Portraits
Talking Heads, haut-parleur universel

Talking Heads, haut-parleur universel

par Milner le 11 mai 2010

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Des Beaux-Arts au CBGB’S

Talking Heads, c’est avant tout une histoire de rencontres. New York, 1974. Au cœur de la Megalopolis, étranglés entre les immenses grattes-ciel et Chinatown, se meurent et revivent de nouveaux groupes à l’américaine. Hamburgers en plastique jaune et enseignes d’équipements vidéo investissent peu à peu les derniers bars louches et les dernières caves sordides où tous les apprentis-Velvet Underground égrènent leurs nuits blanches... En 1974, donc, de l’autre côté de la rue, en bordure du ghetto noir, un groupe de trois personnes vient de s’installer dans un de ces appartements insalubres du Lower East Side. Tina Weymouth, frêle poupée blonde au pedigree issu d’Europe du Nord, n’est encore que la dernière arrivante dans ce trio musical construit sur les cendres de The Artistics, séparé un peu plus tôt dans l’année. Accompagnée des deux membres fondateurs que sont le guitariste-compositeur David Byrne et le batteur Chris Frantz, cette triade d’étudiants en art rencontrée à la Rhode Island School Of Design en 1973 peaufine sa formation musicale orientée vers le garage punk et la pop chantilly des années soixante tout en considérant que leur art les mènera à quelque chose. Ce n’est pas si facile et ils poursuivent d’infructueux essais se basant sur des compositions de Byrne.

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The Artistics

Jeune bassiste fraîchement convertie, la présence de Weymouth au sein de la dominante masculine se révéla précieuse. D’abord, elle mit un peu d’ordre dans la maison et apporta les bénéfices de sa formation musicale. Ensuite, son calme et sa simplicité contrebalanceront heureusement l’exubérance brouillonne du duo Byrne/Frantz. En mai 1975, ils trouvèrent finalement un nom pour leur formation, assez personnel et sans pour autant apporter de connotations trop facilement évidentes sur la musique qu’ils s’efforceront à jouer : Talking Heads.

Le mois suivant, Talking Heads fit sa première apparition scénique en première partie des abrasifs Ramones au sein du mythique club CBGB‘s. New York vivait à cette époque la plus excitante explosion musicale qui lui a été permis de vivre durant la décennie. Des artistes tels que Patti Smith, Tom Verlaine, Richard Hell ou encore les groupes que représentent Blondie ou les Ramones apportèrent rapidement la première véritable contribution musicale de Big Apple au rock américain. Et c’est l’absence d’une atmosphère artistique parmi celles qui flottaient autour de la couvée de ces tirailleurs soniques qui convainquit le groupe de s’engouffrer dans cette brèche qui aurait pu s’apparenter à un périlleux numéro d’équilibriste où le moindre faux-pas s’avèrerait fatal pour la suite. Dans la foulée de cette première expérience encourageante, le trio grava dans les premières semaines de l’année 1976 ses premières démos pour l’obscure label Beserkeley Records. Les trois morceaux Psycho Killer, First Week/Last Week ... Carefree et Artists Only révélèrent un groupe à l’éclectisme musical simple et particulièrement charmant, en totale contradiction avec l’univers garage rock des autres formations régulièrement à l’affiche du CBGB’s et c’est cette différence intellectuelle qui permit au trio, après de nouvelles démos enregistrées durant l’année, de signer un contrat discographique avec le label Sire Records (hébergeant également les Flamin’ Groovies et les Ramones) le 1er novembre 1976 en conclusion d‘une entreprise de séduction qui dura pratiquement un an. « La première fois où j’ai vu Talking Heads fut un de ces trop rares moments de plaisir de mi-novembre 1975 », se remémore Seymour Stein, fondateur et patron du label Sire Records. « Je revenais juste du Royaume-Uni et les Ramones étaient impatients à l’idée que j’entende sur scène les nouvelles compositions. Je me trouvais dehors à discuter avec Lenny Kaye, le guitariste de Patti Smith, quand soudain, de l’intérieur, j’entendis des paroles qui retinrent mon attention, ‘When my love / Stands next to your love / I can’t compel love / When it’s not love’. La première partie devait être The Shirts et je me souviens avoir dit à Lenny, « ça sonne vraiment pas comme The Shirts », et il me répondit, « The Shirts a eu un engagement à Staten Island donc Hilly (Hilly Kristal, patron du CBGB’s, NdA) les a laissé partir ... et eux, c’est les Talking Heads. » J’ai immédiatement accouru à l’intérieur, un peu comme un papillon qui se sent attiré par une source de lumière et j’ai observé la fin de leur concert. Dès que le groupe arrêta de jouer, je suis monté sur scène et j’ai aidé Tina à remballer son matos. J’ai juré de signer le groupe cette nuit-là et bien que cela me prit pratiquement une année, j’ai n’ai surtout pas regretté. »


