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Eurockéennes de Belfort 2006 (18ème édition)

Belfort

Eurockéennes de Belfort 2006 (18ème édition)

Du 30 juin au 2 juillet 2006

par Béatrice le 11 juillet 2006

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Malgré quelques nuages menaçants à l’horizon dans l’après midi du vendredi, c’est sous le soleil que la dix-huitième édition des Eurockéennes de Belfort sera lancée, et sous le soleil encore qu’elle se terminera, sans qu’une seule goutte de pluie ne soit venue perturber la poussière qui s’amoncelle de jour en jour sur le sol - dérogeant à une tradition d’humidité pourtant bien établie depuis plusieurs années. Les campeurs ont donc peut-être été un peu moins boueux que d’autres années, mais joliment brûlés et écrasés par les rayons lourds qui ont pesé pendant trois jours sur l’aérodrome. Ne pas s’étonner donc des corps affalés sur les pelouses (ou ce qu’il en reste), plongés dans un sommeil si profond que même le mélange du hip hop de Blackalicious et de l’electro rock déglingué de Duchess Says ne peut le troubler ; ne pas s’étonner non plus des quelques énergumènes rasés de façon peu conventionnelle, œuvre du “styliste créatif” qui officie sur le camping et marque le partenariat avec une certaine marque de rasoirs...

Vendredi 30 juin

À 16 heures le vendredi, le festival ouvre ses portes, laissant la voie libre à une horde de spectateurs encore propres venant fouler l’herbe encore propre de la presqu’île de Malsaucy. Le festival se met doucement en marche, alors que sous le Chapiteau le groupe Venus entame son concert. Premier à jouer des quatre groupes ayant participé à l’expérience, menée de front par quatre festival européens, de faire collaborer des groupes de rock avec des orchestres locaux, le groupe commence seul, dans un style glam-lyrique mâtiné d’intonations placeboïdes. Si ce n’est l’étonnante jupe d’écolière du chanteur, et le plaisir de réentendre un vieux single un peu oublié (Beautiful Day), le concert n’est pas suffisamment prenant pour me retenir jusqu’à l’arrivée de l’orchestre. On se résigne donc à écouter les balances d’Anaïs, qui s’entraîne à imiter en autre la cornemuse et l’accent écossais qu’elle utilisera au cours de son set - seule sur la grande scène, devant un parterre de fans des Deftones, saluons au moins l’audace de la programmation. Les Deftones justement, qui déboulent toutes guitares, rythmiques martiales et martèlements de fûts dehors, dans un violent déluge de décibels. S’il y avaient des festivaliers qui espéraient somnoler en prévision de la longue nuit de concerts qui se profile, c’est raté. C’est fort, c’est lourd, ça fait le bonheur des gens encore plein d’énergie à dépenser qui pogote sans répit sur le devant de la scène. Mais on ne s’éternisera guère, car l’heure approche où les deux Californiens de Two Gallants vont investir la scène de la Plage. On arrive devant cette petite scène, située au bord du lac, alors que les Québécois de Malajube achèvent leur set sur une chanson qui laisse penser que si les autres étaient du même tonneaux, on aurait mieux fait d’abandonner Deftones un peu plus tôt.

Le mouvement migratoire vers le chapiteau, où se prépare le concert de la sensation Arctic Monkeys commence alors à se manifester ; mais ni la rédaction de B-Side ni le service presse des Eurockéennes n’ayant octroyé aux chroniqueurs l’ubiquité, on fera ici sans les singes de l’Arctique britannique mais avec les deux galants californiens. Le duo s’applique pendant une quarantaine de minutes à déverser son folk rugueux teinté de country et d’accents blues, qui semble venir tantôt d’un désert battu par un vent sec et brûlant, tantôt du fond d’une vieille bouteille de whisky âcre et râpeux.

