Pochettes
L.A. Woman

L.A. Woman

The Doors

par Thibault le 29 juillet 2008

Paru en avril 1971 sur Elektra.

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A première vue la pochette de L.A. Woman des Doors n’a rien de spéciale. Ni particulièrement belle ou même originale ; après tout il est très courant qu’un groupe s’affiche sur la pochette, les Doors l’ont même fait sur tous leurs disques, à l’exception de Strange Days. Pourtant, lorsque l’on si penche de plus près, cette pochette se révèle intéressante. Il faut regarder en arrière, comparer les Doors lors de leur premier album, en 1967, avec ceux de leur dernier, en 1971. C’est là qu’on se rend compte d’une véritable évolution, qui se retrouve beaucoup dans le visuel du groupe.

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La pochette du premier album.

Ainsi en 67, la pochette du premier album éponyme affichait le chanteur Jim Morrison en avant du groupe ; il était sa figure charismatique, le roi Lézard, sex-symbol qui posait torse nu avec un collier de perles. Les autres membres étaient en retrait mais on peut néanmoins voir ce qui les différenciait des autres groupes de rock psychédélique ; pas de vestes multicolores mais des costumes sobres, conventionnels, avec cravates et vestes de velours. Pas assez sophistiqués pour être de véritables dandys, les Doors se montraient néanmoins comme un groupe à part ; emmenés par un chanteur séduisant, ils dégageaient une noirceur que n’avaient pas leurs contemporains (Jefferson Airplane, Big Brother & The Holding Company, Mothers Of Invention…). Cette noirceur se retrouve notamment dans les thèmes des textes de Morrison (dont le fameux The End), souvent inspirés par la poésie de Baudelaire. [1]

Photo du groupe en 1967.

4 ans plus tard le groupe a totalement mué. Le parcours des Doors a été chaotique, la forte consommation de drogues de Jim Morrison le rend imprévisible, les concerts virent souvent au grand guignol, musicalement le groupe s’égare dans un psychédélisme très bancal. Morrison se désintéresse du groupe et se fait sauter le caisson en solitaire pendant les trois autres membres s’enfoncent lentement dans une mollesse qui n’augure rien de bon. Le paroxysme est atteint lors du célèbre concert de Miami, le 1er mars 1969 ; Morrison provoque un scandale, après avoir copieusement insulté le public, il aurait simulé une fellation sur son guitariste Robbie Krieger, et selon certains journalistes, se serait dénudé sur scène. Pas de quoi fouetter un chat mais l’affaire est monté en épingle par une partie de la presse et des représentants des bonnes mœurs : un procès est ouvert, quatre chefs d’accusation « ivresse publique », « outrage aux bonnes mœurs », « comportement indécent », « nudité publique », la totale…

Pourtant le groupe rebondit en revenant aux sources, l’album Morrison Hotel (1970) relance les Doors sur la bonne voie. Le groupe délaisse le rock psychédélique et joue désormais une musique qui puise dans le blues. Mais l’époque est difficile, les affaires judiciaires de Morrison piétinent, le flower power agonise, Jimi Hendrix et Janis Joplin meurent tous les deux en moins d’un mois (le 18 septembre et le 4 octobre 1970)… Alors forcément, quand les Doors s’attaquent à l’enregistrement de leur sixième album, l’humeur n’est pas à la fête. D’autant plus que leur producteur Paul Rothchild envoie promener la bande, considérant les nouvelles chansons comme « du jazz pour cocktail ». Cependant le groupe, rejoint par un bassiste et un guitariste rythmique (Jerry Scheff et Marc Benno), mène à bien l’enregistrement ; en dix jours L.A. Woman est bouclé et devient le chef d’œuvre que l’on sait. Et la pochette choisie témoigne alors de toute la mue du groupe. Elle affiche elle aussi une véritable noirceur, mais différente de celle en 1967.

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Robbie Krieger, en 67 puis en 71.

Les Doors ont du vécu, Morrison n’est plus le sex-symbol orgiaque, le roi lézard ; il fume trois paquets de cigarettes par jours, enchaîne bière sur bière, a grossit et sa barbe a poussé, lui donnant une allure de pilier de comptoir. Les autres membres ne sont pas en reste, Robbie Krieger arbore lunettes à miroirs de drogué, bottes de cuir, barbe également et a troqué les chemises boutonnées au col pour des vêtement amples et usés.

Globalement c’est tout le groupe qui a mué, en quatre ans le changement physique est impressionnant, comme en témoigne cette photo prise dans le studio en plein enregistrement.

Les Doors au complet en 1971.

Plus rien à voir avec la formation de 1967, le ton est toujours sombre mais a changé dans les thèmes abordés, il n’est plus question de « passer de l’autre côté » (Break On Through (To The Other Side)) ou de complexe d’oedipe (The End). Le premier titre de l’album dit tout ; « The Changeling ». Morrison n’est plus mis en avant comme par le passé, ce que l’on voit c’est avant tout un groupe qui affiche des regards lourds de sens. Le claviériste Ray Manzarek (premier en partant de la gauche) y apparaît presque sévère. Morrison et Krieger ont le regard à la fois fier et fatigué, d’une noirceur digne et impénétrable. Les Doors apparaissent comme un groupe uni le temps d’un dernier album ; Morrison partira à Paris dans le but de laisser derrière lui la musique pour se consacrer à l’écriture et à la réalisation de films. Il y trouvera la mort le 3 juillet 1971. Cette année là les Doors sont conscients de leur fin imminente, L.A. Woman est un album implacable et sombre, avec une pochette qui montre toute la mue du groupe. Une esthétique qui annonce celle de Neil Young sur son album Tonight’s The Night, enregistré alors qu’il était un état similaire à celui des Doors durant cette période troublée qui les voit s’enfoncer dans une autre forme de noirceur, bien plus profonde et viscérale que celle de leurs débuts. Mais le groupe ne fait pas dans le pathos pour autant, comme le dit très justement Ramblin’ Man dans sa chronique de l’album, le groupe garde sa dignité pour sa dernière bataille et refuse toute projection sur lui. Plus d’artifices ou de messages générationnels douteux à la When The Music’s Over, désormais les Doors sont droits dans leurs bottes, dignes et lucides. Alors quoi de plus naturel qu’une telle pochette pour balayer le passé du plat de la main ?

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[1(Rappelons que le nom du groupe est inspiré du livre The Doors of Perception d’Aldous Huxley qui a pour objet principal les drogues)

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