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par Psymanu le 23 mai 2006
Johnny (Russ Streiner) et Barbara (Judith O’Dea), frère et sœur, sont au cimetière. Ils rendent visite à la dépouille de feu leur père, qu’ils ne connurent presque pas, un peu forcés, pour faire plaisir à maman. Surtout Johnny, excédé du temps perdu sur la route pour une pauvre gerbe de fleurs. Au loin l’orage gronde. Les souvenirs d’enfance reviennent, rappelle-toi, Barbara, il ne pleuvait pas sans cesse sur Brest, mais ils jouaient souvent autour de ces tombes. La trouille qu’il lui collait, à Barbara, le Jojo. Tellement qu’elle en frissonne encore. Et lui qui en rajoute, comme à l’époque, « they’re comin’ to get you, Barbara ». Quel con, tout de même, il mériterait des claques. À quelques pas, un gars, une silhouette, et si c’en était « un », Barbara, interroge, moqueur, le vilain frérot. Et toujours ces coups de tonnerre. On commence à flipper léger. Soudain, le mec, visage crispé, agrippe sœurette, Johnny s’interpose, se bât, s’assomme sur une pierre. Barbara fuit, en voiture moteur éteint, puis en courant. C’est un cauchemar, ça ne peut qu’être un cauchemar. Une maison abandonnée ! Là ! Voilà sa chance. Ou pas.
Bon sang, on rêverait d’avoir découvert ça le cerveau vierge de tout ce qui suivit (les séquelles, puis les ersatz...). La terreur de cette scène vient de l’absurdité, de la gratuité totale de l’accès de violence de ce mec du cimetière. Et sa démarche, et son visage, merde, c’est quoi, son problème ? Night Of The Living Dead appartient à cette race de premiers films tournés avec moins que des bouts de ficelle, mais dont la portée est si grande qu’on peut miser à l’aise qu’on en reparlera encore dans 150 ans. C’est tout simple, il y a carrément un avant et un après Night Of The Living Dead. Avant, ce sont les productions horrifiques de la Hammer, qui tournent en rond, qui sont superbes mais qui n’effraient plus personne. Après, c’est le cru, le simple, le réel. Ou en tout cas l’illusion du réel. Il y a cette scène surréaliste, dégueulasse, où une troupe de morts vivants se repaît de deux malheureux : des vraies tripes, que les acteurs/zombies s’arrachent, et dans lesquelles ils mordent à pleines dents. C’est tout bête, mais il fallait y penser. Parce que quand on est fauché, il faut des idées, et George Romero en a. Et une des idées qui coule de source lorsqu’on n’a pas de sous, c’est de tourner en huis clos. Ça tombe bien lorsqu’on veut raconter l’histoire d’une poignée de personnes encerclées par des morts vivants.
Le tournage, d’ailleurs, se déroule principalement dans une ferme abandonnée de la banlieue de Pittsburgh, et débute en 1967, et durera 7 mois. 