Chansons, textes
Rock Around the Clock

Rock Around the Clock

Bill Haley and His Comets

par Frédéric Rieunier le 25 novembre 2008

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« Si Elvis Presley était le King, Bill Haley était saint Jean-Baptiste. » Tel est l’avis de Jim Dawson, auteur d’un livre consacré à l’incontournable Rock Around the Clock de Bill Haley and His Comets [1]. Derrière cette affirmation se cache un débat de taille. Quand est né le rock’n’roll ? Si la postérité a souvent retenu Presley comme le plus emblématique de ses pionniers, il est plus que discutable de lui attribuer la paternité du genre. Alors que le King enregistre son premier morceau That’s All Right (Mama) dans la nuit du 5 au 6 juillet 1954, cela fait déjà trois mois que Haley a mis sur bande Rock Around the Clock, le 12 avril, en compagnie de ses Comets.

Pour autant, il peut sembler difficile de désigner Bill Haley comme le papa de ce sale gosse gominé qu’est le rock - bien que son air poupin et sa calvitie naissante lors de l’enregistrement du titre en fît un père de famille tout désigné. Avant lui, plusieurs groupes ont déjà laissé leur semence artistique dans la matrice musicale du rhythm’n’blues et de la country. En premier lieu, Ike Turner et Jackie Brenston avec leur Rocket 88, enregistré le 3 mars 1951. Bien avant la mode du bling-bling, le tandem crée celle du vroum-vroum avec cette ode à la voiture, alors récemment commercialisée par Oldsmobile, qui porte le même nom que la chanson et un moteur V8. Intronisé titre fondateur du rock’n’roll par le Rock and Roll Hall of Fame de Cleveland (Ohio), Rocket 88 balance son binaire allègrement. Et roule des mécaniques pentatoniques, qui ont depuis pimenté nombre de morceaux du genre. Mais un argument pourrait donner tort au musée précité et raison à Jim Dawson.

Car la naissance d’un genre musical ne s’analyse pas uniquement en termes de mélodies, de rythmes et d’harmonies. Et les débuts du rock’n’roll ne sauraient être évoqués sans un détour par sa dimension sociale. Souvent défini comme une musique de Noirs jouée par des Blancs, le rock a en effet été popularisé par les seconds, bien qu’il ait été joué d’abord par les premiers. Ceci pour une raison simple : la ségrégation raciale alors en vigueur affecte également la musique et il est donc impossible pour un musicien noir d’espérer toucher un large public. Ainsi, si l’on admet que le rock n’a véritablement commencé à exister que lorsqu’il a suscité un large engouement, il convient de reconsidérer le duel entre Haley et Presley. Et en matière de succès, il faut rendre au King ce qui lui appartient.

Rock Around the Clock a beau l’avoir précédée, elle n’a pas connu la fulgurante ascension de That’s All Right (Mama). Malgré des ventes respectables (75 000 exemplaires écoulés un mois après sa sortie) il lui faudra en effet attendre un an avant de rencontrer un succès digne de ce nom et faire le tour du monde - grâce au film Graine de violence sorti en 1955, dont la bande originale est rythmée par la chanson. Que Presley ait connu un triomphe plus rapide n’empêche toutefois pas certains de voir en Bill Haley l’authentique inventeur du rock. C’est le cas d’Alan Freed. Amateur éclairé de rhythm’n’blues, ce disc-jokey est dévoué à la musique noire dont il tente désespérément de transmettre la passion aux adolescents blancs branchés sur la radio où il officie. Il pourrait d’ailleurs presque prétendre au titre de fondateur du genre, puisqu’il a déposé en 1951 l’expression « rock’n’roll ». Plus par appât du gain que par volonté de marquer son époque, soyons francs. La tournure peut se traduire prosaïquement par « balancer » et « rouler », mais signifie surtout en argot noir « faire l’amour ». Une connotation mise en musique dès 1922 où les deux termes sont associés par la chanteuse Trixie Smith dans son blues allégorique : My Man Rocks Me (With One Steady Roll).

A un moindre niveau, Rock Around the Clock n’est pas complètement exempte d’allusions sexuelles. Pour preuve, les vers :

When the chimes ring five, six, and seven,
We’ll be right in seventh heaven. [2]

Pas de quoi scandaliser une grenouille de bénitier, certes. En revanche, tous les ingrédients sont réunis en deux minutes pour donner envie de se déhancher à tout adolescent des années cinquante normalement constitué. « One, Two, Three O’clock, Four O’clock rock » Les mots claquent, la contrebasse rebondit, la guitare frémit... L’ensemble a peut-être l’âge de réfléchir à son CODEVI, mais il semble aussi frais qu’aux premiers jours. C’est moins le cas de sa version primitive, composée par Max C. Freedman et James E. Myers et enregistrée pour la première fois par Sonny Dae and His Knights en 1953. On peut s’amuser à comparer les deux interprétations sur le disque Rock’n’Roll 39-59, sorti par la Fondation Cartier en 2007 à l’occasion de l’exposition éponyme. Difficile de nier alors que l’aînée sent quelque peu la poussière des ans.

« Le temps, le temps, qu’est-ce que le temps ? » A cette interrogation du Chapelier fou d’Alice au pays des merveilles, qui poussa Bergson à distinguer durée objective et durée subjective, Bill Haley semble simplement répondre : l’écart entre deux sons de clocher dont on dispose pour faire la fête. « Around the clock » correspond généralement à « faire le tour du cadran ». Toutefois, comme l’explique Jim Dawson [3], au moment de l’écriture de Rock Around the Clock, elle avait plutôt pour signification « 24h/24, 7j/7 ». Une remise en cause des 35 heures, donc. Mais pour la bonne cause, puisque, ainsi que le chante Bill Haley, « We’re gonna rock, rock, rock, ’till broad daylight » - vers intraduisible où il est question de se déhancher jusqu’en « plein jour ». Vous chantiez ? Et bien dansez maintenant !



[1Rock Around the Clock - The Record that Started the Rock Revolution ! de Jim Dawson, Backbeat Books.

[2Qu’on pourrait traduire ainsi : « Quand les carillons sonneront cinq, six et sept heures, Nous serons en plein septième ciel. »

[3Op. cit.

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