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mercredi 15 avril 2015
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par Aurélien Noyer le 20 octobre 2011
Merci à Olivier de zicazic.com pour ses photos ! English version page 2.
Le hasard fait parfois bien les choses... Le matin, un enregistreur mis dans la poche sans trop y croire, puis le soir, des embouteillages, un groupe en retard, Secret Chiefs 3 qui passe avant a.P.A.t.T, et me voilà en train de faire une interview semi-improvisée de Trey Spruance, ancien guitariste de Mr Bungle, passé brièvement chez Faith No More, et leader incontesté de la nébuleuse Secret Chiefs 3...
Durant cette demi-heure à essayer de démêler les tenants et les aboutissants d’une musique mélangeant rythmes persans, gnosticisme, death metal, philosophie orientale, Ennio Morricone, Trey Spruance s’est montré volubile, passionné, passionnant, parfois cryptique dans ses métaphores... mais surtout d’une gentillesse extrême.
Merci à lui d’avoir accepté cette interview !
Inside Rock : Le mysticisme et l’hermétisme sont deux composantes essentielles de Secret Chiefs 3. Alors ma première question est : comment un gamin qui jouait quelque chose comme The Raging Wrath of the Easter Bunny à 17 ans s’est retrouvé passionné par des écrits gnostiques et ésotériques ?
Trey Spruance : Peut-être à cause de ce plafond. Si vous grimpez sur un échelle, que vous utilisez uniquement votre esprit rationnel, vous allez forcément arriver à ce plafond que Nietzsche a décrit et ce que vous faites une fois que vous avez atteint ce plafond est important. À la suite de Nietzsche, certaines personnes se tapent la tête contre le plafond, jusqu’à ce qu’elle soit pleine de sang et hideuse et dégoûtante. D’un autre côté, vous avez ceux qui ont peur de regarder ce plafond. Ils sautent de l’échelle et retombe s’écraser sur le sol. Je crois que je n’accepte pas le plafond - c’est déjà une chose - et je n’accepte pas qu’il y ait une progression linéaire qui mène inévitablement à Nietzsche et à ce plafond. Donc la seule chose que je peux dire maintenant, c’est que peut-être que j’ai regardé sur le côté et que j’ai vu d’autres échelles qui passaient à travers ce soi-disant plafond sans aucun problème. C’est mon point de départ.
IR : Et comment cela a-t-il commencé ? Avec quels livres ?
TS : C’est difficile de répondre à cette question parce que, oui, tu as mentionné le gnosticisme ou l’hermétisme et, bien que je dirais que je n’ai jamais trouvé de doctrine gnostique qui soit suffisamment cohérente, ça a comblé certaines lacunes concernant des questions que je pouvais me poser à propos de certains trucs religieux qui me semblaient incomplets. À partir de là, ça m’a rendu plus curieux et je pense qu’étant ouvert à ce genre de choses, j’ai pu finalement trouver la philosophie persanne de l’époque séfévide (entre le 12e et le 13e siècle en Iran). C’est un équilibre très gracieux entre l’approche rationnelle de la philosophie et un univers très ouvert où la dimension mystique est traitée avec autant d’égards que la philosophie, si ce n’est plus. C’est d’ailleurs la façon dont Aristote lui-même a dit que cela devrait être et, pour une raison ou pour une autre, cette approche a changé dans le monde occidental. Quand on y réfléchit, on s’aperçoit qu’on accuse Aristote d’être responsable de tout un tas de problèmes conceptuels que nous connaissons en Occident. Mais si on lit Aristote, on voit qu’il met la métaphysique d’abord et explique que la physique dérive de la métaphysique... mais que nous enseignons la physique d’abord de façon à pouvoir redécouvrir le fait que la métaphysique vient forcément en premier. C’est cette partie que nous avons perdu et c’est cette partie qui a été conservée dans le monde musulman. Et les philosophes persans de l’époque séfévide, en particulier, sont extrêmement lucides et extrêmement équilibré vis-à-vis de ces deux perspectives.
IR : Le projet Secret Chiefs 3 est beaucoup influencé par la surf music, par la musique persane, par les bandes originales de films, mais aussi par les écrits de René Guénon et Julius Evola [1]. Comment fait-on de la "Guénon music" ou de la "Evola music" ?
