore), The Who, Jimi Hendrix (qui sacrifie sa guitare au public en y mettant le feu), le miraculeux Otis Redding, peu connu du public blanc mais qui réussi tout de même à faire groover une audience jusqu’alors parfaitement inactive grâce à ses chansons soul efficaces (et sa reprise de Satisfaction des Stones). 10 ans après que le R’n’B noir ait été étouffé par le R’n’R blanc, la musique reprenait ses droits. On pouvait désormais compter sur Otis aux côtés d’un Chuck Berry ou d’un Little Richard. Sa carrière s’achèvera tragiquement moins d’un an après, au cours d’un accident d’avion, mais il est resté un artiste majeur, encore influent de nos jours...
Modèle de tout festival, toujours imité, jamais égalé, comme dirait l’autre.

En Angleterre aussi on organise des festivités psychédéliques. Le « Rêve en Technicolor » (« 14 Hour Technicolor Dream Free Speech Festival »), est le plus célèbre de ces happenings musicaux et artistiques. Il se tient dans la nuit du 29 au 30 avril 1967 à l’Alexandra Palace, Muswell Hill, Londres. L’évènement eut lieu en soutien au journal underground International Times dont les bureaux avaient été perquisitionnés par la police.

En tout, ce sont 7.000 personnes qui se pressent dans l’immense hall, alléchés par l’affiche qui annonce des artistes réunis autour de la défense du journal comme les Pretty Things, Pete Townshend, Soft Machine, The Creation, The Move, John’s Children, The Crazy World Of Arthur Brown, Yoko Ono, Ron Geesin et Pink Floyd comme clou du spectacle... Musique, danse et lecture de poésie au programme. Le concert servit de catalyseur du mouvement psychédélique émergeant sur l’île. Comme d’habitude, une rumeur persiste sur la présence des Beatles. Toujours faute de Beatles au complet et sur scène, il est à noter la présence de John Lennon, qui pour la première fois, contrairement à Paul qui connaît bien cette scène émergente, vient tâter le terrain et découvrir le monde de l’underground. Bien que Yoko soit présente, ce ne sera pas encore le temps de leur grande rencontre. Seulement un présage...

Tout l’été est marqué par de grands rassemblements, et vit au rythme de la devise bien connue, Sex, Drugs & Rock’n’Roll, sainte trinité de la jeunesse. Certains intéressés donnent une description de l’ambiance. La palme revient à Paul Kantner, guitariste de Jefferson Airplane :
« Ce ne fut peut-être pas l’été d’amour, mais l’âge d’or de la baise, sûrement ! »


Chronique d’une hécatombe

L’été dure le temps de l’été, après, le temps se prête moins à la fête.

Automne 1967 : le Haight Ashbury est devenu un lieu de passage obligé pour les touristes en manque de sensations. Et ils arrivent, en famille ou même parfois en bus, leurs appareils photos autour du cou, les flashs qui crépitent.

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La mort des hippies

Le vendredi 6 octobre,une grande cérémonie a lieu sur les hauteurs de San Francisco. Ils sont tous là, les enfants de l’amour, ils vont tuer le mouvement hippie. Enfin, symboliquement tout du moins. Parce que justement, on leur a donné le nom de hippies, car c’est bien connu, il suffit de donner un nom aux choses dont on a peur pour que ce soit tout de suite moins effrayant. Cette dénomination, ils ne l’ont pas choisie les Beautiful People, ils refusent les étiquettes d’après ce qu’ils disent (ils aiment quand même se faire appeler les Freaks, les Dingues...). Mais ils en deviennent prisonniers, ça devient une image d’Épinal. La mode est aux colliers de perles et aux atours les plus colorés et ce, partout, dans les quartiers les plus chics de Los Angeles, de Hollywood, de New York. Une image formatée. Désormais, les jeunes américains s’habillent en « hippie chic ». Et ce qui était de la récup’ de fripes à l’origine devient un mouvement de mode qui coûte une fortune dans les magasins les plus classes.

