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Technique

Technique

New Order

par La Pèdre le 23 mai 2012

30 janvier 1989 (Factory Records)

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« The studio was shit, but it had a pool and a cheap bar. » - Peter Hook

Cinquième opus de New Order, Technique est surtout le dernier album d’une décennie qui fut leur plus faste période. Il est enregistré au Mediterranean Studios d’Ibiza en 1988, au moment où se développait avec engouement ce que l’on appelait alors le Balearic beat, comme pour mieux jouir à la source des rythmes dansants. Rappelons qu’à cette époque la scène rave prend de plus en plus d’espace aux Royaumes-Unis et le mouvement Madchester, syncrétisme de cultures musicales, est sur le point d’éclore. New Order, qui en enfants terribles de l’héritage Kraftwerk restent toujours très au fait de ce que les machines puissent apporter au post-punk, se sont épris de la sous-culture dance depuis leurs nuits new-yorkaises au Paradise Garage : cela va sans dire que leur démarche artistique et commerciale envers la Haçienda est au diapason du petit monde qu’ils voient se balancer. Technique est en quelque sorte, dans ces contours plus house qu’électro, l’étape logique et essentielle d’une caractérisation progressive d’un groupe fasciné par les platines.

Ainsi Technique est pour certains le point de non-retour à partir duquel New Order deviendrait inexcusable ; personnellement, c’est mon chouchou.
C’est vrai que l’album pris comme ça a de quoi surprendre. En commençant par la pochette : Peter Saville qui s’occupe de l’imagerie des 4 mancuniens depuis Joy Division, d’habitude si sobre et idéaliste dans ses travaux nous lâche ici une horreur délirante bien au goût de l’album : criard, chimique et mauve comme un cacheton d’ecstasy. Lorsque ce dernier s’expliqua avec le Guardian sur ces différentes pochettes, voilà ce qu’il en dit :

It’s a very bacchanalian image, which fitted the moment just before the last financial crash and the new drug-fuelled hedonism involved in the music scene. It’s also my first ironic work : all the previous sleeves were in some way idealistic and utopian. I’d had this idea that art and design could make the world a better place. That even bus stops could be better. In some ways it’s also quite neo-Warhol [1].

Bacchanalien et ironique, les adjectifs sont, pour ainsi dire, donnés. Car ici New Order se permet tout : du bêlement de moutons (si, si !) aux bruitages de pistolet laser (ou ce que vous voudrez) jusqu’à un Bernard Sumner qui avec dans la voix la suavité la plus grasse nous fait ses péroraisons de soûlard dont je laisserai à chacun l’appréciation :

You know I’ve met a lot of cool chicks
But I’ve never met a girl with all her own teeth
That’s why I love you babe
That’s why we could be
But you’re too young

Pour rester dans l’allégorie, imaginons un instant Peter Hook, lad évident à ses heures perdues -barbe grasse et cheveux longs-, ivre de pilules et de Corona se trémoussant sur les pistes alors dorées des îles Baléares. Voilà, Technique c’est un peu ça, la java des mancuniens à Ibiza (« The most expensive holiday I’ve ever heard of, and I paid for it in full », dira Tony Wilson, qui dut paternellement aligner la somme de 300 000£ pour l’occasion).
Vague d’ivresse où dance et rock communiquent avec allégresse, on ne peut pour autant oublier ces ballades à la mélancolie solaire auxquelles New Order a su donner le son. Et le disque derrière ses airs ironiques traverse régulièrement des havres nostalgiques qui, contrairement à ces espaces hédonistes, sont d’une certaine sobriété. Parce que la fête connaît aussi ces moments de lucidité solitaire Loveless, Guilty Partner, Vanishing Point et Dream Attack apparaissent comme encore plus tristes. Ce sont ces matins perdus où décuvant les cheveux au vent, l’haleine un peu lourde et le regard hagard, Hooky foule de son pied nu la plage de Formentera, saisissant par instant la futilité de cette vie festive.

Comme souvent avec New Order la musique est avant tout mélodieuse, et les mélodies, elles, sont simples (vous avez dit évidence ?). C’est en ce sens que leur musique est populaire. Le chant léger de Sumner, ici plus lointain et quelque peu réverbéré, vient se poser agréablement sur la musique. Et comme il est légion chez eux, les aspects synthétiques de leur musique sont parfois un peu ringards. Mais diantre ! là est justement le plaisir coupable. Comment ne pas se délecter du côté un peu pouet-pouet complètement délirant de Mr Disco ? En cela c’est un album incroyablement attachant, car c’est un grand disque hédoniste mais pas que ; il faut savoir s’y promener comme sur une île solaire pour y découvrir les différentes humeurs. Malgré ses apparences, Technique n’est pas qu’une pilule d’ecstasy, c’est là sa beauté.

Témoignage d’une scène aussi courte que brillante que nous fantasmons aujourd’hui volontiers, il est aussi l’expression d’un groupe décomplexé, à l’aise avec sa propre musique (il n’y a qu’à regarder comment New Order débarque fin 1988 avec Fine Time chez Top of the Pops [2]). Technique est l’ivresse d’une bande de potes qui ne peut durer, laissant après elle le retour à une décennie difficile. Pour preuve New Order sortira en 1993 le vulgaire Republic.



[1J’invite les amateurs de New Order et des pochettes très esthétisées de Peter Saville à jeter un œil sur ses commentaires qui bien qu’anecdotiques restent éclairants.

[2Apprécier la danse extatique de Barney et le look cheveux gras/veste en cuir de Hooky, qui joue de la basse comme Slash de la guitare : les jambes très écartées.

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Tracklisting :
 
1. Fine Time (4’42")
2. All the Way (3’22")
3. Love Less (2’58")
4. Round & Round (4’29")
5. Guilty Partner (4’44")
6. Run (4’29")
7. Mr. Disco (4’20")
8. Vanishing Point (5’15")
9. Dream Attack (5’13")
 
Durée totale : 39’58’’

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