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Volume One

Volume One

Soft Machine

par Psychedd le 20 septembre 2005

4

Sorti en novembre 1968 / Produit par Tom Wilson et Bryan « Chas » Chandler / Enregistré au Record Plant, New-York.

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Est-ce parce que des brumes acides ont rongé le cerveau de bien des survivants de l’ère psychédélique, ou parce que l’on a délibérément oublié de les apprécier que l’on ne se rappelle absolument pas de Soft Machine ?
L’histoire est drôlement faite... Qui ne connaît pas Pink Floyd de nos jours (de nom en tout cas) ?
Quand on parle de l’UFO à Londres, les connaisseurs penseront de suite à Syd Barrett et sa machine à voyager au centre du cerveau, mais qui rétablira la dure vérité ?
Soft Machine, power-trio lui aussi résident de l’UFO était bien plus taré que l’ensemble des membres du groupe star susmentionné. Usant des mêmes jeux de lumière (Marc Boyle, l’éclairagiste en chef des soirées psychés n’y est pas pour rien), usant des mêmes substances, ajoutez à cela un taux d’alcoolémie à faire pâlir, et voilà une belle bande de Barrett en plus barrés (et moins schizophrènes, ça aide).

L’histoire du groupe commence en 1966 quand Kevin Ayers (basse, guitare) et Daevid Allen (guitare), un aventurier australien, décident de fonder The Soft Machine, dont le nom est issu de l’ouvrage éponyme de William Burroughs, auteur de la Beat Generation (et bien attaqué neuronalement, avez-vous déjà essayé de le lire ce bouquin ? Et si oui, l’avez-vous fini ?). Ils s’associent au jeune Robert Wyatt, batteur des Wilde Flowers, groupe phare de l’école dite « de Canterbury », où l’on retrouve des membres du futur Caravan (des connaisseurs dans l’assistance ?). Le trio est rejoint quelques mois plus tard par l’organiste Mike Ratledge, un diplômé en philosophie d’Oxford, ce qui, il faut le dire, en jette pas mal...
La différence majeure avec de nombreux groupes de l’époque, c’est que les membres de Soft Machine n’y connaissent pas grand chose en pop-rock (excepté Ayers), Robert Wyatt et Mike Ratledge ayant eu une formation 100% jazz comme presque tous leurs amis de Canterbury. Pensez si ça fait des influences rigolotes quand on joue des morceaux qui sont déjà psychédéliques !
Ils deviennent les autres chouchous de la scène underground londonienne (et tout comme le Floyd, ça passe beaucoup moins bien auprès des spectateurs de province), donnent des concerts à l’UFO et à la Roundhouse.
Durant l’été 1967, ils filent dans le sud de la France où ils donnent des représentations mêlant musique et théâtre avant-gardiste. En voulant rentrer en Angleterre, Daevid Allen est refoulé pour une obscure histoire de papiers pas en règle. Il reste donc en France où il fondera un peu après le groupe Gong.
Soft Machine, devenu trio par la force des choses, est une des têtes d’affiche du 14 Hours Technicolor Dream à l’Alexandra Palace. Les membres du groupe rencontrent plus tard un autre trio (entré dans la légende celui-là) : le Jimi Hendrix Experience. Ils deviennent potes et sont embauchés pour faire la première partie de la tournée américaine de 68.
Autant joindre l’utile à l’agréable, le groupe va enregistrer son tout premier album au mois d’avril à New-York sous la direction de Tom Wilson et Chas Chandler, ancien bassiste des Animals et producteur d’Hendrix (les relations, ça sert parfois).
En 4 jours seulement, ils vont boucler le disque, c’est à dire que presque tout ce que l’on entend, ce ne sont que des premières prises, l’un des producteurs préférant passer son temps au téléphone avec sa copine, sans s’embêter pour un groupe qui fait une musique vraiment trop bizarre !