Cette chanson, Love -> Building On Fire, fut effectivement la première composition de Talking Heads que Stein entendit. « Je n’avais pas besoin d’en entendre une autre pour savoir que je voulais signer le groupe. C’est peut-être aussi pourquoi ça restera toujours ma chanson préférée du groupe. » Profitant de la tournée britannique des Ramones, le trio eut l’opportunité d’ouvrir leur concert lors d’une soirée spéciale célébrant les 25 ans de règne de la Reine Elizabeth. Alors que le single n’était pas totalement fini d’enregistrer, Stein appela Tommy Ramone pour achever de produire le disque dans le but de capitaliser sur un éventuel succès de Talking Heads, si bien que le single sortit en février 1977. Love -> Building On Fire reçut un accueil favorable de chaque côté de l’Atlantique bien que les ventes du disque ne décollèrent jamais réellement. Il eut surtout le bon goût de placer Talking Heads comme l’un des fleurons de la nouvelle scène new-yorkaise baptisée new wave. Ce mouvement n’était alors représenté en Grande-Bretagne que par The Sex Pistols, The Damned et The Clash ; il est alors facile de saisir la distinction élémentaire que pouvait susciter Talking Heads. Pendant ce temps, l’agitation souterraine dans la Côte Est portait ses premiers fruits et se cristallisait autour d’une volonté générale de se réunir et de danser dans tous les sens. Au CBGB’s, l’essentiel de leur auditoire était composé d’étudiants ou de jeunes adolescents et il en fut de même en Grande-Bretagne. Tout cela sentait bon la fin de l’ennui chez bon nombre de jeunes adultes et prouvait que la vie pouvait foutrement être agréable et excitante. C’est également à cette période que le groupe, soucieux de s’agrandir musicalement, débaucha le claviériste/guitariste à bouclettes brunes Jerry Harrison des Modern Lovers, formation réputée pour perpétuer l’esprit de The Velvet Underground à la sauce power pop. Cet amour réciproque pour la mythique formation emmenée par Lou Reed força le désormais quatuor à publier Psycho Killer comme second single au début de l’été.