TS : Et bien je dirais que René Guénon et Evola sont des personnes qui peuvent aider à découvrir certaines choses. Tu vois comment fonctionne une boussole et comment elle indique toujours le Nord magnétique ? Je pense que ces écrivains, ou ce mouvement, étaient les seules personnes au 20e siècle qui ont essayé de localiser ce Nord magnétique... parce que c’est très facile de partir dans n’importe quelle autre direction, et de dire "okay, tel phénomène vient d’entrer dans notre sphère de perception, donc si on veut comprendre la nature de la réalité, il faut se diriger par là". Alors que, sachant que nous conditionnons tout, Guénon et Evola comprenaient parfaitement que nos perceptions conditionnent et colorent tout phénomène qui y pénètre. Donc comment peut-on vraiment dire qu’on va découvrir la vraie nature des choses en suivant des choses qui sont conditionnées par nos perceptions ? Guénon et Evola sont les seuls penseurs du 20e siècle qui, je pense, ont pris ça en compte et ont dit "okay, à partir de quoi est-ce qu’on travaille maintenant ?" et "alors qu’il existe une sagesse construite tout au long de l’histoire par l’humanité, est-ce que c’est des intéractions matérielles qui vont nous donner un aperçu de la réalité ? Est-ce vraiment ça ?!" Et je pense que leur critique de ce point de vue est extrêmement importante. Donc on ne peux pas vraiment jouer de la musique influencées par eux, on peut juste honorer leur perspective et leurs efforts pour clarifier les choses. Et c’est pour cela que j’ai l’impression que faire référence à eux de la façon dont je le fais est un moyen de rendre hommage au fait qu’ils ont fait ça et qu’ils ont fait un putain de bon boulot. Evola, peut-être moins bien et avec quelques soucis... Il y a des problèmes avec Evola, il y a aussi quelques problèmes avec Guénon aussi, mais ce n’est que mon avis à la con et ils ont fait du beau travail à essayer de maintenir l’aiguille de la boussole.
IR : Le projet Secret Chiefs 3 est constitué de sept groupes-satellites qui jouent chacun un style différent de musique. Quand vous écrivez un morceau ou que vous répétez, est-ce que tu te dis "j’ai cette mélodie qui conviendrait mieux à tel genre" ou plutôt "j’ai envie de jouer plutôt tel style et on doit trouver une mélodie qui convient" ?
TS : Si j’ai un idée pré-conçue en tête, je dirais "voici la matrice géométrique avec laquelle on va travailler" et on voit comment on peut plonger au fond de cette matrice géométrique, tels éléments mélodiques ou rythmiques en sortent. C’est un groupe en particulier qui fait ça. Alors que, parfois, des mélodies arrivent de nulle part, et c’est dans d’autres groupes que je prends ces mélodies et que je les habilles de certaines façons ; et parfois je prends ces mêmes mélodies et je les fait passer à travers la matrice géométrique. C’est la raison pour laquelle certains thèmes se retrouvent partager entre les différents groupes, parce qu’il traitent les choses différemment. Donc parfois le matériau d’origine existe déjà et passent à travers le filtre consistué des différents groupes, et parfois l’idée derrière le groupe est ce qui génère le matériau musical.
IR : En parlant de matrices géométriques, j’ai lu que vous utilisez parfois des gammes pythagoriciennes. Est-ce l’une de ces matrices que vous utilisez ?
TS : Je dirais que nous n’utilisons pas vraiment les gammes. Ce ne sont pas des gammes pythagoriciennes, par contre, nous utilisons la géométrie pythagoricienne pour créer des gammes... qui ne sont même pas vraiment des gammes ! Ce sont des familles de gammes reliées entre elles harmoniquement.
IR : Comme de la composition modale ?
TS : Exactement ! C’est comme un monde modal qui tient tout seul de la même façon qu’une pelote de fil tient toute seule. Il y a des tensions qui s’exercent dans toutes les directions et si vous n’avez pas les bonnes relations, les bons ratios, alors ce n’est plus une boule, c’est un oeuf ou quelque chose d’autre. Nous appliquons un pythagorisme strict à ce niveau-là, but si vous regardez ce que sont vraiment les gammes pythagoriciennes, dans un livre actuel sur Pythagore, vous verrez que nous dévions un peu de ça parce que nous devons faire certaines choses pour adjuster ces tensions : il y a d’un côté les séries harmoniques et de l’autre, la modulation... et, avec des instruments accordés à la bonne hauteur, on peut faire les deux. Donc, pour moi, dans Secret Chiefs 3, il est surtout question de savoir quand nous dévions de l’harmonie naturelle réelle et quand nous imposons une structure mathématique qui permet de faire tenir les tensions ensemble. Et nous savons précisément où nous le faisons, quand nous le faisons aux trois différents intervalles d’un tétracorde. Je pense que c’est ce qui a été perdu quand nous sommes passés à la musique tempérée, nous avons oublié que nous avons imposé la règle harmonique actuelle et comment nous en avons dérivé les douze tons. Quand on oublie ce qu’on a fait, on maltraite l’harmonie.