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Two Gallants

Guitare et batterie, dont les musiciens jouent avec l’aisance de ceux qui ont toujours eut un instrument entre les mains, sont en parfaite symbiose, se donnant la réplique et s’approuvant l’une l’autre - comme les deux musiciens, qui échangent parfois un sourire complice avant de renchérir. Que ce soit sur un morceau instrumental, sur un brûlot enragé ou sur une ballade désespérée, la force et la puissance que sont capable de dégager les deux jeunes musiciens, sans autre artifice que leur instrument, est époustouflante et ébouriffante. Plus le concert avance, plus Adam Stephens semble habité, et plus son chant se fait rageur et possédé, délivrant ses mots rudes et hantés avec toute la hargne et la force qu’ils méritent, alors que sa main droite égrène les notes sur les cordes avec une aisance déconcertante, et que la batterie de Tyson Vogel appuie chacun de ses propos. Il pousse l’humilité jusqu’à s’excuser d’empêcher les gens d’aller voir Arctic Monkeys (la réaction de certains spectateurs venant prouver que ce n’était pas la peine avec un “Arctic Monkeys fuck off !” d’une rare élégance mais pas si déplacé que ça), avant de remarquer la beauté du ciel que le soleil couchant teinte de rose et qui lui inspire de se lancer dans un titre tristement dépouillé qui fera frissonner les derniers réfractaires aux vagues de l’Arctique. Un retour à l’électricité et à la nervosité clora ce set, décidément trop court (tout juste huit morceaux, certes longs) mais qui aura converti un certain nombre des dissidents à la hype et des curieux venus y jeter une oreille, tout en comblant les quelques pèlerins déjà conquis depuis belle lurette.

Le migration vers la Grande Scène s’impose ensuite, impliquant un rapide passage aux abords du Chapiteau d’où retentissent les accords d’A Certain Romance des Singes qui finissent leur cirque - comme quoi, on n’aura même pas manqué leur meilleure chanson. Dionysos est déjà lancé, plongé dans un Giant Jack survolté et acclamé par un parterre plus qu’au trois-quarts conquis. Le changement d’ambiance est radical, mais se fait sans douleur, aidé par l’énergie délirante du groupe. Comme Venus, Teitur et les Sunday Drivers, ils font partie de ces groupes qui ont accepté le défi de la performance accompagné d’un orchestre - et qui s’avère ici parfaitement convaincante. Le show, à peine perturbé par une brève coupure de son et d’électricité qui démontrera qu’un même groupe peut être hué et acclamé à quelques minutes d’intervalle, monte donc en puissance, jusqu’au Jedi final au cours duquel Mathias, fidèle à lui-même, s’adonnera à son sport favori, la traversée en apnée de foule de fans en délire. On peut affirmer sans trop prendre de risque que s’il est un record que Dionysos a battu ce soir-là c’est bien celui du plus long slam qu’ait connu les Eurocks : un aller-retour sur les quelques dizaines de mètres qui séparent la Grande Scène de la régie son et lumière, alors que les musiciens (tant ceux du groupe que de l’orchestre) s’acharnent sur leurs instruments en attendant de récupérer leur chanteur.

Forcément, après une telle débauche d’énergie, de sauts dans tous les sens et de communication avec le pourtant large public, la performance des Strokes apparaît, par contraste, un peu calibrée et statique. Mais ce sont les Strokes, ils n’ont jamais clamé être des showmen dans le style de Dionysos, et les chansons sont bel et bien là. Le public doit être un peu épuisé par la journée passée à piétiner au soleil, et par les mouvements de foule provoqués par le concert précédent, ou alors en train de se préparer intensément au retour de Daft Punk, et est lui aussi assez statique - en tout cas plus que ce qu’on aurait pu attendre à un concert des Strokes. Les cinq New-yorkais enchaînent les tubes et les non-tubes qui ressemblent fortement à des tubes avec une efficacité égale, mais peut-être un léger défaut de spontanéité et de générosité qui fait qu’on a parfois l’impression d’être en train d’écouter un best-of en images. C’est un bon concert sans conteste, (trop ?) bien rodé et entraînant, mais auquel il manque ce petit quelque chose qui a le pouvoir de subjuguer une audience et de lui faire oublier que cela fait près de huit heures qu’elle s’en prend plein les yeux et les oreilles. Du coup, même si on ne regrette à aucun moment d’être resté jusqu’au bout, ces moments magiques où la musique semble captiver totalement le public auront été somme toute assez peu nombreux. Reste qu’entendre, aux alentours d’1 heure du matin et alors qu’on est entassé au milieu d’une foule dense, les pieds dans la poussière d’une presqu’île située à plusieurs centaines de kilomètres de la mer, un New-yorkais marmonner nonchalamment un “Hawaii Aloha” est une expérience assez rare et surréaliste pour qu’on s’en souvienne.

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Daft Punk

Après le départ du quintet, un rideau noir tombe sur la scène alors que les spectateurs se laissent tomber sur le sol. Une armée de techniciens commence à s’affairer derrière le voile - un groupe comme Daft Punk n’est pas du genre à laisser une place, si petite soit elle, au hasard pour son retour après plus de huit ans d’absence. Il faudra donc le temps qu’il faudra pour préparer le décor, et on comprend pourquoi quand le rideau se lève enfin : devant un mur de néons se dresse une immense pyramide tronquée, au sommet de laquelle on distingue la platine, ou quel qu’il soit l’instrument que vont utiliser les deux musiciens pour mixer. Au milieu de ce décor antico-futuriste à la grandiloquence grotesque finissent par apparaître deux silhouettes sorties d’on ne sait où, en costumes assortis à la scène - quelque chose à la croisée de l’envahisseur extraterrestre, du robot animé, de la panoplie Dark Vador et de la boîte de conserve. Quelques notes désincarnées résonnent dans la nuit, lentement, l’assemblage de tubes de néons commence à s’animer, et le spectacle prend des allures de communication intersidérale, avant que le déluge de basses sismiques et d’illuminations clignotantes ne se déverse sur la foule hypnotisée. Il y a indéniablement quelque chose de fascinant dans ce show qui happe les spectateurs, les force littéralement à être subjugués par une avalanche de sons assourdissants, de lumières éblouissantes et de vibrations écœurantes - pourtant la musique, assemblage de morceaux de leurs tubes, découpés et recousus n’y est sans doute pas pour grand chose, tout semble tenir à la violence discrète avec laquelle elle est assénée. Tout est si parfaitement minuté, millimétré, déshumanisé, qu’il serait à peine étonnant que le duo ait passé ses huit ans loin des scènes à orchestrer ce son et lumière titanesque. On oscille entre la fascination et l’incompréhension, parfois pris au jeu de ses basses physiquement impitoyables, parfois subjugué par le ridicule et l’absurde de cette performance. Une foule de plusieurs milliers de personnes religieusement massée autour de deux bonshommes en habits de Goldorak qui gesticulent au sommet d’une pyramide en toc sur fond de quelques phrases martelées en boucle et vidé de tout sens et substance, voilà qui serait suffisamment incroyable et irréel pour étonner de vrais envahisseurs extraterrestres. Et pourtant, malgré tout le grotesque du spectacle, c’est si bien ficelé que ça marcherait presque trop bien. En trente secondes, selon qu’on se laisse porter par l’effet ne serait-ce que physique de la performance dans sa globalité, que l’on tente d’écouter la musique, que l’on regarde les deux marionnettes semblant sortir d’un mauvais film de science-fiction au budget miséreux ou que l’on tourne la tête pour observer les gens alentour, on peut passer de la fascination à l’ennui profond, puis de l’incrédulité amusée à l’angoisse que suscite une foule en transe. L’effet se dissipe par contre comme une traînée de poudre dès lors qu’on tourne le dos à la scène et qu’on commence à s’en éloigner, et les complaintes désincarnées et robotiques, même si elles sont encore perceptibles à plusieurs kilomètres du site, redeviennent rapidement d’innoffensives scies en plastique.


Samedi 1er juillet

Il fait toujours beau, et chaud, sur la presqu’île, et on retrouve le site quasiment inchangé - mis à part l’herbe qui a un peu souffert, quand il en reste. Direction le Chapiteau, où doit avoir lieu le set des Hushpuppies, un groupe français qui aurait tellement aimé être anglais que non content d’honorer le Swinging London et le garage rock sixties dans toute sa gloire, des Kinks aux Who, il va jusqu’à utiliser la langue de Shakespeare pour s’adresser à ses fans lors des dédicaces. Entre les chansons par contre, le chanteur aux allures de dandy revient à Molière, pour des interventions pas toujours franchement pertinentes ni tout à fait nécessaires. Si on ne l’écoute pas trop parler (lui visiblement s’écoute un peu trop), le concert s’avère pleinement réjouissant. C’est léger, efficace, sympathique, ça ne casse pas cinq pattes à un mouton mais ça met gentiment dans l’ambiance pour une longue journée de musique. Costumes et instruments d’époque (ou presque) et reprise de I’m Not Like Everybody Else des Kinks (pas transcendante, mais on ne va pas bouder le plaisir d’entendre ce morceau), on n’est pas en 65 mais on s’y croirait presque.

