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The Velvet Underground & Nico

The Velvet Underground & Nico

The Velvet Underground

par Aurélien Noyer le 20 septembre 2010

paru en mars 1967 (Verve/MGM)

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Y a des jours où on ferait mieux de se prendre une bonne cuite... pas tant pour l’ivresse -quoique...- que pour la bonne gueule de bois concomitante, pour cette sale impression qu’une méduse radioactive s’accouple alternativement avec chacun des lobes de votre cerveau avant de se finir sur le cervelet, pour ce truc qui vous empêche de réfléchir au-delà de l’existentielle question "est-ce que je gerbe tout de suite ou est-ce que ça va passer ?" Au lieu de ça, vous êtes en pleine forme, frais comme un gardon, les synapses en légère surchauffe parce que vous venez de vous manger un chapitre de Thomas Pynchon dans les gencives et voilà qu’elle arrive, franche et brutale comme une érection en plein cours de natation, pénètre dans votre cortex, prend la dernière bière du frigo, pète un coup et s’installe confortablement dans le canapé : vous venez d’avoir la pire idée de votre vie... "Et si j’écrivais un article sur le premier Velvet ?"

Heureusement, votre cortex réagit immédiatement et chasse l’intruse. "Un article sur le premier Velvet Underground ? C’est quoi, ces conneries ? Qu’est-ce qu’il y aurait d’intéressant à dire qui n’aurait pas déjà été dit ? Allez, dégage !!!" Mais l’insidieuse salope n’en a pas fini avec vous. Après un ultime bras d’honneur sur le palier de votre intelligence, elle se réfugie dans votre hypothalamus où, aussi farouche qu’une groupie de Doherty, elle se désape devant votre égo. "Allez, quoi... un article comme ça, ça serait la grande classe." Et pendant des semaines, elle revient sur le tapis, ignorant arguments rationnels et carpet burns, avec plus d’insistance qu’un évangéliste en rut, ressassant encore et toujours dithyrambes et flagorneries. "Franchement, je suis sûr que tu peux le faire... Tu peux trouver des choses à dire, un concept qui aurait vraiment de la classe."

Évidemment, c’est séduisant. Écrire un article intéressant sur un sujet aussi rebattu, on se dit que ce n’est pas à la portée du premier venu, qu’il y a là un joli défi à relever. Et au final, vous vous laissez convaincre et vous êtes planté là, devant votre écran à aligner des conneries sur vos états d’âme de rock-critic putatif en attendant d’avoir une bonne idée. Mais comme vous vous doutez que tout le monde s’en fout et qu’il faut bien se sortir les doigts du cul à un moment, il va falloir en venir au fait...

Euh...

Okay, peut-être pas tout de suite. Complètement à sec, pris de panique et avec une élégance qui n’a d’égale que celle d’un Decepticon effectuant un smash au badminton sous l’oeil de la caméra de Michael Bay, vous commencez par évoquer ce dont vous n’allez pas parler. En vrac... Tout ce qui concerne la musique : tout le monde a des oreilles et pour les sourds, le Web recèle d’innombrables articles sur le sujet. Tout ce qui concerne les thèmes des chansons : chacune a eu droit à toutes les formes d’analyses possibles, toucher rectal compris. Tout ce qui correspond au contexte historique (1967, New York, Warhol, Factory, tout ça, tout ça...) : y a pas écrit Wikipedia là ! Tout ce qui est héritage et impact culturel : ça obligerait à ressortir cette citation de Brian Eno comme quoi "seulement 5000 personnes ont acheté cet album, mais elles ont toutes monté un groupe". Et franchement, cette phrase, c’est de la merde. Non seulement c’est une citation des plus apocryphe (il en existe des dizaines de versions et personne n’est capable d’en citer la source exacte), mais surtout elle souffre d’un biais logique important.

