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Post-War

Post-War

M. Ward

par Béatrice le 28 novembre 2006

4

paru le 22 août 2006 (Merge Records)

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Matt Ward, un jour, a décidé de retirer trois lettres à son prénom, pour ne garder qu’un M discret, reflet de son autre initiale. Un M qui murmure, et qui marmonne, moelleux, malicieux, doux comme du miel et berçant comme une mer calme, celui-là même qui saisit la magie du moment et la fait marcher main dans la main avec la mélancolie et le mystère. Après, ou peut-être était-ce avant, notre Matt-rebaptisé-M a fait tout ce qu’il pouvait pour que sa musique et son M puissent se fondre, se confondre, se morfondre, se répondre, se correspondre, et que ses chansons soient comme cette lettre, dans toute sa molle majesté et sa maturité mutine. Il a empoigné une guitare, l’a caressée jusqu’à ce qu’elle se sente en confiance, l’a écoutée se confier à lui, et a transformé ses maux en mots pour mieux les marier à ses mélodies. Il faut croire qu’il a trouvé un moyen de faire parler les guitares, et de les rendre sacrément bavardes, parce qu’il a réussi à extraire de ses longues conversations suffisamment de matière pour enregistrer cinq album en six années.

Post-War est le fruit de l’après-guerre - après quelle guerre, on ne le sait pas, et on ne le saura pas. Mais il est paumé, apaisé, mélancolique, réconfortant, nostalgique et optimiste comme tout après-guerre, qui voit les masses de dégâts et les monceaux de débris, mais aussi et surtout recueille les promesses merveilleuses d’un horizon qui se dégage, les mirages de l’aube et les morceaux de sagesse ephémère. Pas révolutionnaire pour un sou (qui a envie de s’embarrasser d’une révolution après une guerre ?), pas fanfaron ou hâbleur pour deux, il ne demande qu’à se lover dans un coin près du feu et à rester jusqu’à ce que la dernière des braises aient perdu toute sa couleur.

Et ça tombe bien, parce que M. Ward n’a pas son pareil pour faire sonner un compact disc comme un vieux vinyle usé, une guitare électrique flambant neuve comme une vieille gratte qui a trop bourlingué, et un accord comme un murmure réconfortant. Ses disques ont l’air d’avoir été enregistrés dans des cabanes en bois malmenées par le vent histoire de réchauffer l’atmosphère et de meubler la pièce vide ; celui-ci ne fait pas exception, même si M. Ward a profité du printemps pour installer l’électricité dans sa cabane et inviter des amis à jammer dans le jardin. Pour une fois, il a tout fait avec un groupe, râflant au passage quelques collaborateurs plus ou moins habitués à déambuler le long des sillons de ses albums ou à fouler les planches des scènes à ses côtés, de Jim James à Neko Case en passant par l’infatigable Mike Mogis. Du coup, le résultat est peut-être un peu plus luxuriant, un peu plus enlevé, un peu moins intimiste que ce à quoi on avait été habitué ; mais la cabane a beau être un peu plus décorée, l’ambiance n’y a guère changée, et elle est toujours aussi accueillante et chaleureuse.

M. Ward a décidé de conter ses rencontres, ses errances et son vague à l’âme, de façon suffisamment elliptique pour que quiconque puisse les mélanger aux siens, les remodeler à sa guise et les écouter se métamorphoser doucement au gré de ses mouvements mentaux. Il n’y a qu’à se laisser bercer par l’instrumentation et les arpèges mouvants et caresser par la voix qui s’y fond pour être emporté dans de délicat méandres qui se déroulent mollement, s’emballant parfois avec malice pour mieux se reposer ensuite. Et certes, le sieur M (qui est, fort heureusement, pour l’instant plus béni que maudit) n’a pas son pareil pour écouter sa guitare, et a un don frappant même si feutré pour l’habiller d’arrangements soignés et la faire chanter ; mais il est aussi très doué pour l’accompagner de sa voix enfûmée et rocailleuse, fantômatique et chaleureuse, discrète et reconnaissable entre milles.

Dès la deuxième piste, il se lance dans une reprise de To Go Home du pape piqué du folk américain désaxé qu’est Daniel Johnston ; puis il va, en vrac s’attaquer un refrain irrésistible ponctué de “OohOoohOoh” à entonner en choeur et à tue-tête (Magic Trick, morceau fulgurant sur une femme qui s’évanouit furtivement, qui justement disparaît lui aussi avec une vivacité étonnante), nous faire partager un voyage initiatique dans le conte-éclair et remarquable qu’est Chinese Translation, nous embarquer dans le train de Post-War qui file doucement dans une nuit sans lune, ou dans le wagon plus agité de montagnes russes qui swinguent plus qu’elles ne secouent.
Puis doucement (car tout, ici, se fait en douceur), il s’envole sur le dernier titre, ou des chœurs éthérées portent la voix qui semble avoir envie de rejoindre les étoiles, laissant une guitare faire délicatement atterrir le morceau, et le disque avec lui, éteignant la dernière flamme qui sommeille dans l’âtre avant de partir rejoindre sa housse - discrétement, on l’a compris ; la qualité s’imposera d’elle-même, sans qu’on ait besoin de l’affubler de décoration clinquantes et superflues.



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Tracklisting :
 
01. Poison Cup (2’40’’)
02. To Go Home (3’51’’)
03. Right In The Head (4’12’’)
04. Post-War (4’55’’)
05. Requiem (2’48’’)
06. Chinese Translation (3’58’’)
07. Eyes On The Prize (2’37’’)
08. Magic Trick (1’42’’)
09. Neptune’s Net (2’06’’)
10. Rollercoaster (2’48’’)
11. Today’s Undertaking (2’26’’)
12. Afterword/Rag (3’32’’)
 
Durée totale : 37’35’’

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