Alain Dister [1], correspondant français pour Rock & Folk raconte la scène dans ses carnets de voyage aux États-Unis entre 1966 et 1969 :

« [...]Un mannequin dans un cercueil est paré à la manière des jeunes branchés que l’on aperçoit parfois du côté de Union Square. Tout ce qui de près ou de loin évoque l’imagerie hip véhiculée par les médias - colliers de perles, posters et jusqu’à ces fameuses fleurs qu’on est censé porter dans les cheveux dès lors qu’on aborde aux rivages de San Francisco -, tout ce bric-à-brac vendu au long de Haight Street par les jeunes entrepreneurs du « hip capitalism » va être brûlé en grande cérémonie, sous l’œil impavide des cops bienveillants et qui en ont vu d’autres. »

Cérémonie pour le moins prémonitoire, car comme on dit vulgairement, ça sent le sapin dans le Haight Ashbury...

Le flux continue, impossible d’endiguer l’invasion.
Remercions Scott McKenzie, relayé en France par Johnny himself « Si tu vaaaas à San Franciscoooo, n’oublie pas les fleurs dans tes cheveux... ».

Mais ils arrivent un peu après la bataille et ils ne traînent certainement pas dans les crashpads, les squats bourrés de runaways, de junkies, de clodos...
Et puis surtout... L’héroïne et le speed commencent à remplacer l’acide. Ça disjoncte grave dans les têtes, le viol collectif devient un véritable sport de compétition. Il suffit de droguer à mort une jeunette qui débarque toute fraîche et innocente et profiter que son esprit parte en station orbitale. Les pauvres gars qui déraillent sont envoyés presto dans la vallée de Napa, no man’s land psychiatrique où l’on tente de les faire revenir sur terre. On signale des meurtres et des agressions à coups de couteau pour des histoires de dope ou de filles.

Pendant ce temps, les communautés sentent le pipi de chat. Ambiance... Quand on a de la chance, on ne mange pas un repas bourré d’acide par un cuisinier facétieux. Et cette révolution tant attendue qui ne vient pas. Les plus engagés commencent à désespérer. Au final, toute activité devient inutile. On contemple son plafond en repassant le même disque inlassablement, parce que tout effort est insurmontable.

L’autre chose à faire, c’est la manche, pour avoir de quoi se doper et peut-être de quoi manger, pieds nus, enroulé dans les couvertures des Diggers, visiblement effarés par la tournure que prennent les événements.
Les premières (grosses) têtes commencent à tomber. Certains héros sombrent dans la folie et la schizophrénie, d’autres meurent. Tristes, mais néanmoins célèbres exemples, que sont Syd Barrett, Brian Jones, Brian Wilson... Mais ils ne sont que les premiers. D’ici trois ans, la rubrique nécrologique ne désemplira pas...Finalement, ils ne sont pas si loin d’un James Dean. Retour aux sources...Vivre vite, mourir jeune et beau... Épitaphe d’une justesse et d’une cruauté intolérables...


Les autres héros ? Très vite, ça va être l’ego-trip, une qualité musicale discutable, voire douteuse pour certains. Jusqu’à ce qu’ils rentrent dans la légende...
Et pourtant, tout avait si bien commencé. Tant qu’on était dans l’underground, dans les milieux alternatifs. Mais voilà, on ne lutte pas contre le système, c’est lui qui œuvre contre vous. Dans des pays consuméristes en plus ! Ne soyons pas défaitistes, ce n’était pas couru d’avance, mais ce n’était certainement pas gagné non plus. Tout était à faire, normal que ça dégénère quand on y va à l’aveuglette et sans repères. Quitte à écrire l’histoire, autant y aller à fond.

Les survivants de l’ère psychédélique vont rester jusqu’à la fin des sixties. Avant, que les drogues dures ne soient définitivement plantées comme une seringue dans tous les bras. Il y aura bien quelques soubresauts, un regain de conscience collective, mais ça ne durera pas.

1968 sera l’année violente partout dans le monde, rien qu’en Angleterre où le message du soulèvement sera relayé par des Stones plus vindicatifs que jamais avec leur Street Fighting Man, appel à la guérilla urbaine, écho de la révolution en Chine, de Mai 68 en France, du Printemps de Prague, des offensives de plus en plus meurtrières au Viêt-Nam, du soulèvement des Black Panthers... Une radicalisation nécessaire pour certains après une telle débauche d’amour et de paix.

L’hiver est la pire des saisons, quand tout est désolation et tristesse...
Quand les fleurs fânent...

