Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Yuri-G le 25 janvier 2011
Paru le 18 août 2009 (Matador/Beggars)
Revenons là. Au creux de l’été, l’été dernier, là est apparu le deuxième album de Jay Reatard. Lorsqu’on accorde un soupçon d’importance à la temporalité, il faut relever cette étrange façon qu’ont les disques de s’inscrire dans une période particulière, de la condenser, devenant sa sève secrète quand l’instant resurgira, plus tard, sous l’apparence d’une chanson écoutée alors. La musique semble l’art de la réminiscence. Le punk l’est-il ? Disons plutôt, le punk peut-il l’être ? On sourit, et pourquoi pas. Dans son urgence, son éclat, il le peut. Lorsqu’il plante des mélodies-foudre, il l’est encore plus. Fascinant mystère : c’est quand la chanson punk est la plus instantanée, lorsqu’elle jaillit pied au plancher avec pourtant une noble expressivité, qu’elle enjambe miraculeusement les périodes. Sorti il y a presque un an, Watch Me Fall remplit les conditions, miraculeusement.
Le domaine est balisé. On pense punk, on associe : dépouillé, sale, enregistrement anguleux, parfois rudimentaire. C’est ce respect quasi-maniaque de l’esthétique qui caractérise Jay Reatard. Watch Me Fall en un sens, est un album de punk classique, d’une absolue confiance en sa forme. On n’ira pas chercher une quelconque volonté de détournement, d’approche insolite, ce serait trahir ce qui l’anime. La chanson y est un objet linéaire, couplet/refrain/pont rectiligne. Voilà sa beauté. It Ain’t Gonna Save Me donne d’entrée le son compact attendu. Il faut trancher, ne donner rien de plus que ce qui est nécessaire. Dont l’incandescence de la mélodie qui, si elle ne bouscule pas tout de suite, ne le pourra jamais. Rythme trépidant, harmonie crépitant, voix strangulée répétant son slogan. Quelque chose vous happe. C’est aussi une question d’artisanat. L’album s’ouvre sur cinq titres incendiaires (avec quelques vocalises et arpèges en apothéose, lampions de feu électrique : Before I Was Caught, Faking It) pour aboutir à une seconde moitié plus languide, parfois fluctuante. C’était la facette pop que Reatard amenait au grand jour, où l’énergie semble amortie, comme gagnée par la nostalgie... déjà. On reconnaît une lignée d’illustres songwriter-bombardiers, mais pas seulement. Dans une époque de perpétuelles références malignes, de savoir-faire scientifique ou scolaire, Reatard avait l’épaisseur classique qui faisait défaut. Il réanimait, bon gré mal gré, un âge d’or. Avec lui, affleurait l’impression d’entendre une anthologie d’un genre dévoyé, peut-être la dernière.
Pour Watch Me Fall, Jay Reatard était seul aux manettes. Il joue tout, excepté quelques parties de batterie et deux-trois arrangements de violoncelle. C’est fondamentalement l’autoportrait d’un sale misanthrope. "Hang them all", dit-il. Le punk est son médium, et il lui donne des contours intimes, c’est fait pour. Tout est dans le titre. Musique d’avant la chute, où l’on affronte ses démons. Sur la pochette, Jay est devenu Jack de Shining, l’écrivain-fantôme perdu dans un labyrinthe en plein blizzard. Tout à la fin There Is No Sun dissipe le doute, d’abord blême, pour mieux amener un sursaut crépusculaire (halo de guitare, vocalise en pic), très beau et désemparé. On le sait, Jay Reatard est mort depuis, en janvier 2010. Il serait bien malvenu de jouer la carte du prémonitoire. Pourtant ce disque exalté, jouissif, est aussi un disque de fantôme. Une hantologie punk. Ses angoisses, ses mots et contours le vérifient.
Article publié le 13 juillet 2010
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |