Sur nos étagères
Untitled

Untitled

Korn

par Lazley le 4 septembre 2007

4

sorti le 31 juillet 2007 (Virgin)

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« Quoua ? Comment ? Korn sur Inside ? » se demande certainement, estomaqué, le (web)lecteur de ce merveilleux site, espace pourtant connu pour son bon goût et ses références fouillées. Et de terribles images de submerger soudain l’inconscient de cette pauvre âme : endorsment en survets’ Puma, rage adolescente suspecte, grognements insupportables, une marée de dreadlocks sur des corps pliés en deux, dans une vaste parodie prépubère de danse tribale, le ridicule « stop fucking with me, I’m strange » (etc.) en bandoulière...

Avouons qu’il y a de quoi s’interroger : en quoi un groupe amputé de deux de ses membres - partis pour des raisons assez effarantes (la right-guitar Head appelé par « plus haut », le funky drummer testostéroné Silveria prenant congé pour s’adonner à... la restauration) - et venant de sortir une des plus grosses compromissions artistiques de l’histoire du métal (un Unplugged MTVien plus que poussif où se bousculent des featurings de l’horrible succube Amy Lee, de ce pauvre Bob Smith plus zombifié que jamais, et d’une reprise du Creep de Radiohead) pourrait présenter un semblant d’intérêt, alors que son dernier apport véritable à la grande cavalcade métallique date du Life Is Peachy de 1996 ? Creep... Ben voyons, et pourquoi pas Where Is My Mind, pour faire original ?

Eh bien oui, il s’agit bien de ce Korn-là dont traitent ces quelques mots. Nous allons bien causer de cette énorme baudruche à fric, spéculant sur plus de deux générations de crises d’ados, de mal-être plus ou moins simulé et d’angst mal foutue ! Et croyez bien qu’on aimerait descendre en flamme ce désormais trio de presque quadras bouffis, hébétés et autosatisfaits, dans une de ces pompeuses tirades sans queue ni tête d’ordinaire si chères à votre serviteur !

Sauf que voilà : cet album est incroyablement HALLUCINANT. Et pas seulement parce que les quatre (aïe, déjà ?) précédents ne valaient pas tripette (les pleurnicheries d’ Issues , les scies d’ Untouchables, la blague Take A Look Into The Mirror ou le monstrueusement davegahanien See You On The Other Side ). Non, Untitled (pas de titre officiel, on choisira donc celui-ci pour éviter un zeppelinisme hors-propos) est juste une petite révolution métal à lui tout seul, se posant en chef-d’œuvre qu’on espérait plus venant d’un groupe ayant commis tant d’impairs d’affilée.

Pour ceux qui ne se souviendraient que vaguement de ce que le mot Korn veut dire en terme sonique, bref rappel des faits : double guitare sept-cordes alternant scratches sépulcraux et gimmicks stridents (Brian « Head » Welsh donc, et James « Munky » Shaffer), vocaliste en kilt se contorsionnant de borborygmes scat-métal en complaintes torturées ou scansions hip-hop (Jonathan Davis), basse (Reginald « Fieldy » Arvizu) accordée si grave qu’elle sert surtout de rebond percussif épaulant les beats funk-métal-porno des fûts (David Silveria) ; le tout donnant quelques grondements intéressants (les morceaux Blind , Faget , Porno Creep , A.D.I.D.A.S ou Freak On A Leash sont recommandables à qui n’a jamais tâté pareil mélange), mais s’essouflant assez vite dans une formule trop étroite... Apparemment.

En effet, dès les premières notes de cette Intro vaguement halloweenesque, on sent que quelque chose cloche : pas de hurlements porcins ? Où est passé le gros bourdonnement informe des Ibanez ? et que vient foutre ce PIANO au début d’un album de Korn ? On se dit que ce n’est qu’un petit tic mégalo, que môssieur Davis a voulu se payer un petit à- côté pédant, et puis Starting Over débute et on ne rigole plus : synthés difformes, octavers nucléaires, continuum ricanant, pont final vocalisant plus proche d’un gospel néo (?) que de la nouvelle bouse emo attardée de Linkin Truc... Bitch We Got A Problem, tu l’as dis Jonathan ! Parce que pour la première fois, le songwriting typé « maladies mentales » du bonhomme n’est pas complètement drainé par le barouf instrumental habituel. Mince, Korn SERT ses compos ! Trop content de pouvoir s’épancher un peu plus posément, l’homme trouve quelques formules bien senties et plutôt habiles pour nous causer de ses récents déboires pathologiques (une maladie du sang qui l’a conduit plus près de la mort qu’il ne l’avait jamais déblatéré). Et revient à la charge sur Evolution , single jetant à la face de l’auditeur le nouveau Korn : tir groupé, crescendo malin, lyrics directement inspirés (plutôt que sournoisement pompés) par les préceptes de Devo. Sur Hold On, se produit une métamorphose inattendue : concentré de pulsions vitales, le morceau jongle entre revanche de riffs et refrain épique désinhibé. Passé le squelettique interlude Kiss (ballade littéralement désossée), on rentre dès les premiers instants de Do What They Say dans le coeur même de l’album, où apparaît une tête bien connue : celle de Terry Bozzio .

Incroyable traversée que celle de ce batteur fou, révélé dans le matin des magiciens de Zappa, habitué aux collaborations variées (Tony Levin, Fantômas, Jeff Beck, Stevie Ray Vaughan...). Tombé dans le drumming, comme toute une génération d’américains dans le rock, en prenant la baffe des Beatles direct dans le Sullivan, l’homme devient le cauchemar de ses confrères en interprétant la désormais célèbre Black Page du Grand Wazoo , monument de complexité et de mélodie écrite à l’origine pour... un orchestre de percussion ! Cette prouesse poursuivra Bozzio de ses essais minimalistes (le groupe new wave ultra kitsch Missing Persons, fondé avec sa désormais ex-femme Dale) à ses récents travaux solos (le bluffant Chamber Works, où le déjà quinquagénaire dirige de ses fûts le Metropole Orchestra). Ultra professionnel et potache à la fois, le batteur/compositeur refuse, de même que son mentor moustachu, de choisir entre ses marottes pop (les Fab bien sûr, mais aussi The Knack qu’il sauvera de l’oubli avec l’album Zoom ) et ses goûts pour le classique le plus intransigeant (Stravinsky, Varèse, qui d’autre ?). Pour compléter le tableau, Bozzio se trimballe depuis le milieu des années 90 le drumkit le plus imposant de l’histoire de la percussion : une cinquantaine de toms tous accordés chromatiquement, des centaines de cymbales et six grosses caisses reliées par un jeu de pédale tenant de la mécanique pure. Appelé au secours par Davis, avec qui il avait déjà travaillé sur la B.O. de Queen Of The Damned, la « pieuvre » comme on le surnomme dans le cercle des fous de la pédale, transmute le Korn sound en quelque chose totalement autre. Comme si l’esprit concret de Varèse était venu insuffler au groupe une réelle folie percussive (la section centrale d’ I Will Protect You, monument d’architecture rythmique), vers une mosaïque de cymbales fracassées, de bris de bronze intempestifs mais savamment dosés. Les cavalcades mélodiques de l’homme au kit infernal sont cependant loin d’engluer les morceaux, ou même de les ensevelir sous la technicité la plus absolue. Il ne s’agit pas non plus d’un travail de session man, mais bel et bien d’un apport à la composition. Et quel apport, puisqu’il fait de Korn un groupe adulte au sens noble du terme : trio de musiciens face à eux-même, explorant sans souci autre que de mettre en lumière de nouveaux aspects de l’entité musicale à laquelle ils participent (adieu, petite protection de nos ouailles acnéiques... pour un temps tout du moins). Killing s’impose ainsi comme manifeste métal aux couleurs neuves (son d’égout orchestral, éventé, contrepoint death metal littéralement soufflant), alors que Do What They Say réalise la prouesse de sampler l’impossible, intensifiant toujours plus l’impact bozzien.