 [2]


Les albums de 1967

The Beach Boys, Smile

Et dire que l’un des albums majeur de 1967 n’a jamais vu le jour. Tout du moins à l’époque. Son nom : Smile. Le groupe : The Beach Boys. Son auteur : Brian Wilson. OK, je vous vois sourire. Oubliez les tubes surf que Capitol Records nous fourgue depuis bientôt trente ans dans chacune de leur compilation annuelle du groupe. Le meilleur des Beach Boys est là. Smile devait être l’aboutissement d’une carrière nouvelle qui se profilait pour les Beach Boys. Pet Sounds avait ouvert la voie. Succès critique unanime, mais échec commercial (relatif bien évidemment) pour un groupe qui avait aligné succès pendant des années. Peu importe. Wilson accumule les heures de studio à écrire et à élaborer les morceaux parfois avec Van Dyke Parks, son compagnon de co-écriture. Ce qui en résulte se révèle être véritables petites vignettes musicales baignées de naïveté, dont Good Vibrations en est le plus bel ambassadeur. Débordant d’idée sous l’impulsion de substances illicites, Brian case cinq six mélodies ou idées dans un même morceau. Le projet prend forme. Une face (Americana) sur l’Amérique, fantasmagorique à souhait, celle des pionniers qui en furent les bâtisseurs. L’autre (The Element) ayant pour sujet les quatre éléments (le feu, l’eau, la terre et l’air). Brian Wilson est prêt à livrer au monde un album hors norme et hors temps, conceptuel avant l’heure, entre avant-garde et classicisme dément. Les pochettes sont même fabriquées. Le monde est enfin prêt à recevoir Smile. Mais l’aventure s’arrête là. Net. Alors que le projet a pris énormément de retard, même s’il est pratiquement achevé, usé par les drogues qu’ils consomment avec excès et par les querelles internes avec les autres Beach Boys qui ne se reconnaissent point dans cet album bizarroïde à souhait, c’est un Brian Wilson sur le fil du rasoir qui remise le projet au placard. La raison ? Elle a pour nom Sgt. Pepper’s. Les Beatles ont gagné la course. Wilson baisse les bras. Il a perdu la bataille. Dès lors, Brian perd tout intérêt pour l’album et pour tout à vrai dire. On ne croisera dès lors plus que le fantôme, l’ombre d’un génie qui un jour rêva de révolutionner la pop music. La course à l’innovation que se disputaient les Beatles et Brian à l’époque était à ce prix.

The Beatles, Sgt.Pepper’s Lonely Hearts Club Band

Perçu par beaucoup comme le sommet de l’œuvre du groupe, Sgt.Pepper’s Lonely Hearts Club Band reste un album qui explique à lui seul l’évolution et l’apparition d’un certain nombre de courants en Angleterre et en Amérique. Il faut envisager l’album d’un double point de vue : celui de son contenu et celui du rayonnement de son contenu. De cet album, on a surtout vanté la complexité, l’élaboration (registre instrumental étendu, plus de six mois d’enregistrement alors que le premier album s’était fait en 1 jour !). La chose aujourd’hui semble banale mais l’idée était neuve, et sa réalisation, pleinement réussie, extirpait le rock du ghetto en lequel les tenants de l’académisme musical l’avaient enfermé depuis toujours. Les paroles des morceaux tuaient le préjugé selon lequel les musiciens de rock étaient incapables d’exprimer autre chose qu’une vision débile de l’amour et quelques rêves stéréotypés (cf. Fixing A Hole). Et les auditeurs, envoûtés, découvraient les poèmes de Lennon, ces petites pièces accessibles à tous, que traversaient des personnages aussi vivants que leur créateur (Mr Kite, la fille de She’s Leaving Home) ; tout une vision du monde. 40 ans après sa parution, on comprend que Sgt.Pepper’s Lonely Hearts Club Band est bien davantage qu’un disque : c’est un livre, un film, c’est le fameux multimédia que tant de groupes auraient voulu créer.