IR : Et il y a des orgues de la Renaissance qui ne sont même pas accordé avec un la à 440Hz. Donc cette règle n’est pas si vieille, même dans la musique occidentale.
TS : Absolument. Et je ne suis même pas contre que la musique occidentale soit devenu ce système régulé et rigide de tons supposément parfaits qui ignore complètement la réalité harmonique. Mais, c’est vrai qu’au Moyen-Âge et à la Renaissance, le système harmonique était différent parce que les gens savaient ce qu’étaient l’harmonie naturelle, leurs oreilles étaient conditionnées à entendre les choses de cette façon... et ils essayaient de comprendre comment moduler à travers les différentes tonalités sans trop dégommer l’harmonie naturelle, parce qu’ils entendaient encore les dissonances. D’une certaine façon, nous avons reconditionné nos oreilles pour savoir quand nous violons l’harmonie naturelle. Et quand nous le faisons, nous le faisons sciemment ; et il y a d’autres fois où nous essayons de nous en éloigner le moins possible, parce que nous faisons différentes choses dans différents groupes.
IR : Les sept groupes satellites de Secret Chiefs 3 sont The Electromagnetic Azoth, UR, Ishraqiyun, Traditionalists, Holy Vehm, FORMS et NT Fan. Sauf erreur de ma part, le premier morceau de NT Fan est apparu récemment sur Satellite Supersonic, Vol. 1 (paru en 2010). Or cela fait longtemps que tu dis que Secret Chiefs 3 est constitué de sept groupes. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
TS : (sourit) Est-ce que ce titre est crédité à NT Fan ?
IR : Sur Internet, oui.
TS : Sur Internet... mais, sur le CD lui-même, il est crédité à NT Fan ?
IR : Euh... pas sur le CD.
TS : Voilà le truc. C’est un enregistrement qui date de 1995, je crois, des années avant que Secret Chiefs 3 existe et... hmmm... revenons-en à Hegel pour quelques instants. Tu sais ce que dit Hegel : "il y a la thèse, l’anti-thèse et il y a la synthèse qui fait une sorte de pont entre les deux". C’est une explication simpliste, mais quand tu analyses le truc, tu t’aperçois que la synthèse est en réalité le phénomène a priori et que l’opposition entre la thèse et l’anti-thèse est une coïncidence, une co-incidence qui vient de cette synthèse en tant qu’a priori. Donc, dans les faits, nous avons six groupes qui sont une co-incidence issue de NT Fan.
IR : Dans un article, Pacôme Thiellement...
TS : Oui ! Il est brillant !
IR : En effet... Il a écrit il y a quelques années que NT Fan était en quelque sorte l’Iman Caché de Secret Chiefs 3, et ne serait jamais révélé.
TS : Oh ! On n’a jamais dit ça ! Et je ne vais pas reconnaître que c’est ce que le groupe est... mais les fans ont décidé que c’était ça, alors qu’on a écrit cette chanson bien avant qu’il y ait un projet Secret Chiefs 3 qui porte ce nom. Donc je ne sais pas... (rire)... c’est à toi de me le dire...
IR : Euh... disons que c’est une théorie.
TS : Hmmm... pourquoi pas. C’est une façon intéresant de voir les choses, bien sûr... parce que, qu’est-ce que l’Imam Caché ? C’est un personnage, une personne... c’est une personne. Et c’est la personne qui réside au centre des choses. La façon dont les Ismaéliens le voit, qu’ils utilisent le système des Sept Imams ou le système des Douze Imams avec le Mahdi, c’est la personne qui mène l’être naturel vers l’être divin ou vers l’état de divinité. Donc, d’une certaine façon, ça serait irresponsable de ma part de dire quoique ce soit à ce sujet, parce qu’il ne s’agit pas de mon égo, là. Je respecte la façon dont ce genre de contours symboliques s’expriment par eux-mêmes, mais en tant qu’artiste, c’est là que ça devient piégé. Je ne représente pas que moi-même, et je veux représenter quelque chose que les gens peuvent s’approprier. Donc si Pacôme voit ça de cette façon, je n’ai pas envie de le contredire parce qu’il y a une part de verité là-dedans. Mais, en même temps, personne ne peut rien affirmer. Vraiment personne ! Quoi qu’on dise, ça se révèlera être faux... Même moi, j’aurais tort. Je suis la personne qui créé le truc et j’ai tout aussi tort que lui ou toi, tu vois...