Disparues, les tergiversations du timbre de Davis ! Lancé dans l’ubiquité (presque toutes ses pistes sont doublées d’un octave plus grave), le lead singer aminci pour l’occase ajoute à ses envolées une touche vindicative qui n’est pas pour déplaire, surtout lorsqu’il s’agit de descendre en flammes l’imbécilité de son ancien comparse Head (Ever Be, noyant les prétentions christiques de l’ex-guitariste sous une déferlante de sons rauques). Le cynisme est de mise, qui sied bien mieux à Korn qu’un énième lifting à la teenage angst. Quid de Fieldy ? Eh bien, son rituel double-slapping se trouve minoré, à quelques rares exceptions, sauts d’humeurs fort à-propos de sa 5-cordes (Sing Sorrow, morceau trop bien arrangé pour un simple « bonus track »).

Autre aspect de la composition enfin (sans doute trop tard) assimilé par le groupe : le travail d’anticipation effectué sur le processus composition - enregistrement (d’habitude boycotté, les cinq de Bakersfield naviguant à vue). Apparaissent tambourins, lapsteels et autres pourvoyeurs d’évocations et de renvois sonores, disséminés sur Untitled. Ce qui nous amène au cas Munky, que l’on croyait perdu sans Head, Kramer en baggy regrettant son « Sonic » born again. Il semblerait pourtant que Shaffer s’assume étonnamment en Keith Richards de la 7-cordes, déformant ses tics habituels pour dériver vers un exercice qu’on lui croyait inaccessible : l’overdubbing audacieux. Bien sûr, si Shaffer, trop marqué par douze ans du dyptique riffs/gimmicks stridents, ne parvient naturellement pas à s’élever à la moitié d’un Gimme Shelter, l’enchevêtrement d’initiatives guitaristiques (8-cordes, échos de mandoline, Gretsch « sous le radar » , Danelectro râpeuses, Telecaster évanescentes) qui compose l’ossature d’ Untitled représente une prise de risques considérables. Car on se trouve du coup en face de l’expression du sens pop de Korn (oui, ça surprend...) : homogénéité des titres, tous rassemblés dans un écrin/schéma soigné (cinq minutes maxi, deux minutes minimum).

Alors oui, cet album n’est qu’un superbe aparté dans un parcours qui continue son chemin vers le ridicule ultime (Bozzio décarrant pour raisons financières, Munky n’a rien trouvé de mieux pour le remplacer live que... Joey Jordison, le shooté à la double-pédale de Slipknot). Oui, Davis continue de faire copain-copain avec Evanescence, désormais régulièrement invité au Family Values, tournée pompe-fric pour mômes attardés. Oui, Korn sur scène c’est désormais 8 personnes minimum dont la moitié ne servent à rien, comme chez un certain troupeau masqué de l’Iowa.

Il n’empêche, refusant le verbiage sonore, privilégiant le climat au diktat du riff, Untitled impose pour de bon, et probablement pour la dernière fois, Korn comme élément majeur dans la longue chaîne des exactions métal. Respect, pour cette fois.



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Tracklist :
 
1. Intro (1’57")
2. Starting Over (4’02")
3. Bitch We Got A Problem (3’22")
4. Evolution (3’37")
5. Hold On (3’05")
6. Kiss (4’09")
7. Do What They Say (4’17")
8. Ever Be (4’48")
9. Love And Luxury (3’00")
10. Innocent Bystander (3’28")
11. Killing (3’36")
12. Hushabye (3’52")
13. I Will Protect You (5’29")
 
Durée totale : 48’42"

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