The Beatles, Magical Mystery Tour

La bande sonore du téléfilm du même nom, diffusé pour la première fois le 26 décembre 1967, comporte des titres publiés en simple au fil de cette année décidemment faste, plus six chansons aussi étrangères à l’atmosphère de Sgt. Pepper qu’à celle du double blanc paru l’année suivante. Musicalement, Magical Mystery Tour laisse, aujourd’hui plus qu’hier, la sensation d’avoir constitué un voyage que rien ne laissait présager, et qui restera sans suite. Côtoyant I Am The Walrus, sommet de l’ensemble, admirablement chanté par Lennon et porté par d’admirables paroles, Your Mother Should Know, ballade commerciale un peu désuète, Flying, morceau instrumental composé par les Quatre réunis, le facétieux Baby You’re A Rich Man, face B de All You Need Is Love, né du collage d’une chanson de McCartney et d’une de Lennon, le Blue Jay Way de Harrison, orné d’effets « à la mode » (phasing, voix nasillarde, paroles lysergiques...) et le très attachant The Fool On The Hill, rappellent, par l’étrangeté de leur écriture et de leur traitement instrumental (prédominance du sitar et de la flûte), que les Fab Four ont été un temps fasciné par un certain Maharishi que trois d’entre eux dénoncèrent après coup comme un imposteur. Cet épisode sera une sorte de parenthèse dans l’histoire du groupe, qui sera sérieusement traumatisé par l’échec du téléfilm, au bout du compte peut-être plus « fouillis » que réellement « nonsensique ».


Tim Buckley, Goodbye And Hello

Goodbye And Hello est l’album du grand tournant, le disque charnière. De façon très significative, l’album, en marquant une cassure au sein de l’œuvre (peu développée) de son auteur, annonçait celle qui allait bientôt s’opérer dans le monde du rock tout entier : à savoir ce que la critique appela « l’essoufflement de la première vague des groupes de rock ». Il y a dans Goodbye And Hello un courant intense, un jeu de forces inconscientes et incontrôlées. C’est un disque qui allie la perfection esthétique (Knight-Errant) selon la conception qu’en avait Buckley, à l’errance mentale (Hallucinations), la volonté manifeste de pénétrer chez l’auditeur les zones réputées inutilisées de l’esprit (Goodbye And Hello) et de laisser jaillir les pulsions dont ses musiciens ont appris l’existence (No Man Can Find The War). Tous les morceaux sonnent différemment et il y a en un seul titre plus d’idées que n’en exprimerait un chanteur-compositeur contemporain en un double album. Le dernier morceau, Morning Glory, laisse la voix du chanteur dans une instrumentation qui annoncera d’autres voyages.

The Byrds, Younger Than Yesterday

De sa déclaration d’intention qui ouvre l’album avec le single So You Want To Be A Rock’n’Roll Star - classique repris notamment par Patti Smith et qui évoque de façon lucide la mutation en marche dans l’industrie discographique de L.A. en cette année 1967 - au morceau final Why ?, nous sommes en présence d’un album crucial pour l’avenir de la musique américaine. Las des 45 tours des Monkees et autres pseudo-artistes, le groupe, à l’instar de leurs amis Beatles perçoivent que les choses changent. Comme Fifth Dimension, l’album précédent, Younger Than Yesterday, paru en février 1967, n’est rien d’autre qu’une collection de morceaux hétéroclites mais qui furent tous décisifs pour la mise en place du country rock (Time Between de Hillman) un an plus tard. À cela s’ajoutent les expériences psychédéliques de Crosby, membre le plus « friscain » du groupe, grâce à Mind Gardens, ou l’évocation du music hall des années de la Prohibition (Everybody’s Been Burned, face B du simple sus-mentionné). Mais ce qui justifie réellement sa présence dans les albums phares de l’année réside surtout dans ses expérimentations avant-gardistes et notamment à travers le thème de la SF (CTA-102) de McGuinn ainsi que par le travail de production de Gary Usher (bandes inversées, claviers, voix d’extra-terrestres...). Bien que composés séparément, telles les chansons du White Album des Fab Four, ces titres dévoilent pour la dernière fois l’alchimie qui reliait les différents membres du combo puisque c’est précisément cette année-là que David Crosby, moustache pirate toute voile dehors, s’acoquine avec la nouvelle scène musicale de San Francisco et devient le leader par défaut. Malgré son échec relatif dans les charts, Younger Than Yesterday (originellement appelé Sanctuary), dispose toutefois d’une perle pop (Thoughts And Words) et d’un classique dylanien intitulé My Back Pages faisant la jonction entre passé et avenir, bref, un album représentatif de l’époque.

