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par Emmanuel Chirache le 10 mai 2010
Les Dictateurs, voilà un nom qui donne le ton. Amateurs occasionnels de swastikas nazies (très en vogues à l’époque du punk), adeptes de textes truffés d’humour second degré, faux beaufs mais vrais déconneurs, ces précurseurs du punk s’y connaissaient en effet en provocation. Au point qu’aux débuts du groupe en 1975, certains prirent les paroles sulfureuses de Master Race Rock ou Back To Africa pour argent comptant, au mépris d’une information que le groupe donne pourtant dans Next Big Thing : « They didn’t know we were jews. » Hé oui, les dictateurs sont Juifs... Ce malentendu vaudra au groupe une absence de passages radio qui lui coûtera au final sa notoriété.
Pourtant, les paroles écrites par Andy Shernoff épinglent avec un comique ravageur les petits travers de la société américaine. Tout au long de morceaux hilarants, le chanteur et bassiste des Dictators ressasse ses obsessions : la célébrité (« I won’t be happy till I’m known far and wide, with my face on the cover of the TV guide » dans Next Big Thing), la malbouffe (« Bobby is a local punk cuttin school and getting drunk, eating at Mcdonald’s for lunch » dans Weekend), le mode de vie redneck (« There’s nothing else in this crazy world, except for cars and girls » dans (I Live For) Cars And Girls), et la télévision (« We’re the members of the master race, got no style, and we got no grace, sleep all night, sleep all day. Nothing good on t.v. anyway » dans Master Race Rock, et surtout l’excellent Sleeping With The TV On). À l’intérieur du livret de Go Girl Crazy !, Shernoff est même pris en photo avec trois postes de télé, tandis que le groupe pose dans un fast-food !
Après quelques albums, les Dictators se séparent donc faute de succès durable, puis remettent le couvert à la fin des années 90. Fruit de cette reformation, un nouvel et bon album sort en 2001, j’ai nommé Dictators Forever, Forever Dictators. Voilà qui nous mène directement à Pussy And Money, joyeuse chanson à boire qui illumine le disque par sa bonne humeur et sa déconnade à l’ancienne. Portée par un riff efficace et la voix légèrement enrouée de Handsome Dick Manitoba, la chanson, co-écrite par David Roter, s’inscrit dans la tradition punk en évoquant un bon à rien (un "punk" au sens étymologique du terme) qui cherche un sens à sa vie :
You wake up in the morningtotally confusedcan’t get a datebut you’re getting screwedyou’re searching for a reasona way to carry onwhen everything is brokenand everything is wrong
Sans pitié, le cynisme de bon aloi des Dictators tourne alors en dérision charité, foi, et altruisme :
So you tried to save the whalesYou found a tree to kissYou gave a crippled childHis dying wishYou’re waiting for an answerA message from aboveYou’ve always been a suckerAnother fool in love
Puis arrive ce refrain entraînant, fait pour être crié par des choeurs de mâles avinés. Il s’agit là d’une vérité proverbiale, d’un axiome pénétrant, d’un constat subtil que l’on pourrait traduire en termes galants par : « tout ce qui compte dans la vie, c’est le fric et les gonzesses. »
What’s it all aboutPussy and moneyI ain’t tryin to be cuteI ain’t tryin to be funnyEverybody lies aboutPussy and money
Dans un monde pareil, inutile de jouer les gros bras quand on est juste un punk. Car on risque de tomber sur plus fort que soi et de se faire manger.
You wanna be the big dogDown on the streetBut if you spill a drop of bloodThe shark’s gotta eat
Conclusion, il faut saisir la moindre petite parcelle de bonheur ou de réussite : « Sweet success / Just take it / If you’re sincere / You can fake it ». En substance, voici en fait l’histoire des Dictators, un groupe avide de gloire qui eut le malheur de sortir un disque punk trop tôt, puis revit ses ambitions à la baisse avant de se reformer pour juste apprécier le plaisir de jouer du rock. Déjà lorsqu’il écrivait pour un fanzine, Andy Shernoff avait semble-t-il fait son deuil de la célébrité : « Comme la plupart des rock critics, je suis une rock star frustrée. L’appel des groupies, de la picole, de l’argent et d’une télé couleur [encore la télé ! ndlr] était trop dur à supporter. Mais j’ai vite réalisé que je n’allais jamais atteindre ce but. »
D’autres vont connaître un peu plus de chance en s’inspirant de la formule inventée par Shernoff et Manitoba. Blousons en cuir, champs capillaires en friche, riffs courts et efficaces, provoc’ bête et méchante mais toujours drôle, culture de la glande, vous l’avez compris, les Ramones ont (presque) tout piqué aux Dictators. Et comme le dit Jean-Marie Le Pen lorsqu’il entend le mot Philippe de Villiers, l’original vaut toujours mieux que la copie.
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