Sur nos étagères
Is This Desire ?

Is This Desire ?

PJ Harvey

par Oh ! Deborah le 5 avril 2011

4

Paru en 1998 (Island)

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Accalmie trompeuse et virage électro-pop , Is This Desire ? esquisse un profil plus tranquille de PJ Harvey, débarbouillée de ses stigmates et prête à partager ses tourments plus simplement. Entre ballades romantiques et torpeurs subtilement dévoilées.

Au début de sa carrière, la personnalité de PJ enserre quelques contrastes, une identité fragile et discrète qui s’affirme au travers d’une excentricité androgyne à la fois surfaite et instinctive. Mais toujours, son intimité s’exprime par des éclats sobres. Le sentiment est pur depuis le blues de Dry jusqu’aux complaintes de To Bring You My Love, aussi, quelques accords acérés suffisent à libérer une profusion d’émotions. Le blues rock des débuts va alors s’effacer au profit de mélodies pop, les tensions et l’âpreté vont laisser place à une sobriété plus marquée, à des blessures rentrées, murmurées, mais clairement exposées. Is This Desire ? se veut encore plus minimaliste que les autres, il est une œuvre pudique, épurée et froide, émaillée de quelques tubes pop, dégagée d’excès. Il fait mine d’une trêve dans la carrière de PJ, il s’avère moins exacerbé sur le plan musical et suscite donc un intérêt mitigé à sa sortie. Et pourtant. La chanteuse détient un univers bien trop riche pour qu’on en reste aux apparences. Les textes nous disent toujours des choses singulièrement sombres, et surtout, le ton est étrangement calme. On imagine clairement la difficulté à produire cet album, tant les arrangements sont ici précis, tant ils sont à leur place, tant la tempérance est travaillée.

PJ Harvey est reconnue pour ses renouvellements de styles, tant physiques que musicaux. Cependant, ses œuvres, en dehors de l’unique et intemporel To Bring You My Love, s’inscrivent souvent dans une époque dont on reconnait les traits et modes de production. Si Is This Desire ? contient donc quelques légèretés à l’encontre de la gravité d’autrefois, ainsi que des tics sonores affiliés à la mouvance électro-pop et trip-hop de la fin des années 90, il bénéficie d’une part toute personnelle qui fait la distinction de PJ Harvey parmi les artistes de cette génération, et ceux d‘aujourd‘hui. Autrefois fidèle aux instruments classiques, la chanteuse réussit à construire une œuvre introspective et émotive par le biais d’un style qu’elle n’avait jamais exploité.

En premier lieu, une de ses plus belles chansons, toutes confondues, Angelene. Jouant le rôle d’une prostituée qui rêve de nouveaux horizons, PJ nous saisit instantanément par ses premiers mots. Un peu comme les romans qui nous submergent dès les premières lignes. L’aplomb du timbre et des mots suffisent à nous immerger dans cette œuvre criante de justesse sur tous les plans. La voix pourtant sobre de PJ n’a jamais été aussi proche de l‘auditeur, mixée très en avant, notamment sur The Wind, Catherine, Electric Light et The Garden. Partout, elle est précisément expressive, terriblement présente, elle chuchote et se confie avec simplicité, ou sature et crie sur No Girl So Sweet et Joy, clameurs pincées :

No hope for joy
No hope or faith
She wanted to go blind
Wanted hope to stay
 
"I’ve been believing in nothing since I was born
It never was a question"
No !

Mais PJ a beau s’exprimer de différentes manières, elle semble toujours emporter un lourd secret avec elle. Sa voix n’est jamais libérée. Ses émotions sont sur le fil.

Is This Desire ? est à la fois rude et doux, aimant et haineux, froid et confidentiel, d’une froideur extrêmement sensuelle. Il effleure et hante l’espace, il joue sur le sensoriel et les sonorités, tour à tour grinçantes, crépusculaires et feutrées. Celles-ci accompagnent avec cohérence des textes organiques qui évoquent sans cesse la lumière, le vent, l’eau, le ciel, les collines et les rivières. Là où reposeraient des anges qui ne demandent qu’à guérir les plaies et pardonner les péchés de la multitude de personnages décrits par la chanteuse. La nature, l’amour ou la mort semblent être les seuls remèdes et obsessions d’ Angelene, Catherine, Leah, Joseph, Dawn, Elise ou Joy, qui ont en commun d’être cruellement seuls. Ils errent de façon permanente, se lavent de leurs faiblesses (« A place where she could rest and rest, and a place where she could wash »/ « Leave your pain in the river, to be washed away slow »), en quête de repos. Catherine se construit une chapelle maritime dans The Wind pour pouvoir se confesser, mais quelqu’un l’envie et tuerait tout ce qui l’entoure dans la chanson portant son nom. Un homme traverse un jardin fantasmé, il rêve, puis réalise sa solitude dans The Garden, ballade d’une beauté limpide et onirique. Des phrases fortes parsèment l’album, marquent les esprits et sont pourtant prononcées très tranquillement : « She tears my heart out every time », « I damn to hell every second you breath », « He was praying for his life, he was thinking of his sins » ou encore « She only had nightmares, and her sadness never lifted ».

Cette dernière est issue de Beautiful Leah, un des sommets de l’album en forme d’un bourdonnement continu avec cymbales frénétiques, sur lequel PJ chante sur un ton d’une étrangeté grave et désabusée. Comme souvent sur cet album qui semble révéler des désirs tournant aux vices, abandonnés dans une confession inquiétante. Parfois, une seule ligne de basse (Electric Light), un rythme sourd et quelques notes ouatées suffisent à dépeindre les affres de la chanteuse qui étouffe sous le rôle de ses personnages et déforme sa voix de façon anxiogène (Catherine). Des dissonances apparaissent alors cinglantes et machinales sur Joy. Finalement Is This Desire ? joue sur deux tableaux, l’expression d’une intimité lourde et contenue d’une part, le rêve et l’évasion d’autre part. Des chansons concises, soignées, aux tonalités basses et saturées, au rythme minimal, ou au contraire des envolées percutantes.



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom



Tracklisting :
 
1.Angelene (3:34)
2.The Sky Lit Up (1:52)
3.The Wind (4:01)
4.My Beautiful Leah (1:59)
5.A Perfect Day Elise (3:06)
6.Catherine (4:05)
7.Electric Light (3:04)
8.The Garden (4:12)
9.Joy (3:40)
10.The River (4:52)
11.No Girl So Sweet (2:45)
12.Is This Desire ? (3:25)
 
Durée totale : 38:34