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Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me

Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me

The Cure

par La Pèdre le 1er août 2012

paru le 25 mai 1987 (Fiction Records)

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Il s’est fallu de peu de temps pour que l’adolescent presque ennuyeux de Crawley qui pensait jouer des reprises des Stones toute sa vie dans le pub du coin n’éclose en une créature fantasmatique - Robert Smith. Tenant autant du croque-mort que de l’enfant, ce dernier a tranché dans l’imaginaire collectif le profil par excellence de l’indie kid, dont les émanations tourneront souvent autour (au hasard, la dégaine hirsute des jeunes frères Reid, l’esthétique confuse du The Crow de Alex Proyas ou encore les goth kids de South Park).
En tout état de cause, malgré cette notoriété populaire qu’on leur déplore souvent, les Cure ont rarement cédé sur l’aspect artistique, le père Bob étant l’esthète qui se gourmande de l’esprit de contradiction, posant le droit à être le seul à pouvoir se juger ; la compilation Japanese Whispers (1983), résistant à l’intronisation coldwave, sonne le glas de ce décalage jouissif et complaisant des Cure, décidés à ne plus se prendre tant au sérieux.
C’est dans le sillon de cette exigence musicale que le groupe va enregistrer son septième album à l’étranger, au Studio Miraval qui a vu passer Pink Floyd en 1979, la Provence se présentant alors dans son cadre placide et solaire comme l’endroit seyant à une inspiration éclectique.
Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me, quand l’on passe son titre précieusement naïf et gentiment provocateur, quand l’on passe ces lèvres plantureuses posées là dans un fondu luxuriant, est ainsi d’un équilibre remarquable, épousant toutes les velléités de Smith, délirante et romantique, élaborée et pop, dans un écrin soigné et ambitieux - la production demeure absolument moderne, lorsque nombre d’albums anglais sortis a l’époque nous apparaissent paresseux d’arrangements à la mode.

C’est ici que le groupe se fera l’idée de mettre en piste introductive ces morceaux-massues, planant ou fougueux, cherchant le monumental. Comme ça The Kiss ouvre l’album, et le Bob, toujours éclairé par l’esprit d’Hendrix, fait tenir en 6 minutes une chanson essentiellement instrumentale dans un équilibre tellement remarquable qu’à la vérité il fera rarement mieux. L’atmosphère menaçante monte en saccades torturées, par bouffées hystériques de wah-wah, d’une façon si maitrisée que la tension ne relâche pas et en fait un titre, trop souvent ignoré, qui n’a pas son pareil dans la discographie du groupe. Au Bob de venir fermer le titre avec ses coups d’éclats romantico-schizophreniques (commençant par une invitation au baiser et se concluant - what else ? - par un vœu de mort).

Dans cette faune luxurieuse aspergée par un saxophone d’une chaleur folâtre, le Bob, gourmand, fait traverser son appétence littéraire de part en part, creusant ici son goût pour l’orientalisme baudelairien lascif (If Tonight We Could Sleep, The Snakepit, Like Cockatoos), révélant là des rock exotiques tourmentés (Torture, Shiver and Shake) pour finir en crooner glouton sur le pseudo-funk hispanisant (!) Hot Hot Hot !!! (pour quelqu’un qui chantait Faith) - et quelle voix sans pareil ! cherchant des rondeurs étranges au fond de sa gorge (comme si quelqu’un d’autre chantait ?).
Sans oublier deux autres topiques des Cure, les rock à fleur de peau (How Beautiful You Are, All I Want) et les comptines guindées (One More Time, The Perfect Girl, Thousand Hours), engageons plutôt à redécouvrir ce faux jazz onirique et bizarre, saisissant d’inventivité et de retenu, qu’est Icing Sugar. Nul doute que les chaudes nuits de la Côte d’Azur auront donné l’impulsion de ces titres au romantisme méridional, faisant probablement le Bob se croire dans un Camus.

Généreux, on ne manquera pas d’y trouver néanmoins des défauts. Why Can’t I Be You rappellera aux plus sceptiques les tribulations musicales d’un Philippe Risoli calorique (talentueux artiste, ex-présentateur du Juste Prix) ; on ne reviendra (évidemment) pas sur Just Like Heaven, tube trop entendu qui, s’il symbolise la chanson pop par excellence à l’ère post-punk (dans ces mêmes colonnes on le rapprochait du Ex Lion Tamer de Wire et Sunlight Bathed the Golden Glow de Felt), n’explique toujours pas son succès au milieu de titres tous plus goulus les uns que les autres.

Au final on pourra encore se gausser du pied-de-nez décomplexé que pose là les Cure à tous ceux qui les figent dans un existentialisme gothique, ennuyeux a l’usure. Protéiforme, le Bob n’aura de cesse d’exaspérer ceux qui l’exaspèrent, faisant côtoyer l’absurde au tragique, les synthés pouet-pouet aux orchestrations les plus éloquentes.
Débordant jusqu’à la gueule - double-album oblige -, ébauchant une idée pour l’abandonner aussitôt, Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me est une œuvre prolixe, hétéroclite, ambitieuse, faussement surannée qui, faisant suite à deux albums insaisissables et polémiques, renoue avec le génie graphique de maitre Bob, se complaisant plus que jamais à tromper sa fausse placidité, en doux-dingue qu’il est.



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Tracklisting :
 
1. The Kiss (6’17’’)
2. Catch (2’42’’)
3. Torture (4’13’’)
4. If Only Tonight We Could Sleep (4’50’’)
5. Why Can’t I Be You ? (3’11’’)
6. How Beautiful You Are (5’10’’)
7. The Snakepit (6’5’’)
8. Hey You !" (2’22’’)
9. Just Like Heaven (3’30’’)
10. All I Want (5’18’’)
11. Hot Hot Hot !!! (3’32’’)
12. One More Time (4’29’’)
13. Like Cockatoos (3’38’’)
14. Icing Sugar (3’48’’)
15. The Perfect Girl (2’34’’)
16. A Thousand Hours (3’21’’)
17. Shiver and Shake (3’26’’)
18. Fight (4’27’’)
 
Durée totale : 74’35’’