IR : Et est-ce qu’il y a une signification symbolique au fait que Timb Harris, votre violoniste, cache son visage sur scène ?
TS : C’est tout autre chose, ça. C’est très intéressant... Très souvent, les gens perçoivent le fait qu’on porte des bures de pleins de façons différentes. J’ai fait une interview à New York récemment, par un mec d’origine perse, et il me disait "pourquoi est-ce que vous ne révélez pas votre visage ? vous n’êtes pas hideux, alors pourquoi ?". Et d’autres personnes sont plutôt "aaaargh... c’est tellement sombre et sinistre !" Chacun perçoit ça de façon différente, même à l’intérieur du groupe. Je pense parfois que, dans le groupe, c’est perçu comme une sorte d’anonymat, quelque chose pour nous rendre anonyme. L’idée que j’avais en tête, ça a toujours plutôt été que c’était un moyen de nous pousser à une certaine intériorité, de sorte que nous puissions vraiment être ensemble, que nous puissions jouer ensemble sans être distraits. Nous allons à l’intérieur de nous-même et nous percevons des aperçus fugaces les uns des autres ; et nous savons alors que nous partageons ce moment musical et ça devient plus profond parce que nous ne sommes pas distraits par plein de choses. Timb percevait comme une forme d’anonymat, alors il a ressenti le besoin de s’affirmer. J’ai invité le groupe à concevoir leur propre costume pour que nous puissons emmener tout ça au niveau suivant, où chacun implique sa propre personnalité un peu plus. Personne ne voulait le faire, personne ne l’a fait... sauf Timb qui s’est pris au jeu. Il ressentait le besoin de s’affirmer d’une façon qui était comme s’adresser à moi pour me dire "Yeah ! Je t’emmerde ! Je suis là !" ; parce que je suis le créateur du truc. Je ne pense pas que ce soit un problème d’égo mais plutôt quelque chose comme "Je t’emmerde ! Je suis là ! Je joue de cet instrument !" et c’était génial ! Pour moi, c’était très excitant, c’est là que ça devient réel parce qu’il s’agit de lui habitant son espace dans le groupe... et il a complètement respecté le principe d’intériorité ! C’était superbe, c’était superbement exécuté ! Je pense qu’il est devenu mille fois meilleur depuis qu’il a fait , en tant que musicien et en tant que personne. C’est tout simplement merveilleux.
IR : Et le violon a un rôle tellement important dans Secret Chiefs 3. Il faut donc qu’il soit à la hauteur et qu’il ait confiance en lui.
TS : Ouais ! Et il s’est montré totalement à la hauteur. Et même si c’est parce qu’il ne voyait pas cette histoire de costume de la même façon que moi - parce que, pour moi, ce n’était pas du tout "tout le monde dans le groupe doit être anonyme !" - même ce genre de légère incompréhension génère quelque chose de bien à la fin. J’adore les trucs comme ça !
IR : Vous avez repris des thèmes de films comme Halloween, Exodus ou Le Jour où la Terre s’arrêta, vous avez aussi composé des BO imaginaires avec le groupe Traditionalists. D’où vient cet intérêt pour la musique de film ? Un ami à moi aime bien vous imaginer, Mike Patton et toi, adolescents, en train de regarder des tonnes de films avachis dans un canapé. Est-ce que ça vient de cette période ?
TS : Non, on écoutait Obsessed By Cruelty de Sodom et Le Sacre du Printemps de Stravinsky. On n’écoutait pas encore de BO. C’est venu plus tard. Vers 1993 ou 1994, on a commencé à s’intéresser vraiment aux compositeurs de musique de films.
IR : Pourtant sur le premier Mr Bungle, il y a des références à une certaine sous-culture cinématographique, comme Girls Of Porn. Comment vous en êtes venu à utiliser ça dans votre musique ?
TS : Je pense qu’on fonctionnait d’une façon très automatique à ce niveau. Le truc, c’est qu’on vient d’une petit ville et on réagissait fortement à ce qui nous entourait. "Allez, on fait la fête !" et les trucs de ce genre... Je dirais que nous étions dégoûtés par ce mode de vie hédoniste et très ennuyeux. Donc notre forme de réaction nihiliste n’était pas seulement d’être asexuels mais aussi socialement en retrait, reclus et bizarres à propos de ce genre de choses. C’était tout ce qu’on partageait, tout ce qu’on avait en commun... et à l’époque, notre solution à ce problème de développement personnel était ce genre de position très solipsistique, très onaniste. Ça n’avait pas grand chose à voir avec les films ou des trucs comme ça...