J’image sans difficulté que Brian Eno (s’il s’agit bien de lui) a dû utiliser cette formule dans un contexte de cirage de pompes obséquieux (genre "laissez-moi vous parler de ce groupe merveilleux...") dont nous autres, fans de rock, sommes particulièrement friands lorsqu’il s’agit de nos idoles. Mais dans le style "mange-boules", c’est quand même du lourd, cette phrase. En gros, elle sous-entend que cet album est tellement bon qu’il a généré ex nihilo des centaines ou des milliers de vocations dont, bien sûr, chacune fut une bénédiction pour le rock... "vu que, tu vois, ces gens-là, ils étaient pas nombreux à avoir compris le message... c’était des Purs !!!" Bref, The Velvet Underground & Nico, c’est Dieu le Père, la Personne du Verbe qui s’est incarné et a disparu après avoir envoyé ses Apôtres répandre la Bonne Parole mais façon Second Coming avec Jason Statam en Jésus et les mecs de Hypertension à la réal... même qu’à côté, l’Annonce faite à Marie, les langues de feu sur les têtes des Apôtres de Jésus lors de la Pentecôte, les visions de Bernadette Soubirou et la scène finale des Aventuriers de l’Arche Perdue, c’est du spectacle de marionnette. Et quant aux petits malins qui trouvent que j’en rajoute, c’est que ils n’ont jamais lu d’article de fans sur cet album... sans compter que tous les connaisseurs, de Bon Scott à Eddie Vedder, vous diront que la métaphore biblique est consubstantielle au discours sur le rock.

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The Velvet Underground
À gauche : le mythe... Damn Hot SM !!!
À droite : la réalité... Boring Hipsters

"Au Commencement était le Velvet", donc. Ainsi est-il écrit dans le Livre Sacré du Rock Indépendant, fabuleux recueil de contes et de légendes se transmettant de génération en génération au travers d’interviews données au détour d’une rue du Bowery et de concerts saturés de larsens. Et des Stooges au Liars en passant par Sonic Youth, tout converge pour faire de la sortie de l’album à la banane le Big Bang du rock indépendant. Dit comme ça, l’affaire a l’air entendue. Toute l’histoire est d’une évidence folle : les pérégrinations du Velvet Underground, le culte grandissant via Bowie, le punk et la new-wave puis l’arrivée au grand jour grâce à l’explosion du rock alternatif à la fin des années 80. Bref, circulez, y a rien à voir... sauf que c’est toujours marrant d’aller chercher des noises à ces jolis mythes cousus de fil blanc et d’explorer les interstices. Et c’est d’autant plus intéressant dans le cas du Velvet Underground & Nico que peu d’albums ont une telle aura dans la mythologie rock.

Hein ? Comment ça "encore un chieur qui veut faire son intéressant en flinguant un mythe" ? Non, non, tu te méprends, cher lecteur. Tu ne liras dans ces colonnes ni mauvaise foi ni tacle au-dessus du genou... pas cette fois. La démarche est ici purement scientifique. Voyez-vous, le soucis dans cette petite Genèse du Rock Indépendant, c’est qu’elle ne répond qu’à l’une des deux grandes questions à laquelle doit répondre toute théorie cosmogonique, le "comment ?" Le "pourquoi ?" reste donc un mystère, au sens le plus religieux du terme, c’est-à-dire un aspect de la mystique du Rock Indépendant : le Velvet Underground est apparu sur Terre et a envoyé ses 5000 disciples (ou quel que soit le nombre évoqué par Eno) répandre la bonne parole. Telle est la seule et unique exégèse que l’on puisse tirer des disciples du Velvet Underground. À les entendre, il n’y aurait point d’autre explication. Pourtant la question se pose. "Pourquoi le Velvet Underground ? Pourquoi précisément ce groupe-ci et pas un autre ?"

Car l’histoire du Velvet Underground n’a rien à voir avec celle d’Elvis, des Beatles, de Bob Dylan, de Black Sabbath, des Sex Pistols ou de Nirvana... il n’y a jamais eu de velvetmania, pas de tournée des stades, pas de "voice of their generation", pas de gros titres pour insultes télévisées, même pas une lettre de suicide du genre "it’s better to burn out than to fame away". Non, le Velvet Underground aura passé sa carrière à vivoter dans les happenings proto-bobo d’Andy Warhol qui aura sans doute été moins intéressé par leur musique que par le fait que le groupe ressemble à une version Campbell soup des Beatles [1], avant de tourner sans relâche dans des clubs de seconde zone jusqu’à la dissolution consécutive à l’album Squeeze, enregistré sans aucun membre originel par Doug Yule et le batteur de Deep Purple. Finalement, tout ce dont le Velvet Underground a hérité à la fin de sa courte existence (à peine cinq ou six ans), c’est d’un petit following de quelques fans, une vague réputation née dans le sillage de Warhol et un bon mot de Cher comme quoi "ce groupe ne remplacera jamais rien, sauf peut-être le suicide". Alors pourquoi ce putain de Velvet Underground est-il devenu quasiment l’Alpha et l’Oméga d’un mouvement qui a fini par devenir un des plus représenté dans le Rock ?

