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par Milner le 14 mars 2006
paru en 1969 (Columbia Pictures)
« L’époque où des films minables et pas chers marchaient auprès des gosses est terminée », écrivit le critique Richard Staehling en 1969, et il avait raison. Avec sa spontanéité et sa sincérité fermement ancrées dans la culture des années soixante, Easy Rider établissait une nouvelle donne dans le milieu du cinéma : le road movie. Une large place est faite aux somptueux décors que traversent nos deux amis et tout cela, relaté tel un reportage que n’oseraient pas diffuser les chaînes hertziennes, c’est à dire en évoquant un véritable mouvement de société sans avoir appris aux spectateurs à nager. Emballé par le projet, Columbia Pictures fournit une enveloppe confortable de $340,000 pour réaliser un film qui en générera plus de $50 millions. Aussi étrange que cela puisse paraître, il faut dire que Hollywood fut relativement prompte à l’époque à financer des œuvres où des personnages sans repères et sans histoires partent à l’aventure sans aucunes raisons apparentes. Idéaux dans l’air du temps, me direz-vous, oui, mais de nombreuses réflexions philosophiques savoureuses retranscrivent bien cette période trouble au tournant de la décennie.
Wyatt et Billy, interprétés par Peter Fonda et Dennis Hopper, décident de quitter Los Angeles et de traverser l’Amérique à moto. Il est vrai qu’il est aisé d’y apercevoir une métaphore de la vie et une allégorie de l’homme à la quête de son identité quand on découvre l’incompréhension qui règne dans le bar où ils se retrouvent entourés de péquenauds cinglés dans une ville du Sud. Par bien des aspects, Easy Rider dresse le portrait de la nouvelle culture à travers la culture en elle-même. En effet, quel autre film peut se targuer de posséder des références aussi explicites au LSD et à la marijuana tout en ayant en Phil Spector, génial producteur américain de chansons à succès, un dealer de cocaïne qui permet à nos deux énergumènes de financer leur séjour en Louisiane ? Un rôle éphémère de choix en prégénérique et qui s’avère pertinent puisque la coke qu’il refile est une drogue dure qui n’a pas la même connotation idéologique que la marijuana, une sorte de reflet de Spector le producteur vis-à-vis de ses collègues superviseurs d’autosuffisances musicales à son goût.
Évidemment, si on est un tantinet soit peu curieux, Easy Rider comporte de nombreux niveaux de symboliques, comme celles qui laisseraient passer Hopper pour le prophète des temps modernes après qu’on l’ait refoulé des différents hôtels et tué à bout portant. Ça vous rappelle pas l’histoire d’un homme qui vécut jadis en Galilée ? Certains ont également cru voir un rejet total des us et coutumes de Hollywood puisque pour nous changer de tous ces cow-boys sans charisme qui galopent à la conquête de l’Ouest à longueurs de westerns désintéressant autant le public qu’un fonctionnaire de la création, nos bikers préfèrent prendre le cap vers l’Est, moins dangereux et plus intéressant pour les pupilles. Mais, il est vrai que de ne pas avoir de héros dans un film pourrait être pénalisant pour un road movie. Bizarrement ici, l’identification est stimulée par l’ambiance du film plutôt que par les personnages qui ne sont pas de réels choix pertinents. Malgré cela, notons que la prestation de Nicholson en avocat débauché est absolument géniale (ses mouvements de bras au moment où le titre If You Want To Be A Bird retentit, son monologue sur les extra-terrestres, c’est quelque chose à voir au moins une fois !), d’autant plus qu’il s’agit alors de son premier "grand" rôle au cinéma... La beauté visuelle d’Easy Rider contraste suffisamment avec l’atmosphère maléfique qui régnait en Californie durant l’été 1969 pour ne pas suggérer une décadence qui aboutira par l’acte de folie meurtrière de Manson (Charles, pas Marylin qui portait encore des langes à l’époque).
A sa sortie, le magazine Time parla d’Easy Rider comme « d’un petit film qui tua le gros film ». Il est tout à fait vrai que ce dernier resta un certain temps dans un état d’hibernation de pratiquement un an qui faisait peur à voir. Par la suite, les hippies retirèrent leurs couronnes de fleurs et Hollywood produisit de nouveau les films que le public voulait voir. Si de nos jours, l’idéologie du film a bien vieilli, subsistent heureusement les titres Born To Be Wild, Ballad Of Easy Rider, The Pusher, I Wasn’t Born To Follow, The Weight, If Six Was Nine, It’s Alright Ma (I’m Only Bleeding) qui concoctent une magnifique bande originale de film. Parfois, l’excellent travail d’un réalisateur, un beau décor, un sujet d’époque et une bande-son en béton suffisent à tenir un film. Et comme le rappelait le slogan : « Live free, ride free, die free !!! »
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