IR : Et c’est ce genre de réaction qui vous a poussé à lire des livres bizarres à propos de trucs religieux et de dieux cachés ?
TS : Hmmm... Non. C’est compliqué, maus je dirais que c’était le fait de boire le poison nietzschéen. Vous avez Nietzsche assis là, disant des choses comme "ce qui ne me tue pas me rend plus fort" avec ce ton bravache, comme si c’était un putain de viking et il fait ça alors qu’il critique Wagner parce qu’il est jaloux de Wagner... et c’est deux semaines avant qu’il ne deviennent totalement muet et fou. C’est un invalide, bloqué dans son lit qui écrit ces choses - "ce qui ne me tue pas me rend plus fort" - un invalide faible et pathétique. Tu vois ce que je veux dire ? C’est ce qu’il faut bien comprendre parce que c’était la même chose pour nous : ces conneries de bravades, de jouer les durs depuis un point de vue complètement flacide et malade corporellement et, d’une certaine façon, mentalement. Et je reconnais que c’est ce qu’on faisait à l’époque. On reprenait ce genre de réaction très bravache - "on ne veut rien avoir à faire avec ces conneries" - et on était complètement nihilistes. Le punk était beaucoup trop positif, ces gens étaient trop "ensemble", trop idéalistes, ils pensaient qu’ils allaient changer les choses. On se contentaient d’en rire : "c’est ridicule !". On étaient très sombres... très déconstructionnistes. Sans le savoir, on participait automatiquement à ce processus de désintégration. On participait à part entière à la mentalité de désintégration de l’époque.
IR : Une dernière question... j’ai lu que tu vas jouer avec Faith No More au Chili
TS : Oui. Ils m’ont invité et on a commencé à répéter et tout...
IR : Ils t’ont juste invité et tu as dit "okay" ?!
TS : Ouais... et on a répété et ça sonne putain de bien ! Ça va vraiment être cool !
IR : Okay... Et bien, merci beaucoup !
TS : Merci à toi. Dommage qu’on ait raté l’autre concert...
Eventually, all pieces fall into place... In the morning, a voice recorder taken without real conviction, then, in the evening, some traffic jam, a delayed band, Secret Chiefs 3 who plays before a.P.A.t.T, and here I am, asking half-improvised questions to Trey Spruance, former guitarist of Mr Bungle, who played briefly with Faith No More and is now the mastermind behind the Secret Chiefs 3 nebula.
All the way through this half-hour, discussing the ins and outs of a music bringing together persan rythms, gnosticism, death metal, eastern philosophy and Ennio Morricone, Trey Spruance was voluble, impassionned, fascinating, something cryptic with some metaphors... and, above all, extremely kind.
Thanks to him for agreeing to to this interview !
Inside Rock : I know that Secret Chiefs 3 is a lot about mysticism and hermeticism. So my first question is about how a kid who was playing something like The Raging Wrath of the Easter Bunny at 17 turned to be interested in gnostic and esoteric writings ?
Trey Spruance : Maybe because there’s a ceiling. If you climb a ladder and you’re using your rational mind exclusively, I think it’s inevitable that you come to the ceiling that Nietzsche describes and what you do once you reach that ceiling is important. After Nietzsche, you have people beating their head on that ceiling and making it bloody and ugly and disgusting. On the other hand, you have people afraid of looking at the ceiling, jumping off the ladder, falling all way down to the ground. I guess I don’t accept the ceiling - this is a point - and I don’t accept that there’s a linear progression that inevitably leads to Nietzsche and that ceiling. So I can only say that now that I’ve maybe looked to the side and seen different ladders that goes right through that so-called ceiling with no problems at all. So that’s my enter.
IR : And how did it started ? With which books ?
TS : That’s a hard question to answer because, yes, you brought up gnosticism or hermeticism and though I would say that I never found a gnostic doctrine that made enough sense, it filled in some gaps for questions that I had about religious things that seemed incomplete. So it made me more curious actually and I think that from being open to that, I actually ended up finding the persan philosophy from the safavid era (between 12th and 13th century in Iran). It’s a very graceful balance between the rational approach to philosophy and a very open universe where the mystical dimension is being paid equal honor, if not more so. It’s the way, in fact, Aristotle himself said it should be and, for some reason, that approach changed in the western world. If you think about it, we blame Aristotle for all kind of conceptual problems we have in the West. But if you read Aristotle, he put the metaphysics first and said that the physics derive from the metaphysics... but we teach the physics first so that we can reintroduce ourselves to the fact that the metaphysics has to come first. This is the part that we have lost and that’s the part they didn’t lose in the muslim world. And the persan philosopher at the safavid era, specifically, are extremely lucid and extremely balanced with regard to both perspective.
