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mercredi 15 avril 2015
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par Aurélien Noyer le 9 juin 2009
Paru le 20 avril 2009 (Rough Trade/Naïve)
Depuis que Adam Green a tourné le dos au mouvement avec son excellent deuxième album Friends Of Mine, la noble charge de pape de l’anti-folk avait été occupé par son successeur le plus légitime, Jeffrey Lewis. Adoubée par la Grande Prêtresse Kimya Dawson elle-même, Lewis n’a depuis pas démérité à coups d’albums au son approximatif et aux lyrics verbeuses et witty à souhait, le tout culminant avec ce paroxysme du décalage artistique qu’est 12 Crass Songs, concept-album crétin où Jeffrey reprenait des titres de l’inécoutable combo anarcho-punk Crass avec son je-m’en-foutisme habituel.
Aussi, il y a fort à parier que la découverte de ce nouvel album a donné des sueurs froides au fan intégriste de l’anti-folkeux irréductible. "Jeffrey Lewis & The Junkyard"... Jeff se serait-il payé un groupe de requins ? Aurait-il viré sa cuti ? Serait-il passé à l’ennemi ? La présence de ce groupe pourrait-elle changer radicalement sa musique ? L’anti-folk vivrait-il le même schisme que son illustre ancêtre contestataire lors du passage de Dylan à l’électrique ?
L’écoute du premier morceau et de ses influences garage pourrait le laisser croire, mais notre ami le fan pourrait déjà se rassurer. Lorsque Jeffrey Lewis se met au garage rock, il lorgne plus du côté de J Mascis [1] (venu d’ailleurs poser ses merveilleux solos sur Good Old Pig, Gone To Avalon) que de Jay Reatard, preuve supplémentaire, si besoin était, que notre chanteur a bon goût.
De toute façon, si notre ami le fan n’aime pas Dinosaur Jr., il pourra toujours zapper la première piste et constater que Jeffrey Lewis n’a vraiment pas changé et que la seule conséquence au fait d’avoir gratifié son backing-band habituel d’un nom officiel est de bénéficier d’une production de qualité substantiellement meilleure. Cela dit, ni les arrangements bordéliques ni sa tendance extrême à complexifier ses lyrics ne font défaut à ce nouvel album et Whistle Past The Graveyard, To Be Objectified et Good Old Pig, Gone To Avalon sont là pour en témoigner.
Par contre, l’évolution notable qu’apporte cet album, c’est que Jeffrey Lewis parvient pour la première fois à lier l’aridité distanciée de l’anti-folk à une approche presque pop du song-writing et il n’est pas impossible qu’après une seule écoute de l’album, des mélodies comme Roll Bus Roll ou It’s Not Impossible vous trottent dans la tête pendant quelques jours. Néanmoins, on pourra également trouver sur ’Em Are I l’étrangeté The Upside-Down Cross, composée en grande partie par Jack, le frangin et bassiste. Étrange titre ressemblant à du Kasabian sous calmant (pour le riff et le son de basse) accompagné d’une trompette mélancolique, la chanson tranche radicalement avec tout le reste de la discographie de Jeffrey Lewis et on reste dubitatif quant à savoir si c’était une bonne décision de l’intégrer à l’album.
Si on fait donc abstraction de cette curieuse singularité, il se pourrait bien que ’Em Are I nous montre un musicien en passe de réaliser un exploit : évoluer à partir d’un sous-genre particulièrement ingrat comme l’anti-folk et développer une réelle musicalité sans pour autant tourner le dos à ses origines, voire sans même en oublier en route les particularités inhérentes. L’avenir nous dira si Jeffrey Lewis
réussira dans cette voie. Mais même dans le cas contraire, il nous restera ’Em Are I et son hybride anti-folk/pop (anti-polk ?) en gestation. C’est déjà pas si mal...
[1] Guitariste et leader de Dinosaur Jr.
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