Livres, BD
Chroniques

Chroniques

par Giom le 17 septembre 2007

4,5

paru en 2005 (Fayard)

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D’abord c’est un immense coup éditorial. Dylan par Dylan, voici bien longtemps que le public attend ça, et l’éditeur qui a empoché le contrat a dû se frotter les mains. Fayard, qui récupéra les droits pour l’édition française a sûrement fait de même. Une bande originale du livre avec tous les morceaux cités est même sortie en parallèle et une version lue par Sean Penn, apparemment magnifique, a également trouvé sa place sur le marché. L’homme qui avait joué à cache-cache avec les médias durant une grande partie de sa carrière allait enfin se livrer et ça s’appellerait tout simplement Chroniques, chroniques d’une vie extraordinaire par un homme ordinaire.

Les Chroniques sont circulaires car le point de départ du récit, la signature de Dylan chez Columbia à New York, est également son point d’arrivée. Les Chroniques sont fragmentaires car à chaque chapitre, Dylan donne à entrevoir un épisode de sa vie privée ou de sa carrière, mêlant souvent ces deux aspects de son existence pour justifier son attitude très souvent fuyante à l’égard de son statut d’icône. On comprend donc mieux grâce au livre l’enregistrement chaotique de New Morning où se sont accidentellement retrouvés des morceaux originellement destinés à un projet de musique pour une pièce de théâtre du poète Archibald MacLeish, personne que le narrateur donne à voir dans toute sa complexité. On comprend également la renaissance de Oh Mercy et cette collaboration étonnante avec Daniel Lanois... Dylan passe sciemment sur les années électriques, y fait subtilement allusion comme Diderot avec les amours de Jacques pour mieux se lancer sur un autre sujet... le lecteur attendra finalement un autre volume.

L’écriture de Dylan est en tout cas incroyablement spontanée. Le récit jaillit de façon oratoire. Les seules marques de style sont les nombreuses reprises de paroles de morceaux traditionnels au sein même de la narration. Sinon la lecture du texte donne le sentiment d’un Dylan présent à vos côtés et vous offrant sa vie, sans tricher, comme elle lui vient. Pas dégueu.

Le grand intérêt du livre, celui qui le sépare définitivement d’une ultime biographie ultra-complète de Dylan, est le rapport à sa propre création qu’expose Dylan tout au long du texte. Les propos de Dylan sont passionnants car ils montrent le recul que peut avoir un artiste sur ses compositions ou bien, à l’inverse, la difficulté pour lui à s’en détacher, source d’un éventuel blocage. Dylan montre aussi comment on peut sentir un morceau à un moment de sa carrière, l’habiter totalement, puis le perdre de vue très longtemps pour finalement le retrouver un soir de concert ou lors d’une séance d’enregistrement. Chroniques est donc un témoignage passionnant à travers l’expérience singulière de Dylan, du lien créateur/création. Il est également éclairant de comprendre que si Dylan a si violemment rejeté l’imagerie folk à une époque de sa carrière c’est peut-être à cause de l’avoir trop idéalisée, voire sublimée avant de connaître le succès comme nous le montrent certaines pages du livre, notamment l’analyse de son attirance pour son « parrain » malade, Woody Guthrie. On finit toujours par changer son regard, une fois l’idéal expérimenté. Or un idéal n’est pas fait pour être expérimenté, donc il perd automatiquement ce statut.

Dylan croque aussi dans ses chroniques quelques portraits de compagnons capitaux qu’il a pu croiser tout au long de sa carrière. La scène de Greenwich bien sûr avec des musiciens comme Paul Clayton ou Dave Van Ronk. Joan Baez, évidemment, mais très rapidement. Bono qu’on retrouve en érudit et curieux de tout puis Daniel Lanois avec qui Dylan va confronter sa conception de faire de la musique de façon passionnante le temps d’un album. Tous ces personnages trouvent vie sous la plume du Zimm’ et forment une galaxie foisonnante qui font que le livre se dévore rapidement.

Dans un passage du livre, Dylan avoue son intérêt pour les biographies de personnages illustres. À Greenwich, alors qu’il logeait chez un couple d’amis, il en a dévoré des dizaines sans marquer de pause. Gageons, maintenant qu’il peut regarder sa vie en tournant la tête, qu’il a pris du plaisir à l’art de se raconter lui-même.



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