Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Psychedd le 9 janvier 2007
Titre original : The Electric Kool-Aid Acid Test, paru en 1968 (première parution française en 1975, éd. Du Seuil), 408 pages
Tom Wolfe est un des chefs de file de ce que l’on appelle le Nouveau Journalisme (un style purement américain). C’est bien beau, mais qu’est ce que c’est ce truc ? Pour faire simple, Tom Wolfe a écrit des articles et des livres qui sont tout sauf purement objectifs, mêlant un style romancé avec le journalisme pur.
Car Acid Test n’est pas qu’un simple récit romanesque sur le phénomène Merry Pranksters. C’est un véritable reportage, une plongée à l’intérieur d’un petit groupe de personnes ayant engrangé un monstrueux foutoir psychédélique en moins de deux ans... Tom Wolfe n’a pas vécu l’expérience de l’intérieur, ce n’est pas un freak, ce n’est pas un camé, il est même plutôt du genre à déplorer ce genre d’excès et n’hésite pas à se foutre de la gueule de ces « rebelles ». Il a pourtant pondu là un sacré pavé, particulièrement bien documenté, un véritable et précieux document pour tous les nostalgiques des glorieuses années 60.
Hum... Glorieuses ? Pas toujours à vrai dire. Certes Acid Test est réjouissant et donne une furieuse envie de se peindre à la Day-Glo (la peinture phosphorescente fétiche des Joyeux Farceurs), voire même de s’extirper la cervelle hors de la boîte crânienne à coup de stupéfiants, histoire d’aller mater un peu plus loin que notre simple champ de perceptions habituelles. Mais plus on avance dans la lecture, plus on a la trouille. Face à un tel phénomène, à un tel raz-de-marée d’idées et de folie, on se demande si on aurait pu en sortir indemne. Il faut dire que ce bouquin bouscule et rétame pas mal de clichés sur la révolution psychédélique... Rien qu’à l’évocation de ce « mouvement », on a toujours la vision comique de hippies, joint au bec, prônant mollement la paix et l’amour, nus comme des vers dans un parc de Frisco. Et les Merry Pranksters étaient tout sauf des hippies. Puisque ce sont même les hippies qui les ont « tués ».
Et maintenant autre question existentielle : les Merry Pranksters, c’est quoi ? Hé bien, c’est compliqué... On peut appeler ça une communauté, assez aléatoire. On vient, on repart, on est dans le coup ou on ne l’est pas. Mais c’est avant tout un groupe solide réuni autour d’un homme : Ken Kesey. Un électron lâché en liberté, un vilain poil à gratter dans le dos de l’Amérique, aussi brillant que surprenant. En 1959, grâce à Vic Lovell (étudiant en psychologie), il se trouve un petit boulot pas comme les autres qui va lui ramener bien plus que de la thune...
Pensez donc, en pleine Guerre Froide, on tente de développer des armes psychiques pouvant réduire la santé mentale des ennemis à néant en moins de deux. Et Kesey de devenir un simple cobaye à qui l’on administre bon nombre de drogues en tout genre. Amphétamines, psychotropes, hallucinogènes, Ken, ça le fait marrer tout ça, parce que grâce aux gentils messieurs en blouse qui viennent observer les effets des substances, lui, il découvre une autre façon de voir le monde et quand il teste le LSD pour la première fois, c’est la folie dans son cervelet. Persuadé qu’il tient là un moyen extraordinaire de réveiller les conscience, il décide presque illico de répandre la bonne parole à qui voudra l’entendre. Le psychédélisme est en marche... Et son esprit s’ouvre tellement qu’il commence à déborder d’idées, tandis qu’il développe une aura plus attirante encore qu’un halogène pour les papillons de nuit. Et pas mal vont venir s’y cramer les ailes. Il devient tellement brillant qu’il finit par écrire son premier bouquin, le fabuleux Vol Au Dessus d’Un Nid De Coucou (paru en 1962), directement inspiré de son autre boulot, gardien d’un hôpital psychiatrique. Résultat : un succès littéraire immédiat et le monde intellectuel qui se gargarise de ce nouvel auteur, le meilleur depuis Kerouac pour certains... Il va retenter l’expérience un an plus tard avec son second roman Sometimes A Great Notion, tellement compliqué qu’il va en décevoir pas mal. Mais lui s’en fout, l’écriture c’est fini, maintenant qu’il a l’esprit branché sur d’autres ondes, il veut passer à l’étape au dessus. En 1963, Kesey émigre dans une maison au fond des bois, à La Honda (Californie).
Et c’est là que tout s’enclenche pour de bon... Wolfe raconte alors l’arrivée progressive des pionniers Pranksters, personnages hauts en couleurs (et ce n’est pas qu’une image) que l’on apprend à connaître et à aimer. Babbs, le Démolisseur, L’Ermite, Mountain Girl, Gretchen et bien sûr Neal Cassady, le héros de Sur La Route... La grande force d’Acid Test est de nous plonger au cœur de la Honda, au cœur même des trips de LSD, de mescaline et d’amphétamines. Avec bon nombre de tournures de style, l’auteur arrive à nous plonger dans un état quasi hallucinatoire, il nous fait comprendre la démarche essentielle de ce groupe d’allumés : vivre dans l’instant, en synchro parfaite, symbiose des cerveaux et des pensées... La description est si bien faite que l’on y est et que l’on voit presque les arbres briller dans la nuit. On imagine bien un groupe de 10 personnes en train de marteler, de crier, d’improviser, de créer un langage où les mots n’ont même plus de signification. Mais on ne reste qu’un simple spectateur, comme si l’on était assis au fond du salon à observer de loin ce qui se passe. Car il est sincèrement impossible de bien saisir où ils veulent en venir à moins d’avoir soi même connu une expérience similaire (et ça ne doit pas être facile aujourd’hui). Il ne faut pas oublier un détail qui a son importance : le LSD est resté légal jusqu’en 1966 aux États-unis, alors que la marijuana était plus que prohibée... C’est donc en toute légalité que nos Lurons « s’envoient en l’air ». Et ils planent si haut qu’ils n’ont plus de limites...
Ce que Tom Wolfe explique parfaitement : les bois alentours sont repeints (si bien que les arbres brillent la nuit), décorés et même sonorisés. Les Pranksters achètent un bus scolaire, qui ne reste pas très longtemps jaune et partent sur la route dès le début de l’été, avec des munitions : drogues, drogues, drogues, mais aussi un véritable arsenal technologique (des micros, des caméras, des instruments de musique, des câbles, des câbles, des câbles...). Tous derrière Kesey qui refuse pourtant son rôle de chef (il est le Non-Navigateur), les psychopathes phosphorescents s’en donnent à cœur joie : ils narguent les flics, qu’ils filment. Ils se tapent des délires psychédéliques, qu’ils filment. Ils rameutent des gens, qu’ils filment... Et le Film des Pranksters est très important : il est le témoignage de leur action. Il est surtout un gouffre financier (Kesey investi tous les bénéfices de son premier roman dedans et obtient au final un truc de 40 heures absolument irregardable, à moins d’être sous substances !). Certains pètent un plomb, la drogue et les conflits d’ego n’aident pas. Et ceux qui ne sont pas avec l’autobus sont tous simplement lâchés sur le bord de la route. Et oui, ce n’est pas toujours drôle de graviter autour de ce groupe. Nombreux sont ceux qui vont tenter de les approcher, nombreux sont ceux qui vont repartir aussitôt, incapables de rentrer dans le délire ou de suivre le rythme effréné.
Toujours sans limites, les Pranksters copinent avec les Hell’s Angels qui sont à l’époque considérés comme la horde la plus sauvage et violente des USA, puis ils décident d’élargir leur action en organisant des « acid tests », véritables happenings psychédéliques mélangeant musique, images et diverses activités (même si au début tout ça ressemble plus à une chouille monstre entre potes).
Mais n’allez pas croire que tout est rose, Wolfe apporte justement cette touche critique et n’hésite pas à montrer que tous ces abus n’apportent pas que la joie et l’épanouissement. La folie rôde, les mauvais trips se multiplient et les Pranksters ne sont pas toujours tendres pour les flippés et ceux qui ne font pas partie de leur cercle. Sans oublier ces bonnes vieilles forces de l’ordre qui viennent mettre leur nez dans les affaires de Kesey, qui va même finir par fuir au Mexique pour échapper à la tôle. Paranoïa et peur font leur intrusion, avant que tout ne s’achève dans la plus grande déconfiture, dans un ultime « Acid Graduation », assassiné par les médias et les petits hippies qui sont bien loin de piger ce que voulaient leur apporter les Joyeux Lurons...
Quant au rock, et c’est bien pour cela que ce livre à sa place sur B-Side, il est omniprésent. Bob Dylan en musique de fond dans les bois de la Honda ou dans le bus, un concert des Beatles qui fait flipper les Pranksters les plus téméraires, le Grateful Dead qui est le groupe officiel des tests (et qui devient pour la peine le premier groupe psychédélique des 60’s), j’en passe et des meilleures. Car il ne faut pas oublier que la musique était une partie intégrante de tout ce mouvement.
Pour conclure, on a gardé en mémoire Timothy Leary comme étant le grand ponte du LSD, Tom Wolfe en fait un vrai bonnet de nuit qui ne sait pas prendre de risques et réhabilite Kesey dans sa démarche de tout démonter, pour recréer un ailleurs plus vivant et plus vibrant. Même si cela doit retrancher dans les limites de la raison, mais il ne faut pas oublier qu’à l’époque, il valait mieux ne pas être raisonnable...
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |