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mercredi 15 avril 2015
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par Psychedd le 19 septembre 2006
paru en juin 1971 (Philips)
On ne le dira jamais assez, mais à sa manière, Magma est un groupe de l’extrême. Extrême dans sa musicalité, extrême dans sa haine de la Terre, extrême dans son rejet des musiques actuelles que sont le rock ou la pop, extrême dans sa recherche d’absolu et de beauté. Car ça non plus, on ne le dira jamais assez : Magma ne recherche que la libération de l’âme, la note suprême, la perfection, quitte à passer par des démonstrations extraordinaires de technique, de violence et de puissance. Dans le fond, tout n’est que tralala et grandiloquence mais il faut ça pour faire passer le message, hors de question de faire quelque chose qui ronronne tranquillement, hors de question que l’esprit fasse autre chose tandis que résonne le martèlement diabolique de Christian Vander et que retentissent les cuivres de la colère.
Car de la colère, ils en ont toujours autant en eux. Après la sortie de Kobaïa dans l’incompréhension et l’indifférence générale, les membres du groupe ne sont toujours pas riches et doivent faire quelques petits boulots pour survivre. Ainsi, avec Francis Moze, Faton, Claude Engel et Teddy Lasry, Vander monte un groupe appelé Transition afin d’assurer les premières parties de Deep Purple de passage par la capitale. Toujours fidèles à eux-mêmes, ils choisissent un répertoire jazz, forcément jazz. Ce qui n’est pas forcément au goût des spectateurs présents pour entendre du rock bien lourd et voir un spectacle que nos amis kobaïens trouvent particulièrement drôle : Ritchie Blackmore qui boit du coca d’une main tout en faisant un solo de l’autre, c’est tellement hilarant qu’ils décident de faire encore plus fort. Le lendemain soir, le guitariste des Transition exécute ses parties solos tout en picolant du vin au goulot, Vander joue en 3/3, plus vite, de plus en plus vite et tout ça sans montrer aucune difficulté. Le point d’orgue de cette gigantesque farce se produit à la fin de leur set, quand, approchant du public pour saluer, les petits comiques jettent navets et carottes sur les pauvres gars médusés des premiers rangs. Il semblerait que les membres de Deep Purple aient moyennement apprécié...
Après ce pied de nez géant à ce rock si vulgaire et si insignifiant pour eux, il est temps de se mettre à bosser sérieusement pour Magma. Les premières répétitions commencent et vont être marquées par le départ de Claude Engel, le guitariste, ce qui va profondément changer les compositions à venir. La guitare qui disparaît, c’est un carcan qui disparaît avec. Maintenant, il est clairement dit que Magma n’est pas un groupe qui joue de la musique pour chevelus hirsutes (quoique...). Après Engel, c’est au tour de Richard Raux et Paco Charlery de quitter le navire (et la section des cuivres). Teddy Lasry va alors s’impliquer corps et âme : à partir de ce moment, il s’occupe des petits nouveaux (Jeff Seffer à la clarinette basse et au saxophone et Louis Toesca à la trompette), se charge de tous les arrangements et compose même un morceau pour le disque.
Vander, lui, écrit ce qui peut être vu comme la pièce maîtresse du disque : une longue suite de presque 22 minutes, annonciatrice du tournant que prendra le groupe avec ses prochains albums. Le batteur halluciné est carrément crédité à « la batterie de combat », ce qui il faut bien le dire est assez spécial ! On embauche même Louis Sarkissian dans le rôle de « régisseur stratégique ». Des allusions franchement marquées à la guerre sans relâche contre la médiocrité, qui se ressentent dans une musique encore plus incisive, voire martiale que celle que l’on pouvait entendre dans le premier album.
Tout n’est plus que rythme, tension et montée en puissance surtout pour Rïah Sahïltaahk. Ce premier morceau s’ouvre un peu à la manière de Kobaïa, avec un rythme presque funky et dansant. Le calme avant la tempête. Autant le premier effort studio contenait quelques touches d’espoir (on peut sauver ceux qui l’acceptent), autant 1001° Centigrade n’est plus que haine et visions de destruction... Il suffit de lire le poème écrit par Vander au recto de la pochette pour comprendre :
« Terre... Mange ton cœur, bois ton sang, brûle ton âmeArbre flétri que déchirent les lames du soleil...Tu fus ce brasier imaginaire dépourvu de passionQui se forgea son crématoire »
Amis de la gaîté et des positives vaïbrècheunes, passez votre chemin, vous ne supporteriez pas ce déchaînement de passion et de force. Cette fois-ci, le parti est franchement pris de déranger et de bousculer. Car finalement, et bien qu’il n’y ait que trois morceaux, ce disque est bien plus dur d’accès que Kobaïa tant il ne ressemble à rien de connu. Bien sûr, le jazz est encore présent, mais complexifié, durci, décomposé avant d’être recomposé dans un déluge apocalyptique de sons à vous arracher les tympans (surtout si comme moi, vous avez tendance à écouter la musique à fond et au casque !). Et ne vous attendez pas à un sursis, il est impossible de sortir indemne des visions de Vander... C’est encore une fois en cela que Magma réussi son pari le plus fort, le plus intense : toucher l’âme, qu’elle soit terrassée par la beauté sans nom de ces accords venus d’ailleurs ou qu’elle rejette en bloc tout cela, personne ne peut être indifférent. Et tandis que chaque note résonne pour faire vibrer l’auditeur de tout son être, on approche presque de la folie la plus totale, de l’explosion nerveuse, de la transe profonde. Magma maîtrise de plus en plus ces montées en puissance, cette augmentation de la tension jusqu’au point de rupture, où enfin, on peut reprendre son souffle avant de replonger dans cet univers si particulier et de s’y perdre de nouveau...
Et c’est donc en 22 minutes et une face que Zebhën Sträïn Dë Geustahh nous met à genoux, nous transforme et nous bouleverse. Vander est décidément la force vive du groupe dans son processus créatif extralucide. Mais sans un chanteur comme Klaus Blasquiz, Magma ne serait pas grand-chose. Quelle voix ! Quelle présence ! Quelle énergie ! Tout au long du disque, scandant, psalmodiant, utilisant sa voix, non comme un apport mélodique, mais comme un soutien rythmique supplémentaire, il aide à créer ces climax d’une intensité extraordinaire. Et face à cette déferlante de rythme, les cuivres apportent un plus de folie, et de légèreté (si l’on veut). La cavalerie légère face aux chars d’assaut...
Le batteur n’est pas le seul à avoir des choses à dire, et quand c’est au tour de Teddy Lasry de s’exprimer avec "Iss" Lanseï Doïa, il est hors de question de se plaindre. Bien sûr, sa composition, ainsi que celle de François Cahen (Ki Ïahl Ö Lïahk) n’est pas aussi violemment construite que ce qu’a pu faire Vander. Mais déjà plus proche du free-jazz, elle donne la possibilité de prendre des chemins moins obscurs, voire même plus expérimentaux. C’est aussi là que l’on peut entendre toute la puissance de la basse, hypnotique et ronde. Et puisque Lasry est en charge des cuivres, autant leur donner la part belle... Blasquiz offre même sa plus belle voix ultra grave, digne des plus grands hurleurs de black métal ! Et n’oublions pas le piano de Cahen, à la fois discret et essentiel, aidant à porter le morceau, à lui donner toujours plus de force...
Le pianiste et son morceau Ki Ïahl Ö Lïahk, que certains critiques ont même comparé à du Soft Machine. Mais alors, un Soft Machine encore plus barré et bien plus méchant que celui que l’on connaît. Mais toujours pas aussi méchant que le grand patron Vander, qui reste tout de même le meilleur vecteur de la puissance kobaïenne sur Terre. Pour ce dernier morceau, on peut d’ailleurs l’entendre hurler à l’arrière, toujours plus inquiétant, toujours plus dingue... Mais l’ensemble reste quand même bien calme en comparaison avec Rïah Sahïltaahk et quelque part, heureusement. Il est presque possible de s’apaiser en écoutant du Magma. Un fait quasi-surnaturel qui ne reproduira plus jamais...
Car, ce Magma 2 (puisque c’était là son nom d’origine) est à la fois une évolution et un adieu. Une évolution, puisqu’il semble que Vander se soit détaché de ses influences premières. Un adieu à cette formation, puisque peu de temps après, une partie des musiciens va une fois de plus aller voir ailleurs et se faire remplacer par des nouveaux venus, toujours plus extrêmes, toujours plus impliqués dans la zeuhl, cette musique de l’esprit et de l’infini.
Alors oui, ce disque aurait pu être un incontournable, mais son caractère un peu brouillon et pas forcément aussi cohérent que Kobaïa ne lui permet pas d’accéder à ce statut. Mais n’oublions pas que Magma n’en était qu’au début de sa longue carrière et que bien des chef-d’œuvres allaient suivre...
Ce dont ne se doutait pas la presse spécialisée de l’époque qui, dans l’ensemble, a une fois de plus préféré flipper bêtement plutôt que de chercher à comprendre quand le disque est sorti, courant juin 1971... Ce à quoi Vander répondit un jour : « Je ne cherche pas à faire peur. Les gens qui se méfient de Magma sont des gens qui ne se sentent pas bien dans leur peau. Les gens qui vivent vraiment n’ont pas peur : ils se sentent bien, ils comprennent. Ils sont heureux, sainement, ils ne se posent pas de questions. » (Actuel n° 12 - Septembre 1971).
Et pan ! Dans les dents !
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