Chansons, textes
Helter Skelter

Helter Skelter

The Beatles

par Frédéric Rieunier le 22 juillet 2008

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Oubliez Deep Purple, Led Zeppelin et Black Sabbath : les véritables pères fondateurs du hard rock sont les Beatles. Il suffit de plonger son oreille dans les entrailles du White Album pour s’apercevoir que les quatre garçons dans le vent sont les premiers à avoir gravé sur un disque une tempête auditive digne de ce nom. Calé entre la magnifique Sexy Sadie et la cotonneuse Long Long Long, Helter Skelter donne le change. Quand on l’écoute pour la première fois, sa guitare entêtante et sa voix éclatante puis tonitruante sèment le doute. S’agit-il bien des Beatles ? Ne serait-ce pas une farce d’un facétieux utilisateur d’Emule, l’ajout d’un inédit de Kyuss, perdu au beau milieu du disque ? Que nenni. C’est bien de la voix de McCartney qu’il s’agit, de sa basse et de la batterie de Ringo Starr, même s’il faut leur reconnaître une pesanteur digne de la gravité jupitérienne.

Textuellement, il est pourtant question de s’envoyer en l’air sur les rails d’un helter skelter - expression qui signifie littéralement "désordonné", mais désigne ici une sorte de montagnes russes de parc d’attraction. Montées et descentes, donc :

When I get to the bottom I go back to the top of the slide
Where I stop and I turn and I go for a ride
Till I get to the bottom and I see you again
Yeah yeah yeah hey

Cet aller-retour vertical va jusqu’à se produire au niveau du volume sonore, quand au bout de 3 minutes 30 le titre semble tirer vers sa fin dans un fade out... avant de reprendre quelques secondes plus tard pour s’achever dans le chaos et les cris de Ringo : « I’ve got blisters on my fingers ! » (j’ai des ampoules sur les doigts !), poussés par le batteur qui jette ses baguettes après la dix-huitième prise de la chanson - alors que ses trois acolytes lui demandaient sans cesse de jouer plus fort. « Helter Skelter est un morceau qu’on a fait dans la folie, une crise de nerfs totale, affirme-t-il dans The Beatles Anthology. Il suffit parfois de se lancer dans une impro, pour cette chanson, c’était la ligne de basse de Paul et la batterie. Paul s’est mis à crier, à hurler et l’a faite comme ça tout de suite. » A l’origine, le bassiste voulait concurrencer les Who après avoir lu dans le magazine britannique Melody Maker qu’ils affirmaient avoir fait le « disque de rock’n’roll le plus graveleux, le plus bruyant et le plus ridicule qu’on ait jamais entendu ». D’où cette envie de faire « quelque chose de vraiment féroce », gageure manifestement tenue.

Cette ardeur a fait florès, puisque de nombreux groupes se sont attaqués au morceau. Tantôt de manière probante, comme pour Mötley Crüe, qui le modernise à coups de guitares acérées. Tantôt avec audace, à l’image du mix de 99 Problems de Jay-Z avec la ligne instrumentale des Beatles, opéré par DJ Danger Mouse. Mais parfois aussi mollement, comme quand Oasis donne l’impression de ralentir le titre, mal soutenu par un Liam Gallagher trop détaché pour être vraiment convaincant. La palme du fiasco revient toutefois à U2 qui livre une version franchement massacrée (mais pouvait-on vraiment s’attendre à autre chose ?), lorsque Bono se trompe dans les paroles et corrompt l’esprit de l’originale avec sa voix mièvre d’angelot.

Mais avant de produire de telles répercussions, Helter Skelter est surtout à l’avant-poste d’une époque. Son côté lourd et tapageur en fait indéniablement l’une des prémisses du hard rock, à une époque où ceux que l’on reconnaît couramment (et non sans raison) comme les instigateurs du genre en étaient, au mieux, à leurs premières productions. Le titre a en effet été enregistré le 9 septembre 1968, soit un mois avant l’enregistrement du premier album de Led Zeppelin et près d’un an avant celui du premier Black Sabbath. Il faut reconnaître, pour être complet, que Deep Purple avait de son côté mis en boîte son premier opus en mai 68. Mais il est pour le moins discutable d’affirmer qu’il s’agit là d’un disque de hard rock, bien qu’on puisse y voir ce style en germe, en particulier dans la reprise par le groupe de Hey Joe, le classique popularisé par Hendrix. Ce n’est pas la seule reprise qui figure sur l’album, puisque la sixième piste porte un nom évocateur : Help !... Etonnant, non ?

Au-delà de sa place particulière dans l’histoire du rock, Helter Skelter a également marqué l’histoire du XXème siècle, à la rubrique faits divers. Le 9 août 1969, Sharon Tate - actrice américaine et épouse du réalisateur Roman Polanski - fut assassinée, ainsi que quatre de ses amis, par la "Famille Manson", communauté du criminel et gourou Charles Manson. Cerveau de ce meurtre, ce dernier a expliqué par la suite avoir entendu dans le White Album une confirmation de sa théorie raciste selon laquelle la fin des temps approchait et prendrait la forme d’une révolte des Noirs qui élimineraient les Blancs. Une catastrophe à laquelle la "Famille Manson" survivrait en se cachant près de la Vallée de la Mort. Pour que se confirme sa prédiction, Charles Manson a incité les membres de son clan à assassiner différents Blancs, dans le but de montrer aux Noirs la manière de s’y prendre pour que se produise "Helter Skelter", nom qu’il donnait à sa prophétie apocalyptique.

Si cette conséquence indirecte, et involontaire, du titre a contribué à conférer au morceau un côté occulte que ne renieraient pas certains groupes de black metal - sans qu’il s’agisse pour autant de cautionner la xénophobie de Charles Manson - elle a aussi plongé le quatuor de Liverpool dans un embarras certain. Le prix à payer pour s’être dits « plus populaires que Jésus Christ » ?



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