IR : The Secret Chiefs 3 project is a lot influenced by surf music, persan music, soundtracks... but also by the writings of René Guénon and Julius Évola [2]. So how do make Guénon-influenced music or Évola-influenced music ?
TS : Well, I would say that René Guénon and Évola are people that can help you to discover some things. You know how compass works and that it always locates magnetic north ? I think these writers, or at least this movement, were the only people in the 20th century who were really trying to locate that... because it’s very easy to chase every other direction and say "well, this phenomenon came into our sphere of perception, so if we want to understand the nature of reality, we just chase it". While, knowing that we actually condition everything, they full well knew that our perceptions condition and color every phenomenon that comes into it. So how can you possibly say that you’ll discover the nature of things by chasing things that are conditioned by your perceptions ? Guénon and Évola are the only thinkers in the 20th century who, I think, took account of that and then said "okay, so what are we really working with here ?" and "if there is a wisdom that’s been built over time by humanity, is it material interactions that give us the insight into the nature of reality ? Is that really it ?!" And I think their critique of that perspective is extremely important. So you don’t really play music that’s influenced by them, it’s just that you honor their perspective and their efforts to set things clear. And I feel that is why how I refer to them is really as honoring the fact that they did that and that they did it very very fucking well. Évola, maybe less so and with some problems... There’s some problems with Évola, there’s a few problems with Guénon too, but this is just my stupid opinion and they did a great job trying to retain the compass point.
IR : There is seven satellite groups in SC3 and I was wondering... When you are writing music or rehearsing, do you say "I have this melody which fits more this genre" or do you say "okay, I want to do this genre and we have to find a melody for that" ?
TS : If it’s starting from a pre-conceived premisse, I would say "there’s the geometrical matrix that we’re working with" and we see how we can sink within this geometrical matrix, what melodic or rythmic content comes out of it. That’s a very specific band does that. Whereas sometimes melodies just comes out of the ether, and that’s a couple of other differend bands where you take those melodies and you dress them up in certain ways ; and sometimes you take those very melodies and you put them through that geometrical matrix. That’s why there is shared thematic material between the different bands, because they all process things differently. So sometimes the material pre-exists and goes through the different bands filter, and sometimes the idea behind the band is what generates the music material.
IR : Speaking of geometric matrix, I read that you sometimes use pythogorian scales. Is that one of these matrix that you sometimes use ?
TS : I would say that it’s not the scales that we really use. It’s not pythagorian scales but we use the pythagorian geometry to create scales... and they’re not even really scales ! They are families of scales that have harmonic relationship.
IR : Like modal composition ?
TS : Exactly ! It’s like a modal world that holds together the way a ball of string holds together. There’s tension pulls in every directions and if you don’t have the relationships right and the ratios correct, then it’s not a ball anymore, it’s a egg or something. So they’re very definite and you know exactly where you are in the ball based on what the tensions are. We bring just strict pythagorism when it comes to that, but if you look at what pythagorian scales are, in a modern book about Pythagoras, you’ll find that we’re deviating a bit from that because there are things you have to do to adjust tensions : here’s the harmonic series and then there’s modulating... and, with instruments that are tuned to a certain pitch, you really can do both. So to me, Secret Chiefs 3 is a matter of knowing when we’re changing from the actual natural harmonic and knowing when we’re imposing a mathematical structure that holds the tension together correctly. And we know precisely where we doing it, when we’re doing it on the three different stages of a tetrachord. I think that’s what was lost when we shifted everything to equal temperament, we forgot that we imposed this harmonic rule and how we derived the twelve tones. When you forget what we’ve done, you’re doing violence to harmony.
IR : And there are some Renaissance organs that are not even tuned to the 440Hz pitch. So that rule is not that old, even in western music.
TS : Absolutely. And I’m not even really against western music having become this sort of regimented, rigid system of supposedly perfect tones that ignore harmonic reality completely. But it’s true that, in the Middle Age and Renaissance, the harmonic system was different because people were still aware of what the natural harmonics were, their ears were still conditioned to hear things that way... and they were trying to figure out how to modulate through different key centers without fucking up the natural harmonics too much, because they were still hearing the dissonances. In a way, we reconditioned our ears to know when we’re violating natural harmonics. So when we do it, we do it intentionally ; and there’s other times when we try to stay as true as possible to it, because we’re doing different things in different bands.
IR : The seven satellite bands of Secret Chiefs 3 are The Electromagnetic Azoth, UR, Ishraqiyun, Traditionalists, Holy Vehm, FORMS and NT Fan. If I’m not mistaken, the first track from NT Fan appeared recently on Satellite Supersonic, Vol. 1 (released in 2010). Yet you’ve said for a long time that SC3 were seven different band. Why did you wait so long ?
TS : (smiling) Is it credited as an NT Fan song ?
IR : It is on the Internet.
TS : On the internet... but on the CD itself, is it credited as NT Fan ?
IR : Well, not on the CD...
TS : Here’s the thing. That recording comes from 1995, I believe, before Secret Chiefs 3 existed, by year and... hmmmm... let’s talk about Hegel for a second. You know what Hegel says : "you have the thesis, the antithesis and then you have the synthesis as a medium between them". That’s a sort of bonehead explanation but when you go into it, you discover that the synthesis is actually the a priori phenomenon and the opposition between the thesis and the anti-thesis is a coincidence, a co-incidence that comes out of the a priori synthesis. So in fact, we have six bands as a coincidence that were coming out of NT Fan.
IR : In a review, Pacôme Thiellement...
TS : Yeah ! He’s brilliant !
IR : Yes, he is... He wrote a couple years ago that NT Fan was kind of the Hidden Imam of SC3, and was never to be shown.
TS : Oh ! We never said it ! And i’m not admitting that that’s what it is... but fans decided that’s what it is, while we did do that back when there was no SC3 that was called like that. So I don’t know... (laughing) you tell me !
IR : Well, it’s a theory about NT Fan.
TS : Hmmm... it’s fair. It’s a fair way to think of it, for sure... because, what is the Hidden Imam ? This is a figure, a person... it’s a person. And it’s the person residing at the center of things. The way that Ismaelis think about it, where they use the Seven Imams system or the Twelve Imams system with the Mahdi, it’s the person that leads the natural person back to the divine person or the divine personhood. So, in a way, it would be completely irresponsible from me to say anything about it, because this isn’t about my ego. I have fidelity to the way those kinds of symbolic contours express themselves but for me as an artist, it’s where it’s getting tricky. I’m not really going as myself, I want that to be something that people can get. So if he’s seeing it that way, that’s not something I want to contradict because there’s truth in that. But, on that level, it’s really not for anybody to say. Really ! Anything you say is gonna end up being wrong... Even I would be wrong. I’m the one that’s creating it and I’m just as wrong as you or him, you know...
IR : But is there a symbolic meaning that Timb Harris, your violonist, has his face covered on stage ?
TS : That’s another situation. It’s truly interesting... A lot of times, people receive that hooded thing different ways. I just did an interview in New York recently, by a persan guy, and he said "why do you obscure your face ? You look good, so why ?" And some people are "aaaargh ! It looks so black and sinister !" Everybody sees that different ways, even within the band. I think sometimes that in the band it is thought as an anonymity thing, something to make us anonymous. My thinking was that it’s always been to draw us into more interior space, so we can actually be together, we can play together because we’re not really been distracted. We’re actually going into a more interior place then we do catch glimpses of each other ; and we know that we’re in this musical moment together and it becomes more profound because we’re not distracted by a lot of things. Timb had the feeling it was about anonymity so he needed to assert himself. I invited the bant to create their own costumes so we could take it to the next place, where you involve your own personnality a bit more. Nobody wanted to do it, nobody did it... but he did it and he was into it. He actually felt like he had to assert himself in a way that was like saying "Yeah ! fuck you ! This is me !" to me ; because i’m the creator of the whole thing. I wouldn’t say it was a egotist thing but it was like "Fuck you ! I’m here ! I’m playing this instrument !" and that was great ! To me, it was really exciting, that’s when it’s becoming real because it’s really about him inhabiting his space in the band... and he completely respected that thing of being interior ! It was beautiful, it was beautifully done ! I think he’s progressed a thousand fold since he did that, as a musician, as a person. It’s just been wonderful.
IR : And the violin has a very important role in your music. So he has to be up to the challenge and very self-confident.
TS : Yeah ! And he rose to it completely. And even if it was because he was looking at the hooded thing differently than I was looking at it - because I wasn’t looking at it as "everybody in that band has to be anonymous !" - even that sort of slight misperception allows the right thing out of it. I love stuff like that !
IR : You covered soundtracks like Halloween, Exodus, The Day The Earth Stood Still, you also composed some imaginary soundtracks with Traditionalists. Where does it come from ? A friend of mine likes to picture you and mike patton as two teenagers looking at tons of horror movies in a couch. Does that come from that period ?