Ceci fait, on entreprend de s’éloigner autant que possible de la Grande Scène qui attend Enhancer, parce que c’est pas qu’à B-Side le neo-métal n’est pas notre verre de bière, mais un peu quand même. Et puis de toute façon, même de loin, on entend quand même, et ça ne donne pas vraiment envie de se rapprocher (ça fait du bruit, le neo-metal, quand même). Coup de chance, sur la Plage se prépare un set de “pop folk” orchestrée. Troisième à passer à la moulinette de l’accompagnement par un orchestre, le Danois de Teitur arrive seul avec sa guitare et son piano et se lance dans un set de folk chaleureux et mélancolique - ponctué entre les chansons par des intermèdes on ne peut plus à propos de beuglements néo-métalliques qui ne font bien évidemment que renforcer la beauté délicate des arrangements joués par les jeunes musiciens de l’orchestre de Dole qui ont rejoint le songwriter. Le public approuve ce paisible oasis de douceur mélodique, ces petites histoires de cœurs brisés et de solitude romancée et ces comptines à écouter sous la pluie ou au coin du feu en hiver, mais qui font aussi leur petit effet les pied dans du sable chauffé par le soleil du premier jour de juillet.

Puis à 20h, glissement vers la Grande Scène, qui attire encore relativement peu de monde, pour assister à la performance de Morrissey.

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Morrissey

Indéféctiblement sûr de son charme et de son charisme, l’ancien leader des Smiths débarque sur scène en lançant un “God Bless God ! Vive la France !” puis envoie Irish Blood English Heart et How Soon Is Now avec la classe et la nonchalance qui le caractérise. Tout de noir vêtu et accompagné de musiciens en costumes bruns et blancs, la chaleur dont il s’étonne ne l’empèche pas de se pavaner et de se lancer dans d’étrange “danses” avec le fil de son micro qu’il envoie valser dans toutes les directions. Prenant des poses de crooner pour clamer “Because I’m born, born, born” ou “You have killed me” (cet homme a décidément tout vécu), ou encore pour honorer son passé de quelques reprises des Smiths devant une batterie et une guitare aux couleurs de l’Italie, le chanteur ne perd à aucun moment sa présence et son charisme et délivre un show impeccable de bout en bout.

On traîne ensuite des pieds pendant une bonne heure, observant de loin les footeux massés devant un minuscule écran qui diffuse le match en prêtant une oreille distraite à Camille qui, accompagnée par les Pascals, un orchestre nippon, chante qu’elle va prendre notre douleur en Japonais et saute de joie à l’annonce du but français. Sa performance sonne aussi efficace et surfaite que ses titres studios, on ne se plonge donc pas dans la foule compacte pour tenter de se rapprocher (quand bien même ce serait une erreur). Vers 22h on marche jusqu’à la Grande Scène, où débute le concert de la plus grosse tête d’affiche de l’édition, Depeche Mode. La nuit est tombée et le décor a bien changé depuis qu’on l’a quittée après le concert de Morrissey, et il est maintenant absolument vain de tenter de se rapprocher, ne serait-ce que très vaguement, de la scène. Le décor n’a pas grand chose à envier de celui de Daft Punk la veille : trois immenses synthés argentés décorés de petites loupiotes mauves, à l’aspect futuriste ; et même si cette fois les musiciens ne sont pas en conserve, la spectacle est à peine plus humain. Des lignes de basses synthétiques et des notes de claviers enrobés de fioritures électroniques annihilent presque tout embryon de mélodies et de chant, et l’association de l’éclairage gris-bleu qui tombe sur la mer de visages, des images inquiétantes projetées sur les écrans géants et des poses christiques de Dava Gahan évoque vaguement une messe païenne et totalitaire tenue au lendemain d’une apocalypse ratée. Mais cette impression, qui donnait au moins au groupe le mérite de créer une ambiance, ne se prolonge guère et la vague angoisse a tôt fait de se muer en ennui profond face à cette performance froide et artificielle.

