Films, DVD
Treme

Treme

David Simon & Eric Overmyer

par Sylvain Golvet le 7 décembre 2010

5

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Yuri G nous a déjà fait l’éloge ici de The Wire, la fabuleuse série policière qui enterre les autres séries policières voire les autres séries tout court. Toujours sur HBO, David Simon s’était attelé ensuite avec son comparse Ed Burns et l’écrivain Evan Wright aux 7 épisodes de Generation Kill. Auscultant l’invasion de l’Irak de 2003 par l’armée américaine, Simon reproduisait avec le même soin scénaristique et visuel le succès artistique de The Wire, ce mélange de réalisme sec et de construction narrative savante. Complément idéal à l’action brute et immersive du Démineurs de Bigelow, Generation Kill suivait à la trace les soldats américains, avec leur fierté, leur arrogance mais aussi leurs faiblesses et distillait surtout une énorme impression de gâchis.

Fidèle à HBO, David Simon change cette fois-ci encore d’horizon et pose ses caméras à la Nouvelle-Orléans pour Treme. Le projet est simple : raconter la gestion de ses habitants trois mois après Katrina, via le parcours d’une dizaine de personnages principaux, ouvrier, professeur, tenancier de bar ou musiciens. Cette première saison de 10 épisodes est surtout l’occasion pour lui et Eric Overmyer d’ausculter, l’atmosphère d’une ville comme The Wire auscultait Baltimore en long, en large et surtout en travers, du trafic de drogue à la corruption politique. Or qui dit Nouvelle-Orléans dit musique. Et qui dit Nouvelle-Orléans dit Mardi Gras. Et qui dit Nouvelle-Orléans dit cuisine. Là où l’approche de David Simon est déterminante pour chacun de ces sujets, c’est de ne pas considérer son décor comme un arrière-plan pittoresque, où sa culture serait un ensemble de pratiques bizarres mais rigolotes, du genre « Regardez ce gars ont des costumes à plumes, comme c’est pittoresque ». Ça serait mal connaître l’équipe de The Wire, qui ne peut pas s’empêcher de faire de nombreuses recherches et de travailler avec des collaborateurs concernés pour être le plus authentique possible. La série est alors le support idéal pour témoigner du quotidien et des préoccupations des habitants du Tremé.

Là où un documentaire ne ferait qu’enchaîner les témoignages face caméra de centaines de victimes, ici, joie de la fiction, on vit avec ces personnages, on souffre, on s’énerve, on jubile avec eux, tandis que la narration prend son temps de développer son intrique et ses personnages sur plus de 10h de show.

L’illustration de ce point de vue se trouve dans l’épisode 3. Une dizaine d’ « Indiens » rendent un dernier hommage à un de leur chef mort dans la tempête, en entonnant un chant funéraire devant sa demeure, quand un car des Katrina Tours vient les interrompre, avec leur horde de touristes venus prendre en photos la ville dévastée. Inutile de préciser de quel côté se trouvent les caméras de Simon.

« Feel like funkin’ it up »

Authenticité = musiciens locaux. La série est alors un régal pour qui aime le jazz, la soul, le funk et la musique en général. Logique si l’on considère comme beaucoup que le jazz est né ici même, et plus précisément Place Congo, dans le quartier du Tremé, où les esclaves profitaient de leur journée de « congé » pour danser et chanter, mixant leurs racines africaines avec les influences européennes de leurs maîtres. Plus officiellement, le jazz naît bien ici, au début du XXe siècle, des brass bands, ces fanfares qui sont de sorties lors des parades de Mardi Gras ou pour les enterrements. Sans compter que la ville donnera au Jazz l’un de ses plus éminents représentant en la personne de Louis Armstrong.

L’hommage était obligatoire, il n’est donc pas rare de croiser son lot de stars locales au fil des épisodes. Dr John, Allen Toussaint, Coco Robicheaux, John Boutté et bien d’autres ne se contentent pas de faire de la figuration : ils se prêtent au jeu de la comédie, interprétant leur rôle au milieu de comédiens pros et entre deux représentation musicales.

