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Happy Hollow

Happy Hollow

Cursive

par Béatrice le 11 septembre 2006

4,5

paru le 22 août 2006 (Saddle Creek/ PIAS)

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Cursive est un groupe basé à Omaha, Nebraska, en plein centre des États-Unis, et qui n’est pas réputé pour avoir, en onze ans d’existence, écrit des chansons respirant la joie de vivre. Ces deux éléments ne sont probablement pas nécessaires pour comprendre Happy Hollow, mais au moins, ils permettent de savoir à quoi s’attendre. Et si ce groupe représente l’état d’esprit de la jeunesse américaine aujourd’hui, cet état d’esprit a bien changé depuis l’époque des Beach Boys et des Doors.

Musicalement, le groupe a déjà cinq albums à son actif et n’a plus à prouver sa maîtrise. Et si la violoncelliste Gretta Cohn l’a abandonné en 2004, qu’à cela ne tienne, il remplace les cordes par des cuivres et conservent les ingrédients qui les caractérisent, à avoir des guitares nerveuses, capables d’hurler et d’exploser comme de s’apaiser, la voix nouée par l’angoisse de Tim Kasher, et une instrumentation variée et ouverte, allant ici du piano à l’accordéon en passant donc par les cuivres et qui dérive parfois vers le blues ou le gospel. À la fois efficaces et anxieuses, entraînantes et désespérées, les mélodies et les ryhtmes du groupe le rapprochent de la scène typiquement nord-américaine qui chantent les malaises de la jeunesse - ce qui n’est pas foncièrement étonnant, puisque c’est effectivement en grande partie ce que fait Cursive. Reste que celui ou celle qui chercherait ici un album d’emo un peu fleur-bleue et sombre mais juste ce qu’il faut, s’exposerait à une grave déception, parce que Cursive s’attaque à bien plus que les vagues angoisses de l’adolescence.

Chronique de l’Amérique profonde de l’ère Bush et néo-conservatrice, qui grandit entre guerre en Irak et croisade créationniste, Happy Hollow est plus une collection de nouvelles au réalisme rude et direct, racontées pour beaucoup à la première personne, qu’une série de chansons. Tim Kasher, qui n’a pas son pareil pour conter les moments où la vie se transforme en impasse et où le quotidien étouffe l’espoir, prête sa voix à plusieurs personnes qui pourraient être nos voisins, pour peu qu’on habite dans le Middle-West, et raconte, simplement, des lambeaux de vie - et comme la vie des gens qui pourraient être nos voisins est après le but premier de toute politique, la raconter est aussi le meilleur moyen de connaître les conséquences de la politique en question, que ce soit pour la dénoncer ou pour l’acclamer. Pour ça, cet album est probablement un des meilleurs manifestes contre la vague néo-conservatrice qui submerge les États-Unis.

Pêle-mêle, le disque explore les désillusions du passage à l’âge adulte, l’émiettement des rêves, le pessissisme qui en découle, le conformisme et par-dessus tout, la main-mise de la religion sur la société, de la science à l’amour. Le christianisme est en effet le fil conducteur de tout l’album, même si la clef n’est donnée que dans la toute dernière chanson, Hymns For The Heathen ("hymnes pour les païens"), énumération de principes ou mythes fondamentaux tirés ou inspirés de ceux de la religion chrétienne, de l’arbre de la connaissance à l’immaculée conception... chacun correspondant à l’une des quatorze chansons, que Cursive destine du même coup à tous les "païens". Dorothy qui rêve sa vie et en oublie de la vivre devient la demoiselle prodigue, Jeanie qui tombe enceinte alors que son petit ami est en Irak depuis six mois, se retrouve associée à l’Immaculée Conception, la dénonciation des théories créationnistes de Big Bang à l’arbre de la connaissance et au péché originel, le père qui ne voit pour son fils pas d’autre issue que de s’engager dans l’armée, rapproché du baiser de Judas, et ainsi de suite, ce qui offre à l’auditeur une bonne occasion de s’amuser à décortiquer toutes les paroles, en plus de renforcer la cohérence de l’ensemble.

Cursive réussit avec Happy Hollow un album à la fois efficace et riche, direct et intelligent. Les chansons accrochent en effet immédiatement l’auditeur, mais le concept, suffisamment épais et cohérent, sans jamais plomber l’album et prendre le pas sur les chansons en elles-même, lui donne une profondeur qui lui permet de ne se révéler complétement que sur la durée. Alors évidemment, ce n’est pas l’album idéal pour se remonter le moral, mais en parvenant avec brio à n’étouffer ni la musique, ni les paroles, quand les deux sont pourtant particuliérement riches, Cursive signe un album de haute volée qui n’est pas près de s’épuiser.



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Tracklisting :
 
01. Opening The Hymnal/Babies (2’34")
02. Dorothy At Forty (3’02")
03. Big Bang (3’11")
04. Bad Sects (4’24")
05. Flag And Family (2’56")
06. Dorothy Dreams Of Tornados (2’54")
07. Retreat ! (3’57")
08. The Sunks (2’53")
09. At Conception (2’41")
10. So-So Gigolo (3’59")
11. Bad Science (2’20")
12. Into The Fold (4’36")
13. Rise Up ! Rise Up ! (2’45")
14. Hymn For The Heathen (3’15")
 
Durée totale : 45’00"