Cream, Disraeli Gears

Sûrement le meilleur album du power trio qui influença Hendrix, Disraeli Gears est significatif de ces groupes qui auparavant faisait du R’n’B et qui ont su prendre le virage psyché de la plus belle des façons. Il suffit de voir la pochette pour s’en rendre compte. Composé de trois virtuoses de leurs instruments respectifs (Eric Clapton, Jack Bruce et Ginger Baker), Cream est en effet considéré comme le premier « supergroupe » et au moment où sort Disraeli Gears (deuxième opus du groupe), Clapton, considéré par beaucoup comme un guitariste inégalable, est au sommet de sa gloire. L’album est une merveille qui marie plusieurs influences. Certaines paroles sont de Pete Brown, un poète de l’époque qui s’associait aux compositions de Bruce. On retrouve l’un des hits majeurs du groupe : Sunshine Of Your Love, au riff qui a déchaîné des passions chez plus d’un guitariste débutant. C’est sur Strange Brew que la pédale wah-wah est pour la première fois utilisée dans un morceau. Enfin, la complainte finale Mother’s Lament, chantée a capella par tous les membres du groupe, apporte une tonalité tragi-comique à la fin d’un disque à (re)découvrir.


The Doors, The Doors

The Doors doivent leurs nom au poème de William Blake (Les Portes de la perception) comme nous l’avons précédemment indiqué. Le nom annonce la couleur. Le groupe offre un album génialissime où se mélangent la poésie de Jim Morrison et la musique envoûtante des Doors. Envoûtant, c’est le mot. Déjà les concerts du groupe s’apparentent à de gigantesques cérémonies chamaniques, avec en Maître de Cérémonie : Le Roi Lézard, Jim Morrison en personne. L’homme est en transe... et le public avec... Mystique, et psychédélique, The Doors est l’un des groupe émergeant en 1967 qui va changer la face du Rock. Revenons à l’album. Probablement l’un des meilleurs des Doors (avec LA Woman) l’album est rempli de tubes et de perles plus folles (Break On Through (To The Other Side), Alabama Song...), et plus belles (The Crystal Ship, End Of The Night...) les unes que les autres. On retiendra surtout Light My Fire, LE hit devenu incontournable par la version radio raccourcie... Un riff d’orgue électrique ravageur, et sept bonnes minutes de transe. Quant au dernier titre, probablement le plus mythique, aussi présent sur la B.O. de Apocalypse Now de F.F.Coppola : The End. Cette réflexion sur la mort, mystérieuse, sombre et magnifique à la fois, est à vous donner des frissons... The Doors impose son style, et envoûte les foules...

The Jimi Hendrix Experience, Are You Experienced & Axis : Bold As Love

Une chose est sûre, Hendrix frappe fort en 1967, publiant avec l’Experience deux albums majeurs qui lui permettent d’acquérir une réputation qu’il ne cessera de confirmer lors de ses performances scéniques démentielles (c’est cette année là, au Monterey Pop Festival, que la guitare brûlera !). On retrouve sur ces deux disques une bonne partie des titres qui alimenteront les compiles bâtardes et rémunératrices de ces dernières années. Hendrix, appuyé par une section rythmique efficace composée des anglais Noel Redding et Mitch Mitchell, touche à tous les styles, sachant faire court et efficace (Fire) ou long et plus expérimental (Third Stone From The Sun). Véritable voyage initiatique, Are You Experienced présente par exemple avec Red House, le titre de blues-rock le plus envoûtant de cette fin des années 60. On y trouve également des valeurs sûres comme Hey Joe ou Purple Haze... Presque une Singles Collection ! Plus déroutant, Axis : Bold As Love confirmera le talent de compositeur du guitariste qui livre à nouveau quelques pépites intemporelles comme Spanish Castle Magic, Little Wing (dont les reprises plus ou moins malheureuses se sont succédées jusqu’à aujourd’hui !) ou le titre éponyme Bold As Love. En un an, Hendrix sera passé d’un phénomène scénique remarquable, renvoyant Clapton et Townshend à leurs chères études de gammes, à une véritable référence musicale, grâce à deux albums inclassables et surclassés...par le suivant : Electric Ladyland, l’ultime chef-d’œuvre avec cette première formation qui, malheureusement pour notre dossier, verra le jour en 68.

Pierre Henry, Messe Pour Le Temps Présent

Ce bruit de clavier qui ouvre l’album (Prologue) est plus symbolique qu’il n’y paraît : tandis que ses contemporains s’adonnent à des rêveries éthérées ou des univers de fiction cosmique, Pierre Henry choisit de publier le disque de la redescente, d’une nouvelle appréhension de la réalité. Sur Psyché Rock, une symphonie de clochettes se constitue tandis qu’au loin sévit un motif de clavecin gavé de fuzz. La prodigieuse Jericho Jerk est un prétexte à un long solo de clavier alors que des Spoutniks semblent vouloir aterrir de force. Teen Tonic s’apparente à un blues édulcoré de vocaux et orgues enjôleurs sur fond de pirouettes sonores tour à tour attachant et menaçant. Quant à l’incroyable Too Fortiche, curiosité d’inspiration SF, sa section rythmique rappelle fortement celle des Yarbirds (période Hot House Of Omagarashid). Le périple est terminé : l’œuvre se referme sur elle-même, et son créateur rompt le lien qui l’a uni avec son attirail vintage le long des cinq morceaux de sa réalisation. À tout moment Henry, secouant ses désormais vieilles machines, créait des climats, fouillait de nouveaux espaces de telle sorte que de nos jours, on aura facilement reconnu ici la naissance d’un nouvel âge.


Jefferson Airplane, After Bathing At Baxter’s

En cette fin d’année 1967, une oreille solidement scotchée sur Sgt. Pepper et fort de deux singles placés dans les charts (White Rabbit et Somebody To Love), le groupe livre dans son troisième album un témoignage définitif de la vie à San Francisco. Commencé cinq mois plus tôt, en plein Summer of Love donc, c’est l’album de tous les défis et de tous les délires. Comparé à leur précédent opus Surrealistic Pillow bouclé en deux semaines, After Bathing... est l’aboutissement créatif des membres du groupe. Car chacun y va de son morceau, mélangeant ses influences et son style d’écriture dans un ensemble soudé et parfaitement cohérent.
Cinq tableaux (Streetmasse, The War Is Over, Hymn To An Older Generation, How Suite It Is, Shizoforest Love Suite), 12 chansons. À plusieurs occasions, le groupe explose le format calibré des trois minutes qu’il pratiquait jusqu’à présent. Tout y est, les thèmes, l’ambiance, l’improvisation et la folie, ingrédients essentiels à un psychédélisme raffiné et efficace.
Un album qui n’a donc rien à envier à toutes les autres grandes productions discographiques de cette belle année.

The Kinks, Something Else

En plein été 1967, The Kinks semblent déjà être passé à autre chose. Alors que tous les groupes célèbrent l’amour et la musique, Ray Davies, en chroniqueur avisé, nous renseigne sur la vie en Angleterre cette année-là. D’ailleurs, les thèmes sont révélateurs : End Of The Season, Lazy Old Sun. Il est question ici du stress de la vie londonienne (David Watts) - reprise par The Jam en 1978 - à travers différents personnages, Harry Rag, Terry et Julie (Two Sisters), et de traditions qui se perdent (Afternoon Tea). Sans posséder de concept défini, cet album présente une diversité de styles, révélateur de cette période de liberté artistique. Ainsi, on y trouve de la bossa nova (No Return), une fanfare militaire (Tin Soldier Man), une jazzy triste à la Sinatra (End Of The Season), pop classique et le tube Waterloo Sunset, l’une des meilleures chansons du siècle dernier, le Yesterday de Ray Davies.
Un disque à contre-courant de l’époque donc mais qui fera des émules plus tard avec des groupes comme Madness ou Blur, les autres grands chroniqueurs de la société de sa Majesté Elizaboeuf. Souvent oublié, cet album tient pourtant son rang en cette année.

Love, Forever Changes

Voilà un album qui ne méritait pas d’être oublié et pourtant... Love, premier groupe multi-racial, c’est dire s’il a eu son importance à cette époque. Mené par Arthur Lee, qui selon la légende aurait découvert Jimi Hendrix et Jim Morrison, le groupe crée pour Forever Changes un psychédélisme tout à fait nouveau. Influences hispanisantes, orchestre philharmonique, mélodies éthérées et hypnotiques et paroles à la limite du compréhensible, Love est un joyeux melting-pot musical. La première écoute est déstabilisante, ça ressemble aux Byrds, sans vraiment y ressembler (compliqué hein ?). En fait, ça ne ressemble à rien de connu et à la dixième écoute on ne se rend compte que d’une seule chose : on est accro... À l’époque, ce fut un succès énorme... en Californie uniquement ! Pourtant, leur influence marqua certains artistes, ainsi Syd Barrett qui leur doit le riff d’Interstellar Overdrive. Mais la pression se faisant trop forte, le groupe splitta assez rapidement et se fit oublier. Autant réparer cette erreur et se jeter sur Forever Changes, d’autant qu’il est ressorti remasterisé en 2001 et qu’il contient des inédits qui valent le détour.

