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J.J Burnel

J.J Burnel

par Le Daim le 14 octobre 2008

Cet article a été publié pour la première fois sur Inside en mai 2007.

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Les Clash et les Pistols sont morts... À l’heure où la jeunesse européenne se la joue nostalgique, guitare en bandoulière, est-il besoin de rappeler que les Stranglers, eux, sont toujours là ? Interview de J.J Burnel : le plus français des punks anglais, et le plus anglais des punks français ?

Je ne vais pas vous accabler avec le récit interminable des péripéties qui m’ont amené à interviewer Jean-Jacques Burnel, celui dont la basse atomique explose les fachistes. Mais quand même, juste pour la bonne bouche, sachez que j’avais juste demandé une autorisation de prendre des photos à l’occasion du concert des Etrangleurs à Toul, pas loin de chez moi. Trop fastoche pour Gourou Arnold ! Le Boss ajouta donc à son courrier une requête d’interview... Qui fut acceptée par EMI. Lundi 2 avril, 23h, veille du concert : Arnold me met au courant. Je frôle l’infarctus. Mardi 3 avril, 12h30 : le manager des Stranglers m’appele pour me donner rendez-vous dans un hôtel de Nancy une heure plus tard. Je survis de justesse à un autre infarctus, ayant une bonne centaine de kilomètres à effectuer pour parvenir au lieu-dit. 13h : ma voiture fait un drôle de bruit dû à la rupture d’un piston à l’arrière. Troisième flip. 13h45 : Arrivé à Nancy, je constate que je n’ai plus de freins et manque de m’écraser contre un poteau en voulant me garer. 14h : l’attachée de presse d’EMI m’appele et m’explique que l’interview se fera plutôt par téléphone. Nouvelles palpitations... Je bricole rapidement un système avec mon magnéto pour pouvoir enregistrer la conversation. Elle se passera bien, tout comme le retour à la maison malgré de sérieuses frayeurs dues à l’épuisement de mon liquide de frein. J’aurai quand même frôlé la mort plusieurs fois au cours de cette journée, vérifiant ainsi l’hypothèse selon laquelle les Stranglers portent malheur aux journalistes. C’est que je dois en être un, de journaliste. Ça me fait une belle jambe, tiens...

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Une basse atomique qui explose les fachistes
© Le Daim

INSIDE ROCK : Salut Jean-Jacques, et merci d’accorder cette interview à notre modeste webzine. Comment se passe la tournée ?

J.J. Burnel : Super bien jusqu’à présent. Nous sommes passés par l’Islande, la Belgique, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie. Différents pays, différents publics.

IR : Le public français a-t-il changé au fil des années, ou est-ce toujours un peu le même ?

J.J : Il s’est renouvelé. Beaucoup de gens ont vieillis avec nous et ils sont toujours là. Mais depuis trois ou quatre ans, il y a une nouvelle génération de kids qui nous suivent, notamment en Grande-Bretagne. Notre dernier album (Suite XVI) est celui qui a été le mieux reçu dans toute l’histoire des Stranglers. Je suis curieux de voir comment sera le public aux États-Unis.

IR : Ça te dérange un petit retour dans le passé ? En 1977. Cette année-là, vous signez pour la première fois chez United Artists. À cette époque, les majors se battaient pour récupérer tous les groupes de punk bons ou mauvais...

J.J : En fait, on avait été jusqu’alors refusé par vingt-cinq boîtes... Un gars est venu nous voir jouer un soir dans un pub... Ce type-là était un collectionneur de disques... (sarcastique) À l’époque, il y avait encore des gens comme ça, des passionnés. Aujourd’hui dans les maisons de disque, il n’y a plus que des comptables, si l’investissement n’est pas rentabilisé tout de suite tu es mis à la porte. Avant, on laissait le temps aux groupes de devenir rentables. Ça c’est passé comme ça avec U2 et d’autres... À présent, c’est terminé : les majors n’investissent plus dans l’art mais dans...

IR : La hype ?

J.J : Oui.

BS : La hype est un phénomène cyclique en Grande-Bretagne, ça a toujours existé non ?

J.J : Oui, un peu. Mais en 77, ce qui se passait échappait aux maisons de disques. C’était plus fort. Quelque chose bougeait dans la rue, dans les pubs, les petites salles. Les gens faisaient tout eux-mêmes, dans un esprit d’indépendance. Après, bien sûr, c’est devenu une question d’argent et de pouvoir et ça a été récupéré.

IR : Aujourd’hui en France, on a l’impression qu’il se passe la même chose. Des tas de groupes de gamins se réclamant du punk émergent sur Paris, c’est devenu une hystérie, on se rue dans les petites salles pour les signer. Tu en as entendu parler ?

J.J : J’étais il y a un mois en studio avec un jeune groupe que je produis. J’écoute un morceau, puis deux et je dis : « Là, on pourrait être en 77 »... Ils étaient très fiers, mais « attendez, vous devriez avoir honte ! » (rires). En 77, j’écoutais moi aussi une musique datant de 30 ans, et il y avait une énorme différence ! Mais entre 77 et maintenant, pas vraiment. Le rock ne se renouvelle pas tellement.

IR : C’est peut-être un peu le propre du rock de ne pas se renouveler !

J.J : Peut-être, mais après 30 ans, il devrait y avoir une évolution ! C’est pour ça aussi que quand tu écoutes la musique des Stranglers elle ne semble pas si vieille.

IR : N’est-ce pas aussi parce que vous avez su vous-même faire preuve de renouvelement ? Votre musique aborde sans cesse de nouveaux univers sonores depuis 30 ans.

J.J : C’est certain, mais les groupes actuels ont-ils la possibilité d’évoluer de la même façon aujourd’hui ?

IR : Ils font souvent un album puis disparaissent, par la force des choses.

J.J : Oui.

IR : Vous êtes sur la route et défendez votre dernier album Suite XVI. Il y a aussi une anthologie et une compilation, Golden Brown, qui viennent de sortir.

J.J : Hein ? Quoi ? Quand ??

IR : Heu tu n’es pas au courant, sérieusement ?

J.J : Non ! Là tu m’apprends quelque chose ! Moi je suis seulement l’artiste. Une fois que la maison de disques a les bandes elle en fait ce qu’elle en veut sans même avoir besoin de me demander mon avis... Salopards ! (rires) Une anthologie... Ça ne m’intéresse pas du tout. Seul le futur m’intéresse. Je ne veux pas regarder en arrière.

IR : Trente ans après vos débuts, on continue de vous coller l’étiquette « punk ». Pourtant, votre musique est riche d’influences de toutes sortes et vos textes sont engagés et subtils. Finalement, The Stranglers est-il un groupe punk selon toi ?

J.J : Alors peut-être faut-il redéfinir le punk ? Je me sentais punk, cette énergie m’influençait. Je me souviens de Joe Strummer qui jouait à l’époque dans un groupe de rythm’n’blues, les 101’ers, il me pleurait sur l’épaule : « Jay-Jay, je veux avoir un groupe comme toi... Une bande  ». On avait trop bu, c’était le soir où on a fait la première partie de Patti Smith... On a vécu tout ça, tu sais... Et aujourd’hui, on est toujours un peu underground malgré tout. Ce soir, on va jouer devant quoi ? 500-600 personnes. Je suis assez fier de ça, mais je défie n’importe quel groupe de tenir aussi longtemps en expérimentant autant que nous.

IR : Il y a 25 ans, vous ligotiez sans ménagement un jeune journaliste à un pylône de la tour Eiffel. Aujourd’hui, ce monsieur est rédacteur en chef d’un des magazines rock parmi les plus lus et respectés de France... Comment ça va aujourd’hui avec Philippe Manœuvre ?

J.J : Ben écoute, il semble qu’on existe de nouveau pour eux ! Pendant un temps, sa démarche envers nous était assez... stalinienne. Ça a duré 20 ans sans une critique d’album. Et puis suite à une émission chez Ardisson où on a mentionné Manœuvre et Rock & Folk, il y a eu dans le magazine un article sur Norfolk Coast... Mais je crois qu’ils nous ont quand même un peu cassé (rires).

IR : Le temps efface tout, comme on dit.

J.J : 25 ans après, oui, j’espère bien ! (rires) Mais c’est vrai qu’on a fait des grosses bêtises. Il y a eu le concert du Zénith à Paris où on a fait croire au public qu’on avait joué tous les morceaux en play-back. Le concert avait été enregistré et en guise de rappel on a fait semblant de jouer sur la bande : « Regardez ! On vous a bien eu ! ». C’était juste une mauvaise blague mais les gens ont pris ça au premier degré. Une autre fois à Lyon, un jeune gars nous a craché dessus, alors on est descendu dans la foule le chercher, on l’a ramené sur scène, on l’a déculotté et on lui a mis une banane dans son cul. Ça a été très mal pris, on nous a traité de sales fachos, etc...

IR : Quand j’étais plus jeune, ce qui me plaisait chez The Stranglers c’était surtout cette rage, comme une menace, un truc prêt à exploser. Ça venait essentiellement de ton son de basse, peut-être l’un des plus brutaux de toute l’histoire du rock. On devinait aussi cette colère dans tes textes. Est-ce que la basse, l’écriture et peut-être le karaté que tu pratiques étaient ou sont encore un moyen pour toi de canaliser cette rage ?

J.J : Oui, absolument. Le karaté surtout m’a complètement transformé. Il en faut beaucoup pour me provoquer maintenant. Heureusement d’ailleurs pour mes proches et pour moi aussi. Tu sais j’étais immigrant en Angleterre. Mais immigrant français, à une époque où il y avait très peu de noirs, d’hindous, d’arabes etc... L’Angleterre de l’après-guerre était encore très blanche. Ce qui me différenciait des autres c’est que mes parents étaient français. Et les français et les anglais étaient comme chat et chien à l’époque. Je me faisais souvent tabasser, alors j’étais tout le temps en colère. Et puis j’ai eu la chance de réussir des concours pour entrer dans une école royale de vieille tradition, où on doit dire « merci » quand on se fait battre. Les élèves suivaient un entraînement militaire, ils pouvaient devenir officiers. Aujourd’hui, un hindou ou un musulman pourrait accéder à de tels grades dans l’armée britannique mais à l’époque ça n’était pas possible pour les immigrés. Bien que citoyen britannique, je n’avais aucun droit et je devais donc suivre cet entraînement sans vrai but. Simplement parce que mes parents étaient français. J’étais un « frog ». C’est pourquoi je peux vachement comprendre les problèmes des immigrés d’aujourd’hui. Tu vois, si on te casse la gueule tous les jours au bout d’un moment ça ne te fait plus rien, parce que tu vis avec cette violence... Moi je m’en foutais. Avant de m’attraper il aurait fallu me tuer. Et les gens ont peur de cela.

IR : Toi, qu’est-ce qui te fout en pêtard aujourd’hui en Angleterre et dans le monde ?

J.J : (Rires) On est en 2007, on a jamais eu de tels moyens d’accéder à l’information et de la diffuser. Pourtant, de toutes les générations c’est celle-ci la plus ignorante. On a développé une telle insensibilité, un tel égoïsme, une telle avidité, un tel matérialisme... Un tel manque de respect les uns envers les autres. On manipule les gens comme du bétail. Le monde est devenu cynique. On est vraiment descendus très bas, tu sais...

IR : Tu parlais d’Ardisson, je vais m’en inspirer pour la question suivante... Jean-Jacques, es-tu prêt pour une interview « No More Heroes » ?

J.J : (rires) Hein ? C’est quoi ça ?

IR : Je vais te citer des noms, et tu devras me dire ce qu’ils t’évoquent.

J.J : (rires) Okay, on peut essayer !

IR : On commence facile... George W. Bush.

J.J : (il pouffe et ricane) Hm... L’empire romain. Néron.

IR : Tony Blair ?

J.J : Je suis d’accord avec les français quand ils disent que c’est le caniche de Bush (nouveau ricanement).

IR : Poutine ?

J.J : Ha ! Je ne crois pas qu’on va voir la démocratie en Russie avant très longtemps !

IR : Jacques Chirac ?

J.J : Est-ce que c’est vrai qu’en France on l’appelle « 20 minutes douche inclue » ?

IR : (hilare) Ha bon ? Si c’est vrai je ne savais pas !! Ouh là là !!!

J.J : Il est quand même moins machiavélique que Mitterrand. Mitterrand, c’était l’ultime Richelieu. Lui et Chirac sont de bonnes réclames pour le retour de la monarchie constitutionnelle, tu ne trouves pas ?

IR : Changement complet de registre : Bono ?

J.J : (Réfléchit longuement) Pfff... J’ai rien à en dire. Prétention totale. Il a fait deux chansons dans sa carrière...

IR : Et son action humanitaire ?

J.J : Il a fait quoi ?

IR : Il est allé trouver des chefs d’Etats pour plaider en faveur d’une annulation de la dette des pays du tiers-monde.

J.J : Le problème de l’Afrique, c’est que c’était mieux quand c’était des colonies. Regarde le Zimbabwe... Ces dettes sont venues après le changement de pouvoir là-bas... Aujourd’hui même nos présidents soutiennent le régime atroce de Mugabe. Tu sais qu’à une époque le Zimbabwe pouvait nourrir presque toute l’Afrique ? C’était avant l’arrivée au pouvoir des tribus menées par Mugabe. Le problème de l’Afrique n’est pas d’ordre financier mais politique. Les Africains ont d’énormes richesses mais elles sont dilapidées et ingérées par les dictatures. C’est la corruption totale. Tout le monde a peur d’aborder le sujet... Mais la démocratie européenne telle qu’on la connaît, fondée sur la chrétienté, a mis 2000 ans à s’installer. La colonisation a voulu l’imposer d’un coup à des peuples qui n’avaient pas du tout eu la même évolution. Alors quand les Américains disent qu’ils veulent imposer la démocratie en Irak... On sait d’avance que c’est foutu.

IR : Un dernier nom pour conclure : Jean-Jacques Burnel ?

J.J : Oh... Hehe... Le plus français des anglais et le plus anglais des français !

IR : Tu viens d’en apporter une fois de plus la preuve. Merci et bon concert !



Vos commentaires

  • Le 12 janvier 2013 à 00:39, par Philippe Gautier En réponse à : J.J Burnel

    Raaah ! Bordel mon plus grand regret sera de n’être pas pote avec ce mec !! Je l’adore ! Bassiste sauvage ,qui a eu la chance de vivre son rêve dans LE pays ou il fallait être pour s’ affirmer avec la music ...L’ANGLETERRE ! Cette boite de toffee géante ou l’homme de la rue, tel un virus , a inondé le monde de mélodies tant harmonieuses que dissonantes ,mais oh combien indispensable pour nous aider à vivre dans ce asile de dingues qu’est devenue la planète . Merci a lui , merci aux stranglers et merci à l’Angleterre !!! Un frog parisien immigré à nice ...

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