En comparaison avec le premier single, Psycho Killer était pratiquement le jour et la nuit. On retrouvait à la place une chanson quasi métronomique, sombre aux paroles psychotiques et inhabituelles (un couplet était même chanté en français !). Une odeur malsaine y régnait et donnait l’impression que le groupe venait de sortir indemne d’un New York où il ne valait mieux pas traîner trop longtemps. Ce morceau datait pourtant de 1976 et achevait d’étaler une certaine vision du groupe parmi un plus grand nombre de fans. Le début de l’été fut aussi la période où Talking Heads enregistra son premier album qui ne sortit que le 16 septembre 1977, le 3 octobre en Grande-Bretagne. Le quatuor ne rencontra pas de gros problèmes majeurs si ce n’est son quasi-manque total d’expérience quant au travail de studio. Néanmoins, Harrison se servit de ses quelques compétences en ce domaine et étoffa de ses claviers magiques la plupart des compositions déjà bien élaborées de David Byrne, ce qui permit à l’album de connaître un nouveau succès d’estime. Sobrement intitulé Talking Heads : 77, les onze chansons qui composaient ce premier effort furent produites par Tony Bongiovi, Lance Quinn et le groupe lui-même. Le public découvre alors un groupe qui tranche particulièrement avec l’atmosphère punk qui commence à s’abattre sur les charts mondiaux. Les fables urbaines que décrit Byrne sont captivantes, il produit des soli de guitare pour le moins étrange mais surtout donne l’occasion d’apprécier sa voix hystérique, thérapeutique, ivre, simple et tout bonnement touchante comme aimait à le rappeler le groupe : « Il semblerait que la plupart des groupes de rock écrivent des morceaux pour les ados qui parlent de sexe, de drogue et d’amour. Nous sommes comme eux, bien sûr. On peut comprendre que notre jeu de scène peut sembler austère, mais on s’est attaqué à une autre sincérité, sans doute la plus longue à extérioriser, c’est vrai ». Les critiques furent élogieuses dans la presse un peu partout dans le monde, ce qui permit à l’album de décrocher une 97ème place dans le Billboard et une étonnante 60ème position dans les classement britanniques. Le groupe retourna en Europe au début de l’année 1978 pour une série de concerts puis se retira aux Bahamas au mois de mars pour concocter son second album dans les locaux du Compass Point Studios.


De la New Wave à la World Wave

Pour un groupe dont les racines musicales sont aussi fermement contenues à Manhattan, un tel environnement de travail aurait pu en désorienter plus d’un. Mais l’ajout de Brian Eno, ancien claviériste de Roxy Music et pionnier de la musique ambiante, comme co-producteur de onze nouveaux titres souda le son du groupe plutôt que le dilua dans un cocktail indélébile d’affligeance. More Songs About Buildings And Food (le titre était une satire du contenu général du premier album du groupe) fut publié le 7 juillet 1978 et fit une seule concession commerciale, celle d’inclure une reprise du révérend Al Green, Take Me To The River. Ce choix eut le bonheur d’être le parfait moteur pour la composition de titres sentant bon le R&B et permit au groupe d’obtenir leur premier véritable tube chez eux, aux États-Unis, bousculant le Billboard pour finalement atteindre la 26ème place. More Songs About Buildings And Food durcissait pourtant le son du précédent album et bien que la production de Brian Eno donna de plus amples facilités sonores, Talking Heads était de plus en plus considéré à part du mouvement new wave que la plupart des autres groupes s’efforçaient de reproduire. Les quatre yankees présentaient alors un panier de chansons pop arty patiemment construites, laissant la place à l’expérimentation en combinant éléments acoustiques et électroniques avec une bonne dose de funk incroyablement surprenant. Il est bon de préciser que tout groupe nouvellement apparu dans le sillage musical de la scène du CBGB’s aux États-Unis ou la scène punk que The Sex Pistols vampirisaient à longueur de scandales était estampillé new wave, étiquette un rien bâtarde mais qui avait le mérite de fédérer une frange non moins négligeable de la jeunesse par opposition à la mode disco qui était bel et bien le véritable courant musical de l’année 1978. Talking Heads considéra toujours son premier effort musical comme une tentative estudiantine de décrire la vie à New York et sa façon d‘aborder le rock intelligent tout en cherchant à se renouveler convint le quatuor de puiser l’inspiration, sûrement sous l’impulsion de Eno, à travers la récente trilogie berlinoise qu’il avait aidé à édifier pour David Bowie.