Pink Floyd, The Piper At The Gates Of Dawn

Août 1967, en plein Summer Of Love... Une bombe sort dans les bacs... The Piper At The Gates Of Dawn, le premier album de Pink Floyd, le plus psychédélique, paraît près de six mois après le premier single du groupe Arnold Layne qui avait fait scandale et avait même été censuré par les radios qui estimaient y voir une apologie des drogues. Le groupe, alors mené par le génial Syd Barrett, fait déjà l’unanimité au sein de la scène underground londonienne, notamment à l’UFO Club dont ils sont les habitués. Les Pink Floyd, passés maîtres des morceaux bien trippants réalisent un album impeccable, entièrement signé par Barrett, à l’exception de Take Up Thy Stethoscope And Walk signé Roger Waters, et Interstellar Overdrive morceau instrumental génialissime signé par l’ensemble du groupe. Piper est la réponse anglaise au psychédélisme d’outre-atlantique. Une suite de pépites plus belles les unes que les autres... Le son lui même est imprégné de LSD, alors que Barrett commence juste à y sombrer perdant alors tout contrôle de lui-même...


The Rolling Stones, Their Satanic Majesties Request

Album né trop tard dans un monde déjà trop psyché, Their Satanic Majesties Request ne connu pas le succès mérité. Les Stones semblaient prendre le train en marche en publiant six mois après Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. On y trouve quelques pépites dont le toujours connu She’s A Rainbow ou encore 2000 Light Years From Home inspirée d’une littérature SF anglo-saxonne qui atteignait son âge classique à cette époque.
Pour l’anecdote historique, on retiendra l’existence d’une composition de Bill Wyman : In Another Land, certes plaisante et ludique, mais en deçà des morceaux écrits par le duo Jagger-Richards. Malgré une pochette carnavalesque qui peut sembler un peu datée et un son psyché peu naturel pour un groupe plus influencé par Muddy Waters que Miles Davis, ce disque reste une expérience intéressante et hautement recommandée pour toute personne qui souhaite comprendre l’univers des Stones pré-jet set. L’album suivant, Beggars Banquet, marquera un retour au source du blues, exploitant les récentes acquisitions guitaristiques de Richards au bottleneck.

Small Faces, Small Faces

En 1967, les Small Faces décident de quitter Decca Records et faire peau neuve en rejoignant le label Immediate d’Andrew Loog Oldham, l’ancien manager des Rolling Stones car ils ne se sentaient pas suffisamment soutenus chez la vénérable maison de disques sixties. Débarassé de leur management qui ne les avait même pas consulter pour la sortie du single My Mind’s Eye, le groupe bénéficie de l’explosion du travail de studio et de la liberté que confère le label d’Oldham pour enregistrer leur album le plus abouti et le plus varié. Sorti le 23 juin, le même mois que Sgt.Pepper’s Lonely Hearts Club Band, Small Faces s’inscrit dans la même démarche artistique que ce dernier. Accompagné pour cela par leur premier véritable tube des deux côtés de l’Atlantique, Itchycoo Park, leur single hippie qui les propulsera dans le Top 20 US, l’opus rompt singulièrement avec l’image de mignons garçons plaisant aux jeunes filles que dégageaient ces mods-là. Fort de 14 titres ne dépassant guère plus de deux minutes et trente secondes chacuns, l’album présente le groupe au sommet de sa créativité. Comme le dit le batteur Kenney Jones : « On n’avait pas peur d’expérimenter. En plus, à cette époque, nous étions pleins d’enthousiasme et de talent car, pour une fois, on avait des gens derrière nous qui faisaient vraiment partis du groupe et nous permettaient de faire ce que nous voulions. Cela signifiait que si Steve Marriott achetait une mandoline, on allait l’utiliser sur un morceau ». Ici, sans jamais perdre l’énergie qui avait fait d’eux le meilleur combo de rythm’n’blues du Royaume-Uni et les avaient amenés à faire les premières parties des Beatles et des Who, les Small Faces réussissent le basculement psychédélique via un Green Circles qui demeure l’un des classiques anglais du genre, un titre tout en trouvailles sonores. Le quatuor profite du savoir-faire du staff d’Immediate pour emprunter une voie légèrement plus pop (All Our Yesterdays, Show Me The Way). Sans oublier le style de leurs débuts avec Talk To You et la participation de chacun des membres aux compositions (cf. l’excellent Up The Wooden Hill To Bedfordshire de l’organiste McLagan, nappé de Wurlitzer), Marriott se surpasse au chant et contribue à la réussite de Small Faces. De l’instrumental Happy Boys Happy à la trépidante salsa de Eddie’s Dreaming, cet album confirme l’inventivité permanente de Steve Marriott et Ronnie Lane, plaçant définitivement le tandem parmi les meilleures paires d’auteurs compositeurs anglais.