On se dirige donc vers la Loggia, où une poignée de personnes attendent la venue de doux-dingues d’Animal Collective - qui vont souffrir autant de la concurrence de Katerine que d’un son médiocre (voire quasi insupportable dans les premiers rangs). Si on s’éloigne suffisamment de la scène, l’ensemble devient plus facilement audible - tout en restant difficile d’accès. A quatre sur une petite scène et presque sans aucun artifice, ils réussissent avec brio à créer un climat déconcertant et une ambiance bizarre qui donnent l’impression d’être passé dans une autre dimension sonique. On peut toutefois regretter qu’un concert de ce type, assez exigeant pour l’auditeur qui doit fournir un effort d’adaptation face à cette musique inhabituelle, n’ait pas été programmé un peu plus tôt dans la soirée, à une heure où personne ne songe encore à se laisser sombrer dans les bras de Morphée.


Dimanche 2 juillet

On commence la dernière journée du festival avec le groupe du Tremplin des Eurockéennes qui aura réussi à attirer le plus grand nombre de curieux ; il faut dire qu’un groupe de “glam rock prog” qui porte le doux sobriquet de My Baby Wants To Eat Your Pussy a de quoi intriguer. On n’est en revanche par surpris de voir débarquer des personnages fardés et plus ou moins travestis - il y a le guitariste en jupe aux cheveux longs et le claviériste aux allures de gigolo-dandy, ainsi que la chanteuse aux poses explicites. Inutile de préciser qu’il ne faut pas chercher la subtilité ou la finesse, pas plus que la recherche musicale, dans ce cirque soi-disant glam drôle et bien mené - d’où on s’esquivera avant la fin car le Chapiteau lui attend Islands. Le septet montréalais proche d’Arcade Fire débarque en costumes blancs pour livrer dans la bonne humeur et la spontanéité ce qui s’impose vite comme un des meilleurs concerts du festival. La chanteur Nick Diamonds, collier d’os autour du cou, passe du clavier à la guitare et empoigne une fausse main dès lors qu’il ne joue pas d’un instrument ; il fait aussi preuve d’une grande agilité dès lors qu’il s’agit de sauter dans tous les sens, de s’ébrouer les cheveux ou de se rouler par terre en continuant à chanter/jouer, alors que les violonistes se donnent la réplique gaiement. On aura en plus la preuve que la clarinette basse est un instrument rock’n’roll. Dans un joyeux capharnaüm savamment orchestré et avec un judicieux dosage de spontanéité et d’organisation, les sept musiciens touche à tout auront tôt fait d’emporter le public dans leur univers déglingué et leurs excellentes chansons tarabiscotées. On aurait presque envie, après un concert d’une telle qualité, de rentrer le sourire aux lèvres... en tout cas, les groupes suivants, quel que soit leur niveau, devront assumer cette “première partie” de toute première classe.

Il ne faudrait pas non plus trop s’inquiéter pour ces pauvres petits groupes de têtes d’affiche, le dimanche est probablement celui des trois jours qui avait la programmation la plus dense et la plus homogène.

