Focus
Politiquement rock

Politiquement rock

par Milner le 29 juin 2007

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Il était temps ! Ça avait commencé avec la passionaria des ouvrières en cours de prise de conscience rock. Puis les altermondialistes, aussi radicaux et presque aussi nombreux que leurs autres petits camarades. Enfin, les gros bras qui ont décidé, du haut de leur talonnettes compensées ou de leurs escarpins colorés, que c’était bien joli de rouler les mécaniques et mépriser tout ce beau monde, mais qu’il était temps de se jeter la tête la première. Les deux pieds bien assurés sur le surf qui caracole au sommet de la vague, ils se sont immergés pendant six mois, certains pendant une année entière et ne sont ressortis qu’au moment de partir en vacances.

Qui sont-ils ? Ce sont nos douze champions musicaux, ceux dont on parlait depuis des mois, mystère et hype. France Télévisions les avait signés puis perdus au profit de chaînes privées, ils enregistraient et ont éclaté au grand jour, avec des albums aussi délirants qu’excellents. Malin comme un singe, le CSA avait imposé que ces derniers demeurent masqués le temps de leur exposition médiatique afin de ne pas privilégier un opportuniste plutôt qu’un autre. Qu’en penser ? Et comment décrire honnêtement le profil, le physique et l’assurance que dégagent ces prétendants au titre suprême sans dénigrer ni partir en propos diffamatoire ? Potion magique : puiser dans le patrimoine rock mondial et appliquer un descriptif à un groupe ou un artiste. Tonnerre de chien, c’est beaucoup plus ludique et instructif en ces périodes d’examens et de chaleur, vous ne trouvez pas ?

À ma gauche, il y a Richie Havens, vieille voix familière que l’on est ravi d’entendre à nouveau après cinq années de silence. Nouvelle coloration de la tignasse, réengagé dans la course au cocotier avec un album produit au rabais et, comme d’habitude, des interprétations très personnelles de choses déjà popularisées par quelques « intouchables » style The Clash, Gang Of Four, Bob Dylan, etc. Terriblement sincère, Havens n’a peur de rien mais bien qu’il ne l’ait pas annoncé officiellement, il se murmure que son escale à Toulouse lors de sa dernière tournée française en soutien aux salariés de l’avionneur européen Airbus soit sa dernière apparition publique.

Ensuite, c’est au tour de Dead Kennedys, combo bienveillant qui frappe les eaux glauques du réel léthargique. Une pluie dense de slogans tous bien ancrés dans la tradition marxiste s’abat aussi rapidement que le débit de paroles de Jello Biafra. Peu regardant sur les détails matériels lors de leur récente tournée française, le groupe a arpenté les halles de gare, les piquets de grève tout comme les gymnases de banlieues. Dénonçant avec force et bienveillance l’emprise capitaliste sur l’industrie du disque, le combo a pourtant affirmé qu’il ne signerait jamais sur une major bien que de sources sûres, Universal Music ait tenté d’approcher la formation. Le dernier effort studio en date sonne un brin essoufflé et aura du mal à passer la rampe. On peut lui prédire un triste retour au quotidien.

La cinquantaine bien tassée, Peter Gabriel fait enfin officiellement son apparition à la télévision en France. Oh oui, on l’a connu dans le passé à créer un label de musique du monde pour qui voulait bien transmettre l’idée qu’il y avait une autre vie en dehors de la pop music. Lui, l’ancien archange de Genesis dans les années 70 au moment de la parution d’une histoire sur Rael, Porto Rico et New York, a privilégié des sonorités world sur son dernier album et a mis en exergue la façon scandaleuse dont les compacts disques étaient fabriquées au Bangladesh. Prétextant le rejet imbécile des laborieux du bon goût, il a tenté de capitaliser sur sa réputation passée pour coller aux aspirations du nouveau millénaire mais n’a malheureusement pas trouvé son public. On parle désormais de son incarcération imminente en France suite à un vol de paquets de pop corn survenu dans le passé...

Vêtus de ridicules chemises indiennes de couleur verte qu’ils ont dû piquer à leur femme pour l’émission et de collants constellés de tournesols, ces gens-là nous montre les crocs, brandissent leurs instruments et dansent avec l’agilité d’un militant Greenpeace qui aurait suivi des cours chez Maurice Béjart. Minorés de Peter Gabriel, le seul bon auteur de cette formation british, les membres de Genesis triment comme ils peuvent désormais pour se délester de ce poids mort mais se sont malheureusement caricaturés sur leur dernier disque, manquant d’unité de son et d’écriture, en plus de luttes d’ego et d’aspirations divergentes.

La présentation se poursuit. Combo archétypal des kids ayant tâté à la magie dangereuse de l’électricité, MC5 a tenté de gratifier son auditoire de tous les trucs possibles et imaginables avec une guitare. Mégawatts d’énergie et chant rauque prétexte à de nombreuses tirades sur les dérives de ce monde. Son slogan : « Parfois, pour monter haut, il faut commencer bas. » Sauf qu’ici on baigne dans l’enduit (l’ennui ?) d’un mur de parpaings. Aucune radio n’a daigné passer l’album, rendant vite obsolète le combo pour les cerveaux déjà aseptisés des masses terrestres. MC5 s’est depuis rapidement dissous et aurait monté une entreprise de maçonnerie (la belle affaire)...