Même l’adoubement de Lou Reed par David Bowie, les imprécations de Lester Bangs ou le portrait de Lou en grande tante du punk n’expliquent pas un tel culte tant le chanteur n’aura eu de cesse de tirer la couverture à lui, s’arrogeant l’héritage du Velvet Underground pour le grimer en hard-rockeries un tantinet putassières (Rock’n’Roll Animal) ou pour refourguer de l’Heroin aspartamisée (cf. la chanson Street Hassle).

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1976 - Lou Reed
À gauche : d’après le magazine Punk
À droite : d’après lui-même
No comment...

... ou peut-être que si. Paradoxalement, il semblerait qu’en devenant le Grand Maître du N’importe Quoi, plus redouté pour ses déclarations fracassantes que pour la qualité de ses albums (Sally Can’t Dance, Coney Island Baby, Rock’n’Roll Heart, Growing Up In Public, sans déconner, quoi...), Lou Reed ait offert à une génération en mal d’idoles toutes les clés pour fonder un mouvement. Pour comprendre, je vous invite à un petit exercice mental... Imaginez... Vous avez grandi dans un monde où des sommets de l’anti-cool comme Pink Floyd et les Eagles sont les Maîtres du Monde et sont incapables d’exprimer quoi que ce soit de sexy et soudain on vous offre la figure tutélaire parfaite : le freak absolu, un être issu du sérail d’Andy Warhol, nourri à la musique d’avant-garde via John Cale, suffisamment fort en gueule pour traverser les années 70 en crachant son venin sur tout le monde et surtout qui ne risque pas de vous faire de l’ombre, vu qu’il n’a pas sorti un album valable depuis une bonne demi-décennie. Alors forcément, pour les punks, new-waves, no-waves et pour tous les adeptes de ce proto-Rock Indépendant, Lou Reed, c’est Zarathoustra, c’est un prophète, un nouveau Diogène.


Il est évident qu’un attention whore comme Lou Reed a dû se délecter de ce culte un peu inespéré, mais il a vite compris que ce que la nouvelle génération vénérait en lui, ce n’était pas le Lou Reed de Transformer, ni de Berlin (et encore moins celui de Coney Island Baby), mais bel et bien le leader du Velvet Underground. Et c’est un point qui mérite que l’on s’y attarde : la légende du Velvet Underground n’a pas été faite par les membres du groupes, mais par des gens qui vont construire, presque de toutes pièces, un mythe pour pouvoir s’appuyer dessus et élever leur propre mouvement. Et pour comprendre pourquoi les premiers représentants du punk et de la new-wave se sont sentis obligés de s’appuyer sur une légende "artificielle" à partir un groupe qui n’a connu aucun succès, il n’y a qu’à se rappeler cet autre poncif du rock indépendant : "on n’aimait pas la musique qui passait à la radio, alors on n’a joué celle qu’on voulait entendre". Cette remarque montre bien une volonté de se démarquer d’une certaine forme de musique (que d’aucuns qualifieront de "commerciale"). Ajoutez à cela le fait qu’un autre nom récurrent du rock indépendant soit "rock alternatif" et l’on comprend très bien que, dès le départ, il y avait un besoin d’avoir des références qui ne soient pas celles des autres groupes, des références plus obscures et méconnues. Vous imaginez les Ramones croisant Electric Light Orchestra dans les locaux d’une radio et Jeff Lynne qui leur sort "c’est cool, les gars, moi aussi j’aime les Beatles" ?! Non, c’est un truc à vous détruire toute crédibilité auprès de vos fans, ça... [2] Et logiquement la question suivante s’impose d’elle-même. Pourquoi tous ces jeunes gens ont-ils décidé de bâtir leur mouvement sur le Velvet Underground en particulier ?

La réponse se trouve justement dans The Velvet Underground & Nico plus que dans n’importe quel autre album du Velvet Underground. White Light White Heat était un disque sans aucune concession, fonçant droit dans le bruitiste sans se poser de questions ; The Velvet Underground était un album de petit malin qui s’amusait à cacher ses paroles acides derrière une musique douce amère et il faudra attendre l’anti-folk des Moldy Peaches et d’Adam Green (No Legs est une fille de Some Kinda Love) pour que quelqu’un d’autre que Jonathan Richman aille puiser l’inspiration dans cet album ; quant à Loaded, même si on sait ce que la classe de 1976 doit à un morceau comme Sweet Jane, je doute qu’un Lou Reed ressassant ses thèmes habituels sur fond de garage-pop soft ait énormément servi aux jeunes punks pour justifier leurs divers outrages... Par contre, The Velvet Underground & Nico était la parfaite référence. Tout d’abord, il a l’avantage de l’antériorité... ça peut sembler stupide, mais au vu des débats pour savoir qui était le premier rocker, le premier punk ou le premier groupe de metal, il apparait que l’antériorité participe grandement au prestige et à la crédibilité d’un disque ou d’un groupe. Ensuite, il y a sa contextualité, c’est-à-dire l’ensemble des considérations non-musicales entourant l’album et le groupe : le seul fait que The Velvet Underground & Nico soit né en marge du courant hippie dominant mais dans une galaxie artistique largement reconnue (la Factory d’Andy Warhol) ne manque pas d’attrait pour des gamins effrayés qui se rêvent en artistes maudits. Et surtout The Velvet Underground & Nico est un album sur le fil et paradoxal, c’est le résultat de la rencontre d’un rocker qui se rêvait en avant-gardiste et d’un avant-gardiste qui se rêvait en rocker. Le drame de ce premier album, ce n’est pas une bataille d’égo, c’est que chaque des deux leaders veut être l’autre sur le plan musical. Au lieu d’avoir deux têtes pensantes qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour tirer la couverture au risque de produire un album éclaté et baroque, Lou Reed et John Cale s’annulent mutuellement pour produire un album qui fait quasiment du surplace : par exemple, les chansons garage (Waiting For The Man, Run Run Run) sont trop sages structurellement et trop crades soniquement pour avoir le moindre succès. De même, les pop-songs (I’ll Be Your Mirror, Sunday Morning) sont trop perverses dans leur thématique et trop rachitiques dans leurs arrangements. Ne restent que deux chansons à réaliser les velléités de Cale et Reed et à proposer quelque chose que l’on pourrait considérer comme du rock d’avant-garde : Heroin et, dans une moindre mesure, Venus In Furs.

Au final, The Velvet Underground & Nico n’offre rien de plus qu’une potentialité inaccomplie. C’est un album qui suggère qu’un équilibre entre le rock et l’avant-garde est possible, que l’on peut marier les trois accords fondamentaux et les dissonances, mais qui ne tient pas ses promesses... et c’est de cette tension irrésolue que naîtra son mythe. Grâce à ces défauts, il n’est pas l’album écrasant que sont Pet Sounds, Paranoid ou Revolver. Face au Velvet, ou plutôt à la suite du Velvet, n’importe qui peut se lancer à la poursuite de l’alchimie parfaite entre efficacité rock et innovations artistiques. Ils seront d’ailleurs nombreux à expérimenter, à tenter des mélanges, à chercher la Pierre Philosophale qui transcenderait la simplicité du rock et la complexité de l’avant-garde... il y aura de nombreux échecs, de belles réussites, et puis ceux qui n’auront rien compris, ceux qui auront commis l’erreur d’ériger les défauts de The Velvet Underground & Nico - vous allez rire - en Esthétique. Je vous laisse imaginer le résultat... car, non, je ne citerai pas de noms !!!



[1Deux leaders, un guitariste discret et une batteuse basique... bref une sérigraphie pop-art des Fab Four

[2Et si vous trouvez que je délire, je vous rappelle qu’il y a une rumeur récurrente qui prétent que Glen Matlock a été viré des Sex Pistols parce qu’il aimait trop les Beatles.

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Tracklisting :
 
1- Sunday Morning (2’54”)
2- I’m Waiting For The Man (4’37”)
3- Femme Fatale (2’37”)
4- Venus In Furs (5’10”)
5- Run Run Run (4’20”)
6- All Tomorrow’s Parties (5’58”)
7- Heroin (7’10”)
8- There She Goes Again (2’38”)
9- I’ll Be Your Mirror (2’12”)
10- The Black Angel’s Death Song (3’12”)
11- European Son (7’46”)
 
Durée totale : 48’59”