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par Le Daim le 15 mai 2007
paru en février 2007 (Hazelwood Music)
Cette nuit j’ai rêvé que Bruce Springsteen et Neil Young mouraient dans un horrible accident d’avion, s’écrasant au beau milieu d’une foire à la saucisse rassemblant les musiciens d’Otis Redding et ceux de The Band... Pas cool, hein ! Sauf que tout ce beau monde se réincarnait en arbres, que ça donnait une forêt (noire), et que des daims y trouvaient refuge. Et non -ha, je vous vois venir, mauvaises langues !- je n’ai pas bu de mirabelle lorraine ni fumé d’herbe de Jamaïque avant d’aller me coucher, juste écouté en boucle The Exile Itch, neuvième album de Mardi Gras. BB.
Mardi Gras. BB (traduisez l’acronyme par "Brass Band" ou encore "Bold Bold" selon les line-ups) est un groupe allemand à géométrie variable formé en 1992. Jochen "Doc" Wenz (chant, guitare), Uli "Reverend" Krug (basse, soubassophone) et Erwin "Sir" Ditzner (batterie) en sont les élements centraux et récurents. Le groupe enregistre et tourne avec plus d’une dizaine de musiciens (12 sur cet album) adeptes du cuivre. Il en résulte des ambiances de fanfare, mais pas du genre qu’on entend à la fête de la bière à Munich, non. Mardi Gras. BB va plutôt chercher son inspiration de l’autre côté de l’Atlantique vers la Nouvelle-Orléans, les bayous de Louisiane voire un peu plus bas dans le delta du Mississippi ou sous le soleil du Texas. Doc Wenz -gueule et costard piqués à Nick Cave- conduit cette petite entreprise qui a déjà écoulé plus de 100 000 galettes dans la nature... Un acte louable en faveur de notre environnement culturel ! Sa voix semble résulter d’un pertinent mélange entre la rauquitude de Springsteen et l’émotion vibrante de Neil Young (CQFD), quant à sa guitare elle ne peut qu’avoir appartenu à quelque Steve Cropper ou Robbie Robertson. Vous devriez à présent imaginer ce que tout cela doit donner musicalement, mais n’allez pas penser que Mardi Gras. BB fait dans le trad ou le sempiternel revival soul américain (lequel s’auto-copie de façon plus ou moins pathétique depuis des décennies) ! Car en réalité nos allemands savent fort bien dépoussiérer voire rafraîchir leurs influences musicales.
Le premier titre de l’album (Now That We’re Gone) cogne dur. Aux premières secondes tant de puissance de feu déployée par les cuivres de l’orchestre associés aux hurlements du chanteur a de quoi terrifier. Mais très vite cette artillerie lourde touche le cœur et on flanche devant tant d’émotion. Cette formidable énergie est bien celle du blues et du gospel, pas d’erreur : c’est l’énergie du désespoir qui nous fait envisager des lendemains plus lumineux. Comme un message qui nous dirait : "Ne baisse pas les bras, camarade, retrousse tes manches et mets-toi au boulot, tu vas faire un truc formidable !". Et ça marche... Remonté à bloc par ce premier titre je suis allé récurer la maison de la cave au grenier, j’ai tondu la pelouse, fait les courses, promené mamie et même changé la caisse des chats. Bref... Les titres suivants sont du même acabit : un pur concentré de soul à l’ancienne, de blues, de jazz à la sonorité rugueuse . La guitare et les percussions sont remarquablement mises en avant dans le mix, jouissant d’une prise de son où l’authenticité fait loi. Il en est de même pour les basses, totalement monstrueuses d’ampleur (c’est qu’il faut les faire groover, tous ces cuivres !).
Un album entier dans le même registre aurait certainement de quoi épuiser les nerfs les plus endurcis. Fort heureusement Mardi Gras. BB dépose quelque peu les armes dés le sixième morceau, nous évitant ainsi toute lassitude. Jusqu’à la fin du disque le groupe ne cesse de surprendre avec d’intéressants changements harmoniques, des arrangements créatifs, des atmosphères variées sans pour autant enterrer la première partie de l’album. Ainsi, après l’ouragan émotionnel des premiers morceaux l’auditeur est invité à faire une pause dans un havre de paix nommé Roses & Vine. Ce titre débute comme une balade des Stones sur Exile On Main Street : on est en terrain rythm’n’blues connu, mais les choses se compliquent assez vite avec un refrain psychédélique en rupture totale avec le reste de la chanson... Une suite d’accords et des chœurs que n’aurait pas renié l’ami Syd... Ou les teutons de la vague Kraütrock (Amon Düül en tête) ! Mais il y a aussi de l’Arcade Fire dans cette interprétation vocale, ces arrangements touffus, ce côté épique, cette sincérité des émotions à fleur de peau. Cette remarque vaut d’ailleurs pour toutes les chansons de The Exile Itch. Happy Boy et Snow On The Meadow aux changements tonaux très 50’s sont deux autres charmantes balades, assez enjouées. La seconde pourrait être le fait du Neil Young de la période Tonight’s The Night, mais qui serait accompagné par le E-Street Band. Une sorte de rêve devenu réalité, donc ! Retour à la soul pure de Gaye ou Sam & Dave avec Hungry Like The Sun, sa voix toujours plus haut-perchée et son refrain craquant avant le lancinant et génial Who Sent The Rain.
Le groupe y mélange avec une habileté inouie des arpèges de guitares clairs très contemporains et des harmonies de cuivres sublimes évoquant l’ambiance des vieux drames romantico-orientalistes hollywoodiens. S’y ajoutent des choeurs sinistres et un groove énorme porté par la contrebasse de Reverend Krug. Ce titre à l’ambiance nocturne, torride, menaçante, vaut à lui seul l’achat de l’album. C’est peut-être aussi celui que Johnatan Donahue de Mercury Rev essaye d’écrire en vain depuis 1989 [1]. The Exile Itch se termine par un bon vieux blues du delta façon Big Bill Broonzy, agrémenté d’un refrain explosif dont les paroles prennent le contrepoint du tout premier morceau du disque : My Heart Flies Back To You. La boucle étant bouclée, il nous reste à saluer le travail du graphiste responsable de la pochette du disque : on y voit un troupeau de daims surpris au flash en pleine réunion champêtre et nocturne. Une image aussi superbe qu’attachante (et je ne dis pas cela parce qu’on y entrevoit un bout de mon oreille sur le côté droit).
Que dire de The Exile Itch sinon que ce disque arrivé entre mes pattes un peu par hasard est un véritable bijou qui va certainement tourner encore longtemps dans ma platine et n’est pas prêt d’accumuler la poussière au fond d’une étagère de mon salon. Mardi Gras. BB signe un opus plein de fougue et de créativité. Loin d’étouffer les références amoureuses à la musique noire américaine, le groupe leur apporte quelque chose de complètement nouveau et intéressant. Les cuivres interprètent des arrangements à tomber par terre et Doc Wenz est un chanteur exceptionnel. N’a-t-il d’ailleurs pas été qualifié de "dernier entertainer" par le NME ? À genoux, je suis prêt à le croire sur parole mais cependant ne manquerai pas d’aller vérifier ces dires à l’occasion d’un concert du groupe. Bientôt, j’espère... Le plus vite possible !
Note : l’album est agrémenté dans son édition digipack d’un DVD intitulé The Unveiling Of The Exile Itch.
[1] Pour une fois que je ne m’attaque pas aux Naast ! N’allez pas vous plaindre !
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