Des numéros musicaux qui sont d’ailleurs mis à l’honneur. Qu’ils se déroulent dans un club, dans un studio ou même dans la rue, ils sont filmés avec classe, sonorisés en live, et retranscrits en intégralité. L’ambiance enfumée des clubs de Bourbon ou Frenchman Street suinte à l’écran et on se trémousse au son de la trompette de Kermit Ruffins, l’un des artistes préférés des habitants de la Nouvelle-Orléans. Et puis comment ne pas être ému par la parade funéraire du premier épisode, où la joie se peine s’évacue en chaloupant du bassin et en soufflant dans son trombone en hommage au défunt. Toute une philosophie incarnée en images et en sons.

« If you go to New Orleans / You ought to go see the Mardi Gras » (Professor Longhair and the Shuffling Hungarians, 1949)

Katrina a fait de la Nouvelle-Orléans une ville morte, vidée de ses habitants. Alors qu’ils reviennent sur place, l’ensemble des personnages partage le même objectifs : redonner vie à leur ville pour le Mardi Gras 2006. C’est une question de fierté et de culture. Albert « Big Chief » Lambreaux (l’excellent Clarke Peters, inoubliable Lester Fremont dans The Wire) tente de réunir ses troupes d’indiens à temps. LaDonna (Khandi Alexander) ferait tout pour retrouver son frère disparu dans la tempête avant ce jour de fête. Quant à Creighton Bernette (John Goodman !), il met toute son énergie dans sa volonté de montrer au pays le rang culturel qui devrait revenir à sa ville. Il s’agit là clairement de la note d’intention de la série.

Point d’orgue logique de la saison, ce Mardi Gras de 2006 n’est pas qu’une occasion de plus de faire la fête, mais bien l’affirmation d’une renaissance culturelle. Ces parades sont tellement intégrées à la vie des habitants qu’il devient plus qu’important qu’elles se déroulent comme prévu cette année. Sinon, autant déclarer tout de suite la ville morte et enterrée. À travers l’événement, c’est donc l’occasion de nous faire découvrir une culture unique à la ville : les Mardi Gras Indians. Hommage des Noirs à leurs « collègues » d’oppression, la tradition consiste à défiler en troupe hiérarchisée, du chef au messager, habillé d’un costume de plume confectionné pas ses propres soins, le but étant bien sûr d’avoir le plus beau de la ville. Il faut le voir pour le croire, cet étrange mélange de kitsch et de classe. Le propre fils du « Big Chief » Chief Lambreaux en fera lui-même l’expérience, surpris en plein carrefour par l’apparition fantomatique d’un de ces indiens costumés, dans cette scène qui rappelle celles de l’Indien mystérieux d’Indian Runner.

Il ne s’agit bien sûr que d’une petite partie des richesses de cette ville et l’un des nombreux grands moments de cette série, qui aborde des thèmes aussi variés que la réouverture des HLM, la gestion politique de la catastrophe, la vie de musicien au jour le jour,… Et toujours à hauteur de personnages, alors que la mise en scène discrète mais maîtrisée les laisse vivre à l’écran.

« Do you know what it means to miss New Orleans ? »

Est-on tombé amoureux de cette ville après le visionnage de cette 1ère saison de Treme (alors qu’une deuxième est en préparation) ? Clairement oui, et c’est presque par ce seul critère que l’on peut juger du succès de la série. Par son exigence documentaire, artistique, et parce que David Simon et son équipe sont décidément très fort pour donner vie à des concepts aussi flous que ceux de « culture » ou d’ « atmosphère ». Logiquement, après ça, l’envie d’aller à la Nouvelle-Orléans se fait plus que sentir, même si l’on sait que la virée touristique ne nous fera jamais approcher le tiers de la culture montré dans Treme. Oui oui, il s’agit bien d’une série. À la télévision.



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom