Incontournables
Down

Down

The Jesus Lizard

par Parano le 13 janvier 2009

Paru le 26 août 1994 (Touch & Go)

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Plus personne ne joue comme The Jesus Lizard. Vous, je ne sais pas, mais moi, ça me désole. Il doit bien y avoir quelques prétendants, ici où là, dans les clubs aveugles de Chicago et les bouges du Middle West, mais aucun groupe consistant n’a repris le flambeau du rock dégénéré et implacable qui a pourtant fasciné une génération de sales gosses. La mode est passée par là. Comme toujours. La rage s’est réfugiée dans l’underground, ou chez les métalleux, jamais avares de coups de boule. Le rock, lui, se doit d’être fun, inoffensif, et mignon, s’il veut être remarqué. Rien qui dépasse. Tout le monde s’est foutu de la gueule du rock progressif, mais aujourd’hui, alors que le binaire est devenu régressif, sénile, on rigole moins. Mes frères, mes sœurs, je vous le dis, il est temps de réhabiliter la folie, l’audace, et le talent. Ouvrons grand nos oreilles, et laissons nous culbuter par l’un des meilleurs groupes de l’histoire du rock. The Jesus Lizard.

Lorsque le label Touch & Go publie Down, en 1994, Nirvana vient d’éteindre la lumière. La Brit pop déboule, le néo métal gazouille, et les survivants du grunge se disputent l’héritage. Debout, au milieu des ruines fumantes du rock américain, The Jesus Lizard taille la route, et sort son meilleur album, le plus éclectique, le plus aventureux, le plus inspiré. Encore auréolé d’un split single avec Cobain (Puss/Oh The Guilt, 1993), le groupe s’est forgé une réputation enviable de bête de scène, sauvage et technique, rejeton improbable du punk de la côte Est, des sonorités industrielles venues d’Europe, et des subtilités blues, tirées (par les cheveux) des pires rades du Delta. Le groupe est né en 1987, des cendres de Scratch Acid, combo noise rock d’Austin, et a publié 3 albums chez Touch & Go (Head/1990, Goat/1991 et Liar/1992), tous enregistrés par Steve albini. Autant dire qu’on est en terrain connu : le son est rêche, la batterie massive, et le chant, volontiers enterré par les assauts rythmiques des guitares. Down innove peu côté son, on reprend les mêmes et on recommence. Il fait même figure d’archétype des productions à la Albini. Le résultat est brut, sans fioritures, et superbement intemporel.

Cet album survient à un moment charnière, dans la carrière des Jesus Lizard. Le hardcore bruitiste des débuts fait désormais la part belle aux incursions jazzy. La puissance de frappe du combo reste intacte, mais le groove sexy de la basse et les arpèges colorés de la guitare laissent un peu de répit à l’auditeur, jusque là drôlement malmené. Même le chant se fait plus conventionnel. Down est probablement l’album le plus accessible de la période Touch & Go, c’est-à-dire celle préférée des fans. En 1995, les chasseurs de tête de chez Capitol auront la bonne idée de signer The Jesus Lizard, et un nouvel album, Shot, sortira l’année suivante. Produit par Garth Richardson (L7, Rage Against The Machine), ce 5ème album, plus consensuel, tournera définitivement le dos aux excès sonores des débuts. En ce sens, Down est le dernier grand disque de Jesus Lizard, passionnant de bout en bout. On y retrouve toute la richesse du combo : rock boueux, prouesses rythmiques, réminiscences heavy metal, diatribes punk, dissonance malsaine, le tout relevé à la sauce jazzy. Un disque insensé, acide et courageux.

The Jesus Lizard aurait facilement pu grossir les rangs des bataillons hardcore qui sévissent habituellement chez Touch & Go (Shellac, Girls Against Boys, Killdozer…), sans plus d’originalité qu’un nom sympa (inspiré du basilique, un lézard qui court sur l’eau) et une technique irréprochable. Mais la force de Jesus Lizard est ailleurs. Comme tout grand groupe, le gang de Chicago met en scène des musiciens d’exception, capable de produire une musique absolument unique, et parfaitement identifiable. La paire basse batterie (David Wm Sims et Mac Mc Neilly) combine à merveille, et malmène les rythmes sans le moindre état d’âme, enchaînant syncopes et boucles hallucinées, bâtissant les cathédrales d’un culte où le jazz et la musique industrielle seraient tous deux adorés. A la 6 cordes, Duane Denison, diplômé du conservatoire de guitare classique du Michigan, assène son jeu minimaliste, dépouillé de toute tentation mélodique, en plaquant des accords décadents et expérimentaux. Sur cette base savamment déconstruite, David Yow peut laisser libre court à ses névroses. Son chant tient davantage de la prêche obscène que de la performance vocale : murmures rageurs, éructations angoissées, le tout porté par un timbre nauséeux. Sur scène, il n’est pas rare de voir Yow s’exhiber ou se mutiler. Un type charmant, mais qui ne fait pas semblant.

Qu’un groupe aussi extrême ait séduit un public aussi nombreux, parait incroyable. C’est pourtant arrivé. Au festival Lollapalooza de 1995, The Jesus Lizard est tête d’affiche aux côté de Sonic Youth, Hole, Cypress Hill et Beck. Le rock noise est à son apogée. Bien sûr, The Jesus Lizard n’a jamais bouleversé les charts (il faudra attendre la signature sur Capitol Records en 1996 pour que le groupe atteigne le top 30 aux USA). Trop barré pour le grand public. Mais leurs albums ont tous durablement marqué la scène indé, et le groupe est devenu culte. Il suffit de voir l’effervescence qui anime la toile, depuis l’annonce de leur reformation, pour une série de concerts, 10 ans après le split. A cette occasion, les 4 albums Touch & Go de Jesus Lizard, dont Down, seront remixés et réédités. Finalement, l’année 2009 s’annonce plutôt bien.



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom



Tracklisting :
 
1. Fly On The Wall (3’06")
2. Mistletoe (1’53")
3. Countless Backs of Sad Losers (3’00")
4. Queen For A Day (2’26")
5. The Associate (5’00")
6. Destroy Before Reading (3’13")
7. Low Rider (3’36")
8. 50 Cents (2’49")
9. American BB (2’18")
10. Horse (3’10")
11. Din (3’19")
12. Elegy (3’48")
13. The Best Parts (2’55")
 
Durée totale : 40’40"