Bien que composé d’anciens membres des Sex Pistols, The Professionals a fait illusion avec un premier album « coup de poings », ensemble de reprises de titres chaleureux constamment dénaturés par une moue de dédain. Cette galette, certains l’ont achetée pensant qu’elle était le reflet exact de l’atmosphère émanant de la rue : un disque de transition, qui portait en lui tout l’acquis de deux ans de musique punk en même temps qu’il proposait une ouverture vers des horizons nouveaux. Le hic, c’est qu’une fois que le grand public s’est farci les albums de Richie Havens, Dead Kennedys et à la limite Peter Gabriel, il s’est soudain mis à y déceler une pâle caricature, un discours prétentieux qui reprend sans conviction les arguments avec la pêche en moins. Trop de facilité, en se basant bien souvent sur l’étiquette d’anciens Pistols, le disque sonne faux et n’a plus le moindre arrière-goût de spontanéité ni de vie. Je vous épargnerai le classique qui-joue-quoi-dans-le-groupe puisque moi-même serai strictement incapable de vous répondre.

Et voici que les gros bonnets pointent le bout de leur nez. Avec sa chanteuse Joconde en figure de proue, Blondie a renouvelé le concept de « groupe asexué » et réactivé le mythe de la femme libre. Car depuis les chansons acidulées de Sylvie Vartan sur le Teppaz des surboums de l’Hexagone, on n’avait quasiment plus connu ça. Outre son emballage aguicheur, le dernier album est un bric à brac invraisemblable, mélange de riffs sublimes et teigneux, de rythmiques junglesques ou négroïdes... Porté par un groupe de véritables musiciens compétents (alors que la chanteuse Debbie Harry ne sait toujours pas ce qu’est un dièse), Blondie se laissa porter au gré de deux ou trois choses à raconter, esquisse de saynètes sociales sur un discours simple, en saisissant l’air du temps et l’arrangeant à sa sauce. Un temps plébiscité par l’auditoire, le combo a failli ; la faute à un erratique concert en Charente qui aura accentué le caractère insupportable de sa chanteuse sur scène. Un brin star, le tout photogénique, fausse nonchalante, la diva s’en est allé dès les résultats prononcés, délaissant ses partenaires ainsi que son leader de compagnon Chris Stein pour mener carrière solo. Harry promet désormais d’aligner les tubes un par un et de ressortir ses gimmicks à la pelle. Un mal pour un bien ?

Dans l’axe du plateau, il est maintenant question de The Specials, un groupe pas spécialement voué au départ à l’export swinguant. Ayant découvert que le punk et la new wave se retrouvaient dans une impasse plutôt pop, ces Anglais ont accepté de sortir un peu de leur île et de voir ce qui se faisait ailleurs (Europe, Caraïbes). Ska, blue beat, sa musique recouvre un style vaguement tropical qui peut se marier avec le passé chaotique tout proche de la nouvelle vague. La rumeur a rapidement enflé devant un tel phénomène et beaucoup de formations-frères comme d’auditeurs ont humé cette brise de sympathie et se sont tout bonnement retrouvé dans cette musique simpliste (il fallait y penser !) et affranchie des codes. À mi-parcours, The Specials a multiplié des deals, laissant à ces « sympathisants » la possibilité de s’évader vers une autre compagnie, chose qu’a faite Madness en signant chez le label de Muse pour son premier album. Ce qui s’apparentait à un tour de force deviendra sans doute en fin de compte le chant du cygne d’une formation qui, à la lecture de possibles influences allemandes dans ses disques à venir, a lassé son monde et a suscité un désintérêt manifeste. Au bord de la rupture, le slogan du groupe pourrait se résumer à ces quelques mots : « On n’en a rien à foutre que les gens nous tournent le dos. On fait ce qu’on veut et quand on veut. »

Le vainqueur, c’est lui. Muse, le groupe du charismatique chanteur Matthew Bellamy. Le genre de trio qui dès le départ refuse toute étiquette facile et présente son premier album comme une étape dans une carrière qui s’annonce très longue et prometteuse. Parfois caricatural, avec un goût certain pour le clinquant et le pompier, la bande du Devon a semble-t-il montré le plus de volonté et d’ambition. La philosophie de Muse a, de plus, le mérite d’être claire : foin du passé, il faut cavaler vers le succès sans se retourner. Vivre en 2007, et merde à l’année dernière. Mais au nom de quoi demanderait-on à notre désormais champion des suffrages de ralentir sa course et sa musique pour méditer sur le fait que sans hier il n’y aurait pas d’aujourd’hui ? Son album (qui fait un tabac dans les supermarchés et dans l’univers de la finance) est un peu comme l’inévitable slow inutile qui figurait jadis sur tous les disques de hard-rock : personne ne le réclamait et toujours il s’imposait. Voilà un mystère qui peut laisser pantois... Les grandes maisons de disques ont succombé à cette Union Musicale Pompeuse et promettent d’étroites collaborations médiatiques dans le futur. Je demande à voir.

À ce stade de la description, il y a un truc marrant, tout de même : chacun dans sa vie s’est confronté à des évènements, comme ça, vous les attendez fébrilement pendant plusieurs mois et, le jour où ils se produisent, ils ne vous font pas plus envie qu’une soirée chez Michou. C’est ce qu’il s’est produit avec Billy Joel, crooner américain ressorti de la nuit, charmant et frais toujours. Son album respire le formatage RTL et a été mis à trop de sauces : rock, variétés, soft-jazz, disco, n’importe quoi. Si bien qu’à moins de se reporter aux articles de véritables journalistes consciencieux, il a été difficile pour le public de voir à qui il avait affaire. Ce disque est une formidable vache à traire. Genesis-Billy Joel, même combat ! Deux filles collées l’une à l’autre font du bouche à bouche. Piano moite joué aux balustrades kitsch d’un immeuble vieillot de la baie de Somme tandis que les fenêtres restées ouvertes laissaient échapper dans la rue les détonations lourdes des chasseurs au loin. C’est avec ce genre de coupure de presse que l’homme a tenté d’attirer les foules. Il s’est malheureusement confronté à la dure réalité de la capitale française : la piste de danse s’est vidée lentement mais sûrement.

À sa droite, Joy Division, le groupe chéri des thermes de Budapest, n’a pas du tout hésité avant de se présenter au concours. Persuadé de sa force et de sa compétence, martelant une réussite locale (un fan-club aux alentours d’un château moyenâgeux et un déchaînement de bon aloi de la moderne jeunesse), la bande à Curtis s’est montrée féroce et de plus en plus aliénée, comme investie d’une mission. Froideur dans le discours, récit épique sur la décadence du monde urbain et de ce passage au nouveau millénaire. Refusant une tournée de promotion à Denizli, le quatuor mancunien s’est laissé submergé par la vague Muse et n’a suscité que du ridicule. Une voix de toupie saccadée mal à l’aise comme le crissement d’une chevalière sur un pied de micro, un côté psychopathe flippant. En live, c’est malheureusement au petit bonheur la chance et les flatulences suraiguës de certains titres empruntés à Muse ont décontenancé les foules qui ont tôt fait de renvoyer le combo dans les cordes avant même de pouvoir réellement distribuer des coups. Humainement, on ne pouvait échapper à une certaine émotion...

La fin approche. Comme leurs compères de Muse, ceux qui n’ont jamais eu peur d’outrepasser les limites du bon goût, ce sont ces chers vieux musiciens de Pearl Jam. Un combo qui aura cristallisé à la fois de la haine et de la sympathie, à des degrés tantôt divers, tantôt similaires. Sa gaieté forcenée ne s’est embarrassée d’aucun scrupule humanitaire superflu, si l’on en juge d’après ses dernières déclarations officielles d’avril 2007. Il s’est de plus permis de placer quelques petites piques sur la gestion de carrière de Muse ; de quoi agacer les admirateurs patentés des jeunes anglais. À moins d’un coup médiatique dans les semaines à venir (la fille d’Eddie Vedder aux manettes ?), les doyens de Pearl Jam semblent avoir signé leur arrêt de mort. Un temps obnubilés par la scène allemande, les gars de Seattle s’en sont rappelés lors d’un concert à Menton où ils ont joué des titres de Kraftwerk ainsi qu’en guise de final le Nazi Rock de Serge Gainsbourg. Souvent fan ne varie pas.

Ce billet d’humeur spécial serait infirme de l’encéphale sans la présence de Noir Désir. Cette présence est d’autant plus d’actualité que Bertrand Cantat met la dernière main à l’album -coproduit par David Crosby- qui recèle plein de nourriture fraîche pour les prisons du monde entier. Ah, ces musiciens ! Une espèce en voie de disparition. C’est pourquoi ça fait chaud au cœur quand, dans le flot des Maroon 5, Linkin Park, Good Charlotte et de débiles en tout genre, apparaît tout à coup sur nos écrans télévisuels une émission comme celle-ci. Ils ont été uniques et se sont montrés dans leur meilleur élément. Un seul regret : ne pas les voir plus souvent. Ce qui m’inspire illico ce conseil amical aux programmateurs en tout genre : « Bougez un peu votre cul ! Si vous vous sentez trop lourds, laissez votre putasserie et vos habitudes au vestiaire de vos studios bien proprets et vous crèverez pas tout-à-fait idiots. » Ça vous a choqué ? Désolé, ce n’était pas le but mais faut me comprendre, j’ai désormais la nostalgie de cette émission à champions qu’on risque de ne plus revoir avant cinq longues années... En voyant la pluie et le ciel gris, je me recouche. Je vois là une excellente occasion d’oublier un peu cet article qui ne m’appartient plus désormais.



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom