Incontournables
G N' R Lies

G N’ R Lies

Guns N’ Roses

par Thibault le 2 juin 2009

paru le 29 novembre 1988 (Geffen)

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Notre esprit est doté d’impressionnantes capacités de réaction. Parfois, il suffit de prononcer quelques mots pour qu’un voyant s’illumine dans nos méninges, et aussitôt celles-ci s’activent et se mettent à associer, en un dixième de seconde, sons, images et idées aux quelques signaux qui leur sont parvenus. Dans le cas des Guns N’ Roses, c’est le feu d’artifice, l’éruption instantanée, le carnaval visuel, sonore et olfactif ; leur seule évocation et hop ! On imagine ce théâtre de grand guignol totalement outrancier ; Slash couverts de bagouzes et de verroterie, torse nu, en haut de forme, la Gibson Les Paul au niveau des chevilles ; Axl Rose, braillant et arborant l’un des ensembles les plus croquignolants qui puisse être, bandana, casquette d’officier militaire, short, kilt… Tous permanentés, imbibés, prenants des poses toujours plus appuyées et grotesques. En un mot : beurk.

L’une des plus grosses boursouflures de l’histoire du rock, voici ce que sont les Guns N’ Roses. Un truc au dessus de tout, qui défie l’entendement en matière de connerie absolue, de beauferie et machisme redneck, et de drogues consommées. Un abcès que l’on aimerait pouvoir crever d’une pichenette, afin de ne penser qu’à la musique. Après tout, on peut parfaitement être fan des Stones tout en se moquant éperdument des frasques backstage de Jagger et Richards.

Mais dans le cas des Guns N’ Roses, l’affaire est plus délicate. Ces mecs sont les Tony Montana du rock, ni plus, ni moins. Ils ont mené toute leur carrière sur une dynamique du scandale et de la mégalo, se sont vautrés comme on le fait rarement dans les travers du show business, leur aventure a tourné à la parano-coke de façon plus que lamentable, et, pire que tout, ce foutoir monstre suinte à tous les étages de leur musique.

A peine a-t-on réussi à prendre sa respiration et à plonger dans leurs œuvres que tous leurs défauts ressurgissent tel un diable à ressort jaillit hors de sa boite. Si vous avez le malheur de parler anglais, vous goûterez à tout le sel de leurs paroles, qui oscillent pour la majorité entre « viens là chérie, je vais te mettre minable » et « enculés de flics, laissez moi me mettre minable ». Sans parler de leurs clips et pochettes d’albums ! Dans celui de November Rain, Slash joue son solo héroïco-pouet pouet dans le désert, jambes écartées, cheveux aux vents, la grande classe…

Quant à l’artwork, après celui d’Appetite for Destruction, où un robot junkie s’apprête à violer une groupie affalée sur le trottoir, celui de G N’ R Lies exhibe leurs sales trognes décadentes et avachies au milieu de tabloïds, rajoutant une louche dans la veine « poésie élégiaque » avec ce vers écrit bien en gras, qui saute aux yeux et se passe de toute exégèse : « she took my sperm without my permission ». Décourageant, non ?

En fait, les Guns N’ Roses sont l’une des dernières limites de séparation entre le fond et la forme. Ils ont poussé l’outrance dans leur attitude dans des proportions déraisonnables, et celle-ci gangrène une partie de leur œuvre, mais sans toutefois la vampiriser totalement. Il reste une petite marge que l’amateur de rock doit saisir s’il veut pouvoir apprécier à sa juste valeur la musique de ce groupe. Une marge d’autant plus étroite qu’elle s’est rétrécie au fil du parcours des Guns, ceux-ci sautant à pieds joints dans les querelles entre membres et les caprices de parvenus, tout ceci déteignant sur la musique du groupe.

Du coup l’amateur ne s’aventure généralement que vers le déjà marécageux Appetite For Destruction (ah, le refrain de Paradise City à reprendre tous en chœurs en imaginant Axl Rose agiter en cadence un pied de micro au dessus de son bandana), et n’ose que très rarement tenter le défrichage à la machette de la jungle Use Your Illusion I & II, double album virant à la pièce montée de trente deux étages, qui n’est pas sans évoquer le gâteau de mariage dans Madame Bovary.

Entre ce premier coup de maître et ce brontosaure à deux têtes, un disque est incroyablement passé sous silence, et peut être l’occasion de se réconcilier avec la musique des Guns : G N’ R Lies. Un disque étrange d’ailleurs, puisqu’il s’agit de la compilation de quatre titres antérieurs à Appetite for Destruction et de quatre titres postérieurs à celui-ci. La première moitié étant l’EP Live Like ?!*@ A Suicide, au tirage épuisé, qui n’a de live que le nom puisqu’il s’agit en réalité de morceaux studios sur lesquels ont été rajoutés des clameurs de public, comme les rires préenregistrés pour les sitcoms à la con. La seconde moitié est elle constituée de quatre titres acoustiques.

Cet ensemble disparate et mal foutu mérite t-il le rang de « classique » ? Oui, car même si imparfait formellement et musicalement, G N’ R Lies reste le deuxième meilleur album des Guns, après le fantastique Appetite For Destruction, et mieux que cela, il s’agit tout simplement d’un excellent disque de rock. Un disque peut-être éclaté en deux parties, mais qui garde néanmoins une idée directrice, qui est celle qui sous-tend toute la musique des Guns première période ; un retour au rock seventies, une recherche musicale qui va rompre les os de la décennie précédente pour en tirer la substantifique moelle et la présenter sous une nouvelle forme explosive à un public médusé.

« Ah ouais, des gros beaufs imbibés, mais réac’ jusque dans leur musique, en plus ! » hurleront certains de mes lecteurs. Oui, on ne va pas se le cacher, les Guns N’ Roses étaient foncièrement réactionnaires, ils ne cherchaient nullement à inventer un nouveau courant, mais voulaient reprendre à leur compte le hard 70’s, le punk et le rock endiablé des Stones. Rien d’étonnant si les trois grandes sources d’inspiration de Slash, Izzy, Axl, Duff et Steven sont Aerosmith, les New York Dolls et, bien sur, les Rolling Stones.

Mais comme ils sont doués et talentueux, les Guns ne se contentent pas de pomper sans vergogne leurs aînés et de dissimuler la camelote sous quelques gimmicks en espérant ainsi faire péter le tiroir caisse et ramasser moult groupies en pâmoison. Non, tout comme les Stones pompaient les bluesmen et Aerosmith les Yardbirds pour rejouer leur musique à leur sauce, les Guns s’inspirent de leurs idoles non pas pour en reproduire les tics et le son, mais pour en capter les idées et les réutiliser selon leurs goûts.


Les quatre premiers titres montrent les Guns à l’œuvre dans cet exercice. Évidemment, jeunesse oblige, les morceaux sont encore un peu trop empreints de leurs influences, d’ailleurs deux chansons, Nice Boys et Mama Kin, sont des reprises de Rose Tatoo et d’Aerosmith (on n’y échappe pas), que le groupe joue à sa manière tout en ne s’écartant pas à des kilomètres de l’originale. Qu’est-ce que la manière du groupe ? Il s’agit de la rencontre du hard rock et du punk. Les Guns conservent le schéma et le placement instrumental des standards hard rock ; ils construisent leurs chansons autour d’accords durcis, leurs morceaux ne sont pas des suites de riffs complexes à tiroir, mais bien des chansons musclées, qui sont pensées dans un effort d’harmoniques, de refrains, couplets, ponts, etc.

Le punk vient jouer son rôle dans la forme des riffs et la vitesse du morceau. Slash et Izzy reprennent le touché des New York Dolls et le transposent dans leurs titres avec une énergie omniprésente, faisant ainsi d’une chanson comme Reckless Life une véritable balle dont la réussite doit autant à la teneur des riffs qu’à sa vitesse d’exécution. C’est brut, dense, costaud, véloce et jouissif. Même si le son n’est pas encore tout à fait dégrossi (on est assez loin de la distorsion chaude, juteuse et grésillante qui fera des ravages sur Appetite For Destruction), ces quatre premiers titres sont tous de très bonne tenue et montrent quelques finesses que les Guns creuseront par la suite, comme cette reprise de basse jouissive à la fin de Nice Boys, qui annonce l’intro du missile It’s So Easy.

Mais aussi bonnes que sont ces premières décharges électriques, elles ne sont rien par rapport à ce qui suit. La face B livre sur un plateau quatre titres acoustiques de très haute volée. Oh, je vois que certains d’entre vous tiquent, because « Guns N’ Roses + acoustique = ballade hard FM = Sweet Child O’Mine = November Rain = putain de chanson de mariage ». Vous voulez une bonne nouvelle ? Rien de tout cela ici. Pas de solo à faire chialer mamie ni de prétentions orchestrales malvenues. Ces quatre morceaux sont un fantastique coup de pied au cul de toute la mélasse post Hotel California. C’est ici que l’influence des Rolling Stones se fait le plus sentir ; les Guns réussissent à reconstituer le tour de force qu’avaient fait Mick & Keith : composer autant des ballades subtiles (Wild Horses) que des morceaux acoustiques énergiques, avec ces fameux refrains en chœurs à reprendre à tue tête (You Cant Always Get What You Want).

Premier uppercut décoché par les Guns : Patience. Slash et Izzy sont tout en arpèges entremêlés, Axl fragile sur le couplet et plus assuré sur le refrain, quelques accords plaqués, c’est beau comme un My Sweet Virginia des grands jours. Cerise sur le gâteau, un solo acoustique d’une simplicité à tomber par terre, avant un final majestueux, tout en montée de voix et de chœurs. Suivent Used To Love Her et You’re Crazy (déjà présent sur Appetite For Destruction dans une version électrique), deux titres plus énergiques. Ambiance glandouille à L.A., Slash et Izzy resplendissent aux guitares électro-acoustiques, glissant à chaque instant des arpèges et accords entrecroisés, des solos où chaque note est égrenée une par une. A la basse et à la batterie Duff et Steven ne sont pas en reste et distribuent quelques éclats de grave, des ricochets de percussions et de cymbales, c’est la fête et c’est bien joué, preuve que fun et ambition peuvent faire bon ménage.

Autant de bonnes raisons pour reconsidérer le cas Guns N’ Roses et leur reconnaître un horizon musical nettement plus large qu’il n’y parait au premier abord. Une chanson dans la même veine que les deux précédentes, Cornshucker, est écarté du montage final de l’album, elle n’est pas même achevée, dommage car la version pirate qui traîne ici et là laisse entrevoir un vrai potentiel. Motif de l’absence : paroles à caractères pornographiques. Décidément, il y a quelque chose qui cloche chez les censeurs, qui se sont jetés avec inquiétude sur Cornshucker avant même sa parution (qui du coup n’a jamais eu lieu) mais qui n’ont pas tiqué sur le cas One in a Million, pourtant autrement plus problématique que les histoires de cul chantées par Duff sur l’autre chanson. Si un jour quelqu’un écrit un ouvrage intitulé « Le redneck ricain expliquée à ma fille », il faudra qu’il pense à glisser quelques vers de One in a Million dans le préambule. Jugez plutôt :

Police and niggers
That’s right
Get out of my way
Don’t need to buy none of your
Goldchains today

Et comme Axl est en forme il ne s’arrête pas en si bon chemin…

Immigrants and faggots
They make no sense to me
They come to our country
And think they’ll do as they please
Like start some mini Iran
Or spread some fucking disease
They talk so many goddamn ways
It’s all greek to me

Le PRMC constate avec satisfaction l’absence de propos pas très catholiques et n’empêche pas la chanson de figurer sur l’album. Résultat : un foutoir monstre, où Axl, qui a toute la communauté gay et l’opinion publique sur le dos tente plus ou moins de s’excuser, de dire que, non, c’est pas tout à fait ça, qu’il comprend pas les homosexuels mais que c’est pas grave hein, que ceci, que cela… On aimerait pouvoir oublier tout ce pitoyable merdier rapidement, mais le souci est que One in a Million est tout simplement l’une des cinq ou six meilleures chansons des Guns N’ Roses, un truc incroyable, une merveille de construction et de mélodie. Quand on vous parlait de frontière fluctuante entre le fond et la forme…

One in a Million est une tuerie sur le plan instrumental et vocal ; une guitare acoustique et une autre électrique mènent le bal, l’une plaque ses accords de façon déchaînée avant de se lancer dans un solo hallucinant, l’autre ronronne, rugit par moments, les deux forment une dynamique extraordinaire, des boucles phénoménales au groove impeccable, soutenues par des percussions très Sympathy for the Devil. Axl y chante parfaitement, naviguant à l’idéal entre grave et aigu. Tout est limpide. Et pourtant, ce texte plus balourd qu’une bourde de l’oncle borgne nous revient toujours dans la face. Rien n’y fait, ça fait tâche, quand même.

Ainsi One in a Million est un drôle de paradoxe. Porte dérobée idéale pour celui qui veut découvrir une face monumentale de la musique des Guns sous un autre jour, la chanson incarne aussi tout ce qu’il y a de plus rebutant dans le groupe. Elle demande un effort particulier pour réussir à l’apprécier totalement, mais une fois passée cette épreuve du feu, nul doute que se frotter au reste de l’œuvre des Guns N’ Roses ne posera pas plus de problème que de décoller un vieux chewing-gum d’une semelle.



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Tracklisting :
 
1. Reckless Life (3’20")
2. Nice Boys (3’03")
3. Move to the City (3’42")
4. Mama Kin (3’57")
5. Patience (5’56")
6. Used to Love Her (3’13")
7. You’re Crazy (4’10")
8. One in a Million (6’10")
 
Durée totale : 33’31"