TS : No, we were listening to Sodom’s Obsessed By Cruelty and Stravinksy’s Rite Of Spring. We weren’t listening to the soundtacks back then. That came later. Like in ’93 or ’94, we were starting to go deeply into the soundtrack composers.
IR : Yet on the first Mr Bungle, there was references to movie subculture, like Girls Of Porn. How did you decide to use that movie subculture musically ?
TS : I think that we were really automatic about that. The thing is that we came from a very small town and we were reactionary. "Everybody’s partying" and stuff like this, I would say that it’s this very boring hedonistic existence that we were disgusted by. So our kind of very nihilistic reaction to it was to be not just asexual but completely socially withdrawn and reclusive and weird about that kind of stuff. So that’s all we shared, that’s all we had in common... and our solution in that time to that personal crisis of development or something was this very solipsistic, onanistic sort of position. It didn’t have anything to do with movies or anything like that...
IR : And that reactionary position made you read these strange books about spiritual stuff and hidden gods ?
TS : Hmmm... No. It’s complicated, but i would say that it’s like taking the nietzschean poison. Nietzsche is sitting there, saying things like "what doesn’t kill me makes me stronger", with all that bravado, like he’s some fucking Viking, he does that when he’s criticising Wagner because he’s jealous of Wagner... and it’s two weeks before he’s gonna go mute and go insane forever. As an invalid, laying in bed, he’s writing these things - "what doesn’t kill me makes me stronger" - and he’s a weak, pathetic invalid. You know what i’m saying ? It’s these things you
have to keep track of because it’s the same thing : it’s this bravado, chest-pounding bullshit written from this completely flacid and bodily and sort of mentally diseased point-of-view. So I’m admitting that’s what we’re doing at that time too. We were taking this very reactionary sort of chest-pounding - "well we don’t want to have anything to do with this !" - and we were total nihilistic. The punk rock was way too life affirming, people were too together, too idealistic and thought they were gonna change things. We were just laughing, "that’s ridiculous !". We were really dark... very deconstructionists. Without knowing, we were automatically doing this sort of disintegrative process. We were very much part of the disintegrative mentality of the time.
IR : Last question, I read that you are about to play with Faith No More in Chile.
TS : I will. They invited me and I’ve been to rehearsals and stuff...
IR : So they just invited you and you said okay ?!
TS : Yeah... and we did the rehearsals and it sounds really fucking good ! It’s actually gonna be really cool !
IR : Okay. Well... thanks a lot !
TS : Thank you ! Too bad we missed the show...
[1] Écrivains de la première moitié du XXe siècle dont la pensée était très influencée par l’ésotérisme et les traditions antiques et orientales
[2] Writers from the first half of the 20th Century, whose thinking was influenced by esoterism and ancient and eastern traditions
Vos commentaires
# Le 24 octobre 2011 à 02:20, par Pimous En réponse à : Interview Secret Chiefs 3
Une explication est prévu pour toute la partie sur l’harmonie ou c’est incompréhensible pour tout le monde ?
J’ai vaguement cru comprendre qu’il n’utilisait pas de gamme tempérée mais je n’ai pas l’impression qu’il ai refretté sa guitare ou accordé son piano.
Sinon, les violonistes (et les dérivés, altos, violoncelles, etc) utilisent encore maintenant un la 442 lorsqu’ils sont entre eux (et exigeant... parce que 2Hz, c’est relativement peanuts).
# Le 24 octobre 2011 à 15:25, par Aurélien Noyer En réponse à : Interview Secret Chiefs 3
Désolé... Les explications de Trey Spruance sur l’harmonie ne sont pas spécialement claires pour moi non plus. J’ai cru comprendre qu’il n’utilise effectivement pas toujours la gamme tempérée et qu’en studio, il utilise parfois des guitares microtonales comme celles-ci : http://www.jeanpierrepoulin.com/Guitare.htm. Ce qui lui permet d’utiliser d’autres tons que les 12 tons de la gamme classique, mais l’oblige en même temps à oublier les règles associées à la gamme classique qui sonnent "faux" avec les notes alors utilisées.
Cela dit, mes connaissances musicologiques ne s’étendent pas pas jusque là et j’ai l’impression que Spruance est surtout un autodidacte qui a sa propre façon de s’exprimer. Du coup, je ne peux pas proposer d’explication avec certitude.
# Le 27 février 2012 à 20:50, par JPP En réponse à : Interview Secret Chiefs 3
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