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mercredi 15 avril 2015
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par Emmanuel Chirache le 16 septembre 2008
Paru le 28 avril 2008 (EMI/Delabel)
Arno qui sort un disque entier de reprises, forcément ça interpelle votre serviteur et son goût immodéré pour cette pratique singulière de la cover déjà traitée dans un autre article. On avait laissé le rocker belge sur un Jus de Box sympathique mais un peu convenu, et nous voilà aujourd’hui avec une compilation sur les bras... manque d’inspiration du chanteur ? Non, juste un cadeau pour célébrer ses vingt ans de carrière solo, avec toutefois quelques entorses collectives commises sous le pseudonyme de Charles et les Lulus. Au cours de ces deux décennies, Arno a donc entonné de la reprise à foison, tripoté de la cover à tire-larigot, vomi des hommages à gogo, que ce soit le temps d’un single, d’une collaboration à un tribute album, ou sur ses propres disques. Bref, largement de quoi remplir ce cocktail fortement panaché, au risque de paraître décousu et bordélique. Mais il faut rendre à Arno ce qui appartient aux Stones, Abba ou à Nino Ferrer et constater avec quelle facilité et quel talent le chanteur s’approprie le répertoire des autres.
Parce qu’une reprise, c’est un peu comme une galette, on l’aime quand elle est bien faite. Or, monsieur Hintjens s’impose ici comme un maître pâtissier qui pétrit sa matière avec le savoir-faire ancestral des grandes maisons patentées. Au menu : des classiques et des raretés, des succès et des titres confidentiels, mais aussi l’inédit I Want To Break Free dans une version dont les chœurs gospel donneraient presque envie d’absoudre Queen pour ses péchés. Tout le monde connaît par ailleurs le fameux Ils ont changé ma chanson emprunté à la chanteuse Melanie par Arno en duo avec Stefan Eicher, pourtant ce n’est rien en comparaison du fantastique Mother’s Little Helper piqué aux Stones de la plus belle des manières, qui d’un morceau rythmé fait une ballade minimaliste somptueuse. Et que dire de l’excellent Walking The Dog de Rufus Thomas totalement métamorphosé par Charles et les Lulus en 1991 ? On jurerait nos grands dieux entendre les Stones - justement - en personne ! Suivent un Brel bouleversant (Voir un ami pleurer) et un Gainsbourg beaucoup moins inspiré sur lequel Jane Birkin vient poser son absence de voix (Elisa).
Comme on peut le constater, le disque fait un rapide quoique délectable tour d’horizon des influences d’Arno, depuis la chanson francophone de qualité jusqu’au blues en passant par le rock sixties anglais ou des étoiles filantes telles que Captain Beefheart. Ce dernier offre à notre ami Charles Ernest deux bonnes occasions de briller avec Gimme That Harp Boy et son harmonica ("harp") jouissif, et surtout l’hallucinant Hot Head, chanson totalement déjantée qui se fond parfaitement dans le paysage flamand, pas si plat que ça. Les meilleures reprises ne sont d’ailleurs pas toujours celles qu’on attend le plus. Aussi Rollin’ And Tumblin’ déçoit-il, tout comme Ubu de Dick Annegarn ou encore le Mirza de Nino Ferrer, sur lequel Arno semble se caricaturer lui-même. En revanche, quel plaisir d’entendre un Drive My Car réarrangé de façon si novatrice et originale. Hormis les paroles, pas évident de reconnaître la chanson au premier abord... Un rythme déconstruit, une guitare aux effets piochés du côté de Tom Morello, une voix saturée, les Beatles ressemblent soudain presque à du Rage Against The Machine ou à une hidden song de Nirvana ! Autre grand moment du disque, Jean Baltazaarrr mélange habilement deux titres quasi semblables, La fille du père Noël de Jacques Dutronc et Jean Genie de David Bowie - une réussite qui doit beaucoup à l’accompagnement de Beverly Jo Scott. On citera enfin le très bon Je suis sous qui prend des airs définitivement éthyliques une fois récité par Arno. Les paroles hilarantes de Nougaro prennent alors un relief particulièrement appréciable :
Chuis bourré, bourré, bourré...de bonnes intentionsJ’ai trouvé du boulotOh Marie-ChristineC’est sérieux, j’ai balancéMon dictionnaire de rimesJe n’écris plus de chansonsNon ! J’travaille pour de bonMes copains que tu n’aimais pasMaintenant ils rigolent sans moiD’ailleurs je te les ai amenésTu n’as qu’à leur demander
A tous ceux qui mépriseraient encore - les fous - le principe de la reprise, voici une nouvelle illustration du formidable travail de création artistique et d’interprétation que cet exercice peut parfois engendrer. Un exemple d’autant plus méritoire et fondateur qu’il réconcilie deux traditions que tout semble pourtant opposer, la chanson francophone et le rock anglo-saxon. Aussi à l’aise avec Brel que sur un Mott The Hopple, Arno démontre en effet l’étendue de sa classe, bien loin d’un Pagny massacrant Les bourgeois ou Vesoul. Pas une minute à perdre donc, Covers Cocktail doit trôner sur la platine. Et quand le disque parviendra à son terme, un seul geste vous démangera : vous remettrez le cover.
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