Pochettes
Rum, Sodomy & The Lash

Rum, Sodomy & The Lash

The Pogues

par Arnold le 15 mai 2007

Album sorti en 1985 (WEA) Peinture Originale : Théodore de Géricault

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Le naufrage de la Méduse

1816. Suite à bien des péripéties sur les mornes-plaines-de-Waterloo, Napoléon est exilé, et Louis XVIII grimpe a son tour sur le trône de France. L’Angleterre qui avait annexé le Sénégal (colonie française) le rend au nouveau Roi qu’elle juge plus légitime. Ainsi, le 17 juin une flottille quitte le port de l’Ile d’Aix autour de La Méduse. La Frégate sous les ordres du commandant Hugues Duroy de Chaumaray, compte à son bord le colonel Julien Désiré Schmaltz (nouveau gouverneur de la colonie restituée), environ 250 passagers (quelques grosse huiles de la noblesse française, scientifiques, et autres colons) et plus d’une centaine de marins et de soldats.

Mais le Sire Commandant n’a pas encore beaucoup officié dans la Marine Française, suscitant le scepticisme de ses second et de ses matelots. Ces mésententes mènent inéluctablement au naufrage de la Méduse le 2 juillet sur le banc d’Arguin, au large de la Mauritanie. Les 250 passagers privilégiés prennent place à bord de six canots de sauvetage. Pendant ce temps, les quelque 140 marins s’entassent sur un radeau de 20 mètre de long sur 10 de large, relié par un cordage aux autres canots. Mais le lien lâche "mystérieusement" (sans doute aidé par un quelconque personnage pressé de ramener son noble derrière au sec). Le radeau part à la dérive et, bien évidemment, les six canots de tête tracent la route sans remords. Il est repêché treize jour plus tard par l’Argus, un navire de passage. À son bord, il ne reste plus que 15 rescapés... qui avoueront avoir eu recours au cannibalisme pour survivre. Les plus faibles mourraient, ou se suicidaient, voire pire... Les plus résistants subsistaient avec les moyens du bord... De retour sur le sol de France, l’histoire s’ébruite, et devient scandale. Le commandant de la Méduse passa les trois années suivantes en prison.

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Le Radeau de la Méduse
© Géricault, le Louvre

Le Radeau de la Méduse par Géricault

Au Salon de 1819, Théodore de Géricault, un jeune artiste peintre romantique expose sa troisième oeuvre : Le Radeau de la Méduse, qui représente les derniers moments des rescapés avant leur sauvetage. Sa construction est impeccable, et le sujet ravive les débats. Évidemment le choix de Géricault ne s’est pas fait au hasard. Trois ans plus tôt, le scandale l’avait énormément touché, comme la plupart de ses concitoyens... Et comme l’Etat tentait d’étouffer l’affaire, il décida de fixer le scandale pour l’éternité [1] sur une toile d’environ 5m x 7m. Pendant deux ans, il va travailler d’arrache-pied sur cette oeuvre qui le révélera au grand public. Il se renseigne, lit les récits de quelques rescapés, demande à certains de servir de modèle pour plus de réalisme, demande au charpentier rescapé de la frégate de lui reproduire une maquette du radeau, il va même jusqu’à faire venir dans son atelier des membre de condamné a mort pour les faire pourrir et saisir ainsi tout les nuances de la chair en décomposition... Il subit bien évidemment des pressions, mais son tableau voit finalement le jour mais ne rencontre pas un accueil extraordinaire. Aujourd’hui, son tableau est l’un des plus connus du Louvre.

"Rhum, Sodomie & Le Fouet", selon les Pogues

1985. Plus de 150 ans plus tard, Shane MacGowan et sa bande préparent leur deuxième album : Rum, Sodomy & The Lash. Les Pogues sont fascinés par le tableau de Géricault qu’ils décident de détourner pour leur nouvelle pochette [2]. Chacun des membres (à l’exception de Philip Chevron qui vient juste d’intégrer le groupe) est représenté à la place d’un personnage du tableau. Mais pourquoi un tel choix de pochette ?

Tout d’abord, la pochette vient renforcer la thématique marine qui est présente sur tout l’album. Les Pogues jouent une musique traditionnelle Irlandaise. Il s’agit ici de l’Irlande profonde, l’Irlande populaire que l’on retrouve tout les soirs à faire la fête dans les Pubs à coups de Guinness, de Whiskey et de musique... Au milieu des chansons à boire, on retrouve souvent des chants marins (ce qui s’en rapproche souvent). En plus de ces chants typés, l’album des Pogues transpire justement la tradition navale jusque dans son titre. Rum Sodomy & The Lash est un pied de nez à Winston Churchill qui un jour avait dit : "Ne me parlez pas de tradition navale ! Ce n’est que Rhum, sodomie et le fouet !"... Pour compléter cette bafouille, le groupe pose même en uniforme de la Royal Navy à l’intérieur et à l’arrière de la pochette.

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Les Pogues
de haut en bas, et de gauche à droite : Cait O’Riordan, Philip Chevron, Jem Finer, James Fearnley, Spider Stacey, Shane MacGowan, et Andrew Ranken.

Au delà de la tradition navale, la pochette prend une dimension plus politique et sociale à l’instar du tableau peint par Géricault. Après tout, le scandale que le jeune artiste peintre a voulu rappeler aux générations futures n’a d’autre origine que la lutte des classe. Les prolos triment et les classes supérieures récoltent le fruit de ce labeur, ne laissant que des miettes derrières eux. C’était vrai pour le scandale de la Méduse où les 250 privilégiés ont abandonné les 130 marins qui les avaient servi sur la Méduse à une mort certaine. C’est aussi vrai pour les milliers d’Irlandais sans le sou qui émigrent au Royaume Uni pour ne pas y trouver pas grand chose si ce n’est exploitation, et mépris. C’est encore vrai pour les anciens combattants qui reviennent au pays les jambes en moins et toute la gloire aux autres. Car c’est surtout ça que raconte l’album des Pogues : la misère, la drogue et l’oubli. Chacune des chansons, aussi entraînante soit elle, relate une histoire à faire pleurer.

Au final, La pochette de Rum Sodomy & The Lash correspond parfaitement à l’album. La parodie, et le pied de nez font rire tout comme leur musique nous donne envie de faire la fête. Mais en grattant un peu on y découvre derrière toute une complexité et tout un message. Et puis, il ne faut pas oublier que nous en somme en 1985. La plupart des pochettes sont plutôt fades ou bien tout simplement moches. Et au milieu de tout cela, la pochette de Rum Sodomy & The Lash ne peut que vous sauter à l’oeil. Ajoutez à cela un production signée Costello, et le succès est garanti...

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[1ce que Géricault n’avait pas prévu, c’est que le goudron utilisé dans le liant de son tableau assombrit peu à peu toute la toile au fil des ans, et pose un réel problème aux restaurateurs qui n’y peuvent rien. Le Radeau de la Méduse ne sera donc malheureusement pas éternelle

[2Sur leur album Hell’s Dicth (1990) il écrivent même un chanson à ce propos : The Wake of the Medusa, signée Jem Finer

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