The Velvet Underground, The Velvet Underground And Nico

Volontairement incompris à sa sortie étant donné le fatalisme et le non-conformisme dont il fait preuve, cet album va détruire dans l’œuf le mouvement hippie et vite devenir culte ! Outre la production non-avérée de Warhol et les mythes et légendes autour de l’objet (banane imprégnée de LSD, étudiants fumant des peaux de bananes sêchées...), le Velvet crée un disque fondamental si ce n’est LE disque ! Sorti trois mois avant le Sgt.Pepper des Beatles, il jette les bases de ce que sera le rock’n’roll à l’avenir coincé entre l’album-concept (thème récurrent et innovations sonores) et l’animalité propre à cette musique. Lou Reed nous fait partager son mal-être existentiel fait d’obsessions : dépendance à la drogue, masochisme (mental ou physique), etc... Le tout emmené par un violoniste de génie (John Cale) aux arrangements avant-gardistes qui vous défrisent tous les caniches de vieilles couaches de vôtre quartier, une voix qui vous glace le sang (Nico), une batterie minimaliste tenue par Moe Tucker qui frappe sur ses fûts comme s’il s’agissait de vulgaires bidons (d’où vient le jeu de Meg White d’après vous ?) et qui permet à Sterling Morrison d’exprimer tout son (sous-estimé) talent.
Le premier album du Velvet bat en brèche l’idée selon laquelle le rock est une musique répétitive, sans imagination ... Il enfonce des portes qui étaient entre-ouvertes et qui ne se refermeront pas de si tôt !

The Who, The Who Sell Out

Sorti le 16 décembre 1967, le troisième album des Who tranche avec la musique des disques précédents. Instrumentalement, il semble être de loin l’album le plus psychédélique du groupe, laissant de côté le R’n’B des débuts de My Generation ou encore l’anglopop de A Quick One. Exit les frustrations d’adolescent et les impossibilités de déclarer son amour à une fille, place désormais à une trame narrative faisant la part belle au mode de vie pré-hippie, où les émissions de radio et les jingles publicitaires rythmaient le quotidien des familles anglaises, âge disparu en deux temps trois mouvements et laissant désormais les jeunes dans une certaine nostalgie. De fait, la pochette, bel exemple de pop art, illustre à merveille le côté publicitaire qui régnait au sortir de la guerre (les haricots blancs Heinz) et les produits qui apparaissaient pour les jeunes comme le déodorant Odorono ou l’ancêtre de Biactol, Medac. Composé de 13 morceaux, le disque contient également des spots publicitaires vantant le coca cola, les cordes de guitares Rotosound, le fabriquant de batteries Premier, Radio London ... Le chanteur Roger Daltrey fait découvrir à l’auditeur une voix jusque-là insoupçonnée, proche de celles des Beach Boys, ces derniers influençant également la richesse des harmonies vocales, tandis que la guitare, la basse et la batterie s’occupent du reste. Le travail de studio fait merveille : Pete Townshend, ici producteur, y développe toute une trouvaille d’ambiances avec gros feed back à la Who, nappes de claviers, quelques cuivres et le mur du son composés par les toms de Keith Moon et la basse monstrueuse de John Entwistle. Refusant de verser dans le psychédélisme commercial de l’époque, le groupe se rattache à un concept développé avec des petits morceaux opéras comme Rael. En ce sens, The Who Sell Out préfigure la suite, Tommy, le chef-d’œuvre du groupe, parfois considéré, à tort, comme le premier opera rock de l’histoire.



[1À lire absolument : Alain Dister, Oh, hippie days !, Ed. Fayard

[2Sources : Alain Dister, Cultures Rock, Ed. Les Essentiels Milan

Jean-Marc Bel, En route vers Woodstock, Ed. JCLattès/Une Musique

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