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David Byrne et John Cale sur la scène du CBGB’s

De retour dans des studios new-yorkais, le groupe publie un troisième album encore plus déroutant le 3 août 1979. Le single extrait, Life During Wartime, comportait cette phrase qui résumait parfaitement l’ensemble : ‘This ain’t no party, this ain’t no disco, this ain’t no fooling around ’. Les paroles se veulent lugubres et l’atmosphère tend à s’assombrir au fur et à mesure que l’auditeur progresse à travers l’écoute de ce disque aussi touffu que la forêt des Carnutes. Pochette noire et volontairement minimaliste, titres de chansons extra-courts, cynisme de rigueur à tous les étages, Fear Of Music expérimente pour la première fois la rythmique africaine sur des paroles nonsensiques du poète Hugo Ball dans le titre I Zimbra. Si jusqu’alors, David Byrne s’était appliqué à retranscrire ses observations avec un sens de l’humour ouvertement sarcastique, celui-ci devient foncièrement étrange et plus autant décapant. Dans Heaven, morceau aux accents soul incroyablement émouvante procurant l’un de ses plus beaux chants, David Byrne laisse sa voix osciller tandis qu’il place un cinglant ‘Heaven is a place where nothing ever happens’. La simplicité de titres tels que Drugs ou bien Electric Guitar n’a aucuns liens avec la complexité des paroles de Fear Of Music qui comptent parmis les plus provocantes et les plus intelligentes de tout ce que le rock a pu offrir dans les années 70. Outre la répétitivité hypnotique, l’album croise facilement la musique dance black et la musique blanche froide, urbaine et arty. Une nouvelle fois, Brian Eno avait co-produit la galette et à sa sortie, les critiques furent dithyrambiques : ce qu’elles appréciaient le plus chez le groupe, c’est cette recherche d’horizons nouveaux et la voix très expressive de Byrne, tantôt sensuelle, tantôt tranchante, se complétait d’un jeu de scène agressif. Le chanteur avait le sang chaud, le regard glacé, et comme un nuage magique autour de lui... À la fin de l’année 1979, Talking Heads traverse les océans afin de porter la bonne parole. Le symbole vivant de l’intelligentsia étonne alors par l’énergie qu’il dispense pendant ses concerts et la consécration qu’il obtient en Europe est une reconnaissance du phénomène qui le porte, en même temps que de la vitalité de la musique de New York.


Depuis les balbutiements du groupe, l’intérêt pour les racines africaines a toujours été parfaitement audible dans la musique des quatre. Mais Talking Heads voit déjà plus loin. Si Fear Of Music, par la faute sans doute de son caractère décousu et glacé, ne remporte pas le succès de More Songs About Food And Buildings, le suivant, Remain In Light sorti en octobre 1980, battra tous ses précédents records. Il est généralement considéré par les critiques comme le meilleur album des Têtes Parlantes bien qu’il diffère complètement de son prédécesseur. Il explore une nouvelle fois les rythmes africains avec la même dose de funk caractéristique de leur musique. Le climat, pourtant, n’a rien de plus serein : le Nouveau Monde a mis un certain temps à réagir à le déliquescence du mouvement disco mais propose finalement une alternative commerciale à base de rock FM calibré studio. Sous le couvert de cette nourriture aseptisée, l’Amérique se découvre grasse et bedonnante mais ne propose finalement rien de frais. Fidèle à ses principes, Brian Eno s’embarque dans l’aventure afin de conclure sa trilogie et David Byrne s’investit personnellement dans l’écriture. C’est à ce moment-là que les premières tensions au sein du groupe apparaissent puisque aucun autre membre du groupe n’est crédité. Cet « oubli » sera réparé juste avant la publication de l’album mais augura de la séparation musicale à venir. Pour cet album, Talking Heads s’entoure d’un groupe de multi-instrumentistes, percussionnistes et chanteurs dans lequel on retrouve le guitariste Adrian Belew, l’un des meilleurs guitaristes au monde, qui accompagna entre autres Frank Zappa et David Bowie durant toute sa carrière. Dès les premières écoutes, la différence est palpable. Dans le passé, les chansons du groupe s’étaient toujours apparentées à un monologue alors que pour la première fois, deux voire trois sections vocales apparaissaient enfin sur disque. La musique est également devenue plus funky et représente une nouvelle approche musicale plutôt qu’une altération des précédents courants musicaux qui traversaient leurs précédents enregistrements. Les quatre se connectaient enfin avec le public qui, en contrepartie, était prêt à suivre l’évolution musicale du groupe mais sans vraiment le savoir, Remain In Light marqua pourtant la fin de la première période du groupe. Le sommet de l’ensemble demeure Once In A Lifetime, morceau hip-hop aux climats menaçants qui devint le premier single du quatuor à atteindre le Top 20 anglais. Byrne semblait ne pas avoir l’air rassuré lorsqu’il chantait ‘And you may find yourself in a beautiful house, with a beautiful wife / And you may as yourself — Well ... how did I get there ?’ Seymour Stein a une anecdote concernant ce titre : « Le 8 décembre 1980, j’étais en Inde et je devais me rendre à Udaipur. Juste après le décollage, je prends le Times Of India et en première page, je lis avec stupéfaction : JOHN LENNON ASSASSINÉ. J’étais complètement secoué. Je vivais à côté du Dakota Building et c’est par l’intermédiaire de mon ami Elton John que j’avais rencontré John Lennon. J’avais apporté mon baladeur et une cassette du dernier album de Talking Heads, Remain In Light. Je me souviens que l’écoute de la chanson Once In A Lifetime m’aida beaucoup à me calmer et en me concentrant sur les paroles, elles prirent un sens que je n’avais pas saisi à la première écoute. Je n’oublierai jamais le jour où j’étais quand j’ai appris la mort de Lennon et la chanson qui m’aida à me ressaisir, Once In A Lifetime ».

Années 80, Virage Pop

Après une longue tournée qui vit le groupe s’embarquer à travers le monde avec ses musiciens de luxe, les membres de Talking Heads s’autorisèrent un repos bien mérité après quatre années de travail incessant et chacun s’attela à une carrière solo. Finalement, pour coïncider avec cette période creuse, Sire Records publia un double album live, The Name Of This Band Is Talking Heads, proposant des extraits de chansons à différents moments de leur carrière. Ce n’est que le 1er juin 1983 que Talking Heads refait surface avec la parution de son cinquième album Speaking In Tongues. Musicalement, le groupe scelle sa collaboration avec Eno et s’installe seul aux commandes en studio en se recentrant plus sur la stricte musique pop qu’auparavant. Dire que c’est un mauvais disque est sûrement exagéré bien que les compositions soient inégales et se transforment parfois en dispersion. Mais les petits gadgets sonores utilisés pour remplir l’espace libre à de fréquents endroits permit de redonner de la saveur à un album qui, malgré sa bonne qualité, résiste mal à l’épreuve du temps. À l’époque, Speaking In Tongues deviendra le premier album du groupe à vendre un million de copies aux États-Unis. Sur chaque titre, Byrne impose un style vocal bien particulier : mélodies rock (Swamp), prêcheur radio gospel (Slippery People). Après tant d’esbroufes, les Heads s’embarquent pour une tournée longue durée et c’est durant ce ‘Speaking In Tongues Tour’ que Jonathan Demme réalise le film Stop Making Sense qui sortira en salle l‘année suivante et montre le groupe au summum de sa carrière sur scène. Toujours inspiré, le groupe se retrouve pour enregistrer un nouvel album dans leur fief du Sigma Sound à New York. Musicalement, le disque marque un retour vers le son des deux premiers enregistrements des Heads, plus conventionnel à l’exception des paroles toujours aussi originales.


Sorti le 10 juin 1985, Little Creatures fournira deux nouveaux succès, la très pop And She Was et surtout la gospel-folk Road To Nowhere, aussi improbable qu’un morceau reggae de Rod Stewart. Les six autres titres au demeurant plutôt fade donnent pourtant l’impression que l’originalité vient à manquer. Paradoxalement, Talking Heads avait survécu aux premières années de la décennie 80 quand bon nombre de ses ex-collègues de la scène new-yorkaise des années soixante-dix avaient littéralement sombré dans de vaines tentatives de poursuite. Et en délaissant les voies exotiques que lui procuraient les rythmes africains, certains fans commençaient à se lasser. Peu de temps après, les Heads gravèrent True Stories, un album de chansons pour le film que réalisa Byrne en 1986 et qui se veut encore plus pop que ne l’était déjà Little Creatures. Mis à part deux ou trois bricoles dont Wild Wild Life et la chanson Radio Head qui inspirera un tout jeune groupe oxfordien par la suite, le résultat est assez affligeant et les critiques se demandent si ces longues années à l’avant-garde de l’actualité musicale n’avaient pas usé l’impact des musiciens. Mais surtout, elles guettaient les signes avant-coureurs de l’embourgeoisement avec autant d’impatience qu’il a été permis d’attendre les frasques et les provocations des New York Dolls. Les mois qui suivirent devaient rassurer.

Fin de Règne

Délaissant les références à la musique régionale américaine et aux chansons pop qui avaient marqué les deux dernières livraisons discographiques, Talking Heads décida d’essayer quelque chose de complètement différent. En réponse à l’isolationnisme croissant dont font part grand nombres de formations américaines, le quatuor décida de partir fin 1987 enregistrer le huitième album à Paris au Studios Davout avec un groupe de musiciens internationaux dans le but de retrouver l’inspiration. On retrouve entre autres le guitariste Yves N’Djock et le claviériste Wally Badarou parmi les huit ou neuf musiciens qui passèrent à répéter et jouer en studio toute la journée. En début de soirée, une piste fut généralement choisie comme version idéale bien qu’ils n’y avaient pas encore de paroles ou de mélodies. Il avait été décidé que dans le but de permettre au musicien d’improviser au maximum sans se soucier des structures mélodiques, ces dernières ne seraient ajoutées qu’à la fin.

L’album, baptisé Naked, sortit le 15 mars 1988 et se détachait par un certain retour musical vers les sonorités world music mais globalement, c’était un album de pop au son de moins en moins agressif et parfois même, le batteur Chris Frantz devait utiliser ses balais sur de nombreux morceaux. Après sa sortie, Talking Heads fut mis entre parenthèse et Byrne et Harrison poursuivirent leur projets solo. Quant à Tina Weymouth et Chris Frantz, leur projet parallèle nommé Tom Tom Club les occupa une bonne partie de l’année 1989. Finalement en 1991, alors que peu de monde ne l’attendait, Talking Heads publia un communiqué expliquant qu’en l’état des lieux, le groupe avait cessé d’exister. C’était une fin logique et le prix à payer. Talking Heads avait vécu quinze ans, quinze années de musique et de folie, parfois douce, parfois violente, mais quinze années passées si vite et si intensément que les membres du groupe n’avaient finalement pas eu le temps de souffler ou plus simplement de prendre un peu de recul.

Le 18 mars 2002, Talking Heads fit son entrée au Rock’n’Roll Hall Of Fame au cours d’une cérémonie qui eut lieu au Waldorf Astoria à New York. Il s’agit de la dernière fois que le groupe s’est retrouvé et Cris Frantz en a profité pour remercier l’organisation du Rock’n’Roll Hall Of Fame d’avoir donné une fin heureuse au quatuor. Le groupe a ensuite interprété quatre de ses morceaux de bravoure : Psycho Killer, Life During Wartime, Burning Down The House et Take Me To The River. Chacun des membres du groupe a pris une direction musicale bien différente et poursuit son aventure musicale. Mais rien ne fera oublier l’aventure de Talking Heads, groupe incroyablement frais et novateur qui en son temps (avec Brian Eno et David Bowie) à tout simplement créé la new wave et a placé le premier du funk dans sa mixture de sorte que toutes les honteuses formations créées pour l’ère MTV sont redevables de la musique des quatre new-yorkais de Talking Heads. Des Têtes Parlantes mais aussi des Têtes Chercheuses.

 [1]



[1Références bibliographiques :

Magazines : Uncut, Q, Mojo, Rock & Folk

Ouvrage : This Must Be The Place : The Adventures Of Talking Heads In The 20th Century de David Bowman, Harper Entertainment, 2001.

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