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Art Brut

C’est à Art Brut que revient la dure tâche de réveiller la Grande Scène, que le hip-hop de Blackalicious semble avoir laissé de marbre, et dont les cinq premiers rangs sont investis depuis un certain temps déjà par des fans de Muse devant l’éternel. Le groupe se pointe sans avoir l’air de rien et Eddie Argos (sans chaussures) scande “We formed a band ! Look at us ! We formed a band !” pendant que le guitariste Jasper Future bat à plate couture Nick Diamonds dans la catégorie “je saute dans tous les sens en agitant ma belle chevelure et en malmenant ma guitare”. Entre chaque chanson, comme à son habitude, le chanteur qui joue de son anti-charisme clame avec arrogance et accent à couper au couteau que cette chanson a été écrite le matin même (avant chaque concert, Art Brut doit passer la matinée à écrire une chanson pour ne la jouer qu’un seule fois...), que “the first cut is only the deepest if you let it be the deepest” et que le temps a beau être mieux ici qu’à Londres, c’est moins bien qu’à Los Angeles où le quintet s’envolerait bien, même s’il paraît que British Airways leur a fait un sale coup en égarant toutes leurs affaires. Eddie Argos n’a apparemment pas l’intention d’abandonner son habitude d’annoncer chaque chanson l’index pointé vers le ciel en s’exclamant “This next song...” avant même que la précédente ne soit complètement terminée, ni celle d’achever tous ses concerts en hurlant Art Brut ! Top of the Pops ! Art Brut ! Top of The Pops ! Muse ! Top of The Pops !...et ainsi de suite en énumérant la totalité de la programmation, ou presque (on saura ce qu’ils ont fait en attendant de jouer). Voir quatre olibrius s’agiter devant leurs instruments pendant qu’une anti-rockstar ne chante pas, se tenant droit comme un piquet et en chaussettes sur le bord de la grande Scène d’un festival peut être désopilant comme cela peut être horripilant. Mais si l’envoie au public de bouteilles d’eau ou de baguette de batterie est quelque chose d’assez fréquent, un concert qui se termine par un jet de chaussettes rayées est suffisamment rare pour être mémorable.

C’est au moment même où cette petite heure de show anti-rock décapant s’achève que les choses sérieuses commencent et qu’il faut affronter le premier véritable dilemme du festival. L’Écosse est à l’honneur, mais un peu trop, et que privilégier entre les nappes instrumentales hypnotiques de Mogwaï et la pop délicieusement anachronique d’Aberfeldy ? D’un côté donc, quatre musiciens qui concoctent une pop toute en douceur, entraînante et acidulée, saupoudré de xylophone, de mandoline ou de violon. On se croirait presque dans un vieux pub chaleureux au fin fond des Highlands à les écouter, et les quitter pour aller voir leurs compatriotes sous le Chapiteau demandera beaucoup de volonté - d’autant plus que leur performance gagne en qualité et en fluidité avec chaque minute qui s’écoule. De l’autre côté donc, un quintet qui tisse un rock instrumental à contre-pied de toutes les notion de pop... Le passage de l’un à l’autre relève de l’acrobatie, mais se fait finalement sans heurt ; il n’est pas très difficile de se laisser immerger par les nappes soniques de Mogwaï, mélange de tension et de distorsions enveloppante dont on ressort un peu groggy - ce qui est peut-être le meilleur état possible pour bien profiter d’un concert d’Archive. Le soleil se couche

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Archive

au-dessus de la Grande Scène quand le groupe commence à jouer, et les jeux de lumières, qui ont une importance particulière chez eux, ne seront donc pas vains. Le groupe a maintenant deux chanteurs, un aux cheveux courts et à la voix assez aiguë, l’autre au cheveux longs ébouriffés et à la voix bien plus grave et hantée, qui se partagent le chant. Le second se révèle plus convaincant que le premier, un peu trop maniéré, mais on ne peut s’empêcher de regretter Craig Walter, parti depuis quelques temps déjà, car si la magie opère toujours, elle est plus discrète et fragile que d’autres fois. Mais quand le groupe termine sa performance d’un Again magistral et envoûtant, on approuve et on en redemanderait bien.
On continue dans la série musique planante avec le concert de Sigur Ros sous le Chapiteau, tellement bondé qu’il est quasiment impossible d’avoir une vue ne serait-ce que partielle sur la scène. On observe donc de côté, probablement pas à l’endroit où l’acoustique est la meilleure ; on y voit et entend tout juste assez pour savoir que les Islandais ont invité des cordes et des cuivres pour les accompagner, et qu’ils prêchent apparemment des convertis. Oasis de quiétude et d’harmonie avant l’ouragan Muse dont on peut profiter suffisamment de loin pour savoir qu’il n’est pas forcément nécessaire de s’approcher, à moins d’aimer les feulements et gesticulations hystériques de Matthew Bellamy . Et ce sera donc sur ces notes un tantinet crispées que s’achévera le festival, laissant la pelouse dans un triste état et les festivaliers éprouvés par ce tourbillon de styles, de sons et d’images.



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