Peut-être grâce à cette liberté de travail dont ils ont profité, les membres de Soft Machine nous livrent une pièce « brut de décoffrage », pleine d’énergie, de folie et d’humour.
Définitivement, ce n’est pas un album comme les autres, fait par des musiciens pas comme les autres.
Une vraie surprise s’empare de l’auditeur lorsque débute la première chanson Hope For Happiness et qu’apparaît la voix de Robert Wyatt. Surprise, car Wyatt possède une voix très particulière, dont il se sert comme d’un instrument, mais qui semble toujours à la limite, à la fois juste et fausse. D’abord tout en douceur, le jeu des voix s’avère être superbe, puis d’un coup tout s’emballe et nouvelle surprise...
Les amis de Jimi Hendrix n’ont pas l’air d’utiliser de guitare (d’ailleurs, il n’y en a pas du tout). Tout tourne autour de l’orgue saturé de Ratledge et de la batterie déchaînée de Wyatt. Ca roule, ça vibre, ça rebondit. Ayers, avec sa basse, allie un jeu lourd qui remplit l’espace et un jeu mélodique qui complète à merveille le travail de l’organiste.
Troisième surprise, on parle de 13 morceaux, mais l’ensemble est si cohérent, si naturel qu’on a l’étrange impression de n’écouter qu’une seule et même suite improvisée, comme un témoignage live d’excellente qualité.
De l’humour, on en trouve rien que dans les titres, ainsi Why Am I So Short ? (Pourquoi suis-je si petit ?), parce que c’est vrai, Robert Wyatt est petit...
Certains vous parleront de musique de l’esprit, Soft Machine fait aussi une musique pour le corps, la batterie folle donne un tel rythme que, même si l’on peut vite ressembler à un lapin fou en pleine crise d’épilepsie, on comprend que les habitués de l’UFO aient passé des soirées entières à danser.
Dans So Boot If At All, on frôle le contemporain puis ça s’apaise doucement pour A Certain Kind avec de très belles harmonies vocales où la voix grave et chaude de Ayers vient soutenir la voix aérienne et si spéciale de Wyatt. Comme quoi on peut faire des chansons d’amour sans forcément tomber dans la niaiserie totale.
Ce morceau s’enchaîne étrangement sur Save Yourself que l’on pourrait qualifier de « violent », avec descente d’orgue digne d’un bon film d’horreur de série B.

Alors que jusqu’à Lullabye Letter, Wyatt et Ratledge semble dominer l’ensemble (avec l’aide de Hugh Hopper, qui les rejoindra d’ailleurs à l’album suivant), le ton change et les influences pop de Ayers se réveillent avec We Did it Again, aux paroles répétées comme un mantra, qui deviendra une pièce de 20 minutes lors de certains concerts, sorte d’hymne à l’absurdité, genre « Oups ! On a recommencé nos conneries (et on continue allègrement) ! ». Humour et dérision comme maître-mot, toujours. Mais où sont-ils allés chercher ce titre Plus Belle Qu’une Poubelle (en français dans le texte) ? Ca ne dure qu’une petite minute, c’est saturé et c’est l’intro du morceau le plus surprenant de l’album, tant il tranche, aussi bien par sa musique que par son contenu, de tout le reste du disque.
Les paroles légèrement métaphysiques de Why Are We Sleeping ? font écho aux mouvements de pensée de cette période, entre gourous et philosophie. Le tout est mené par la voix franchement grave et monocorde de Kevin Ayers, un sacré choc quand on s’est enfin habitué à celle de Wyatt. Mais quelle belle chose que de pouvoir déstabiliser l’auditeur non-averti du début à la fin !
Une fin d’ailleurs bien surprenante, ce court morceau de 50 secondes à peine et qui donne un peu « l’effet soufflé », c’est à dire tout qui retombe d’un coup. Pas de batterie, juste des notes de basse et d’orgue. C’est suffisamment « conceptuel » pour sembler dans le ton du reste, mais cela n’empêche pas de rester un peu sur sa faim.

Autant dire que pour un premier album, le groupe a presque tout bon, la spontanéité de leur musique n’y est pas pour rien. A noter que certaines compositions datent de l’époque des Wilde Flowers, c’est peut-être cela la clé de cette sorte de fraîcheur. Fraîcheur qui disparaîtra au profit d’une sophistication plus importante et au prix du départ de Kevin Ayers. Mais ça, c’est déjà une autre histoire...



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Tracklisting :
 
1. Hope For Happiness (4’22")
2. Joy Of A Toy (2’50")
3. Hope For Happiness (reprise)(1’39")
4. Why Am I So Short ? (1’38")
5. So Boot If At All (7’24")
6. A Certain Kind (4’15")
7. Save Yourself (2’25")
8. Priscilla (1’03")
9. Lullabye Letter (4’43")
10. We Did it Again (3’46")
11. Plus Belle Qu’une Poubelle (1’01")
12. Why Are We Sleeping ? (5’33")
13. Box 25/4 Lid (0’50")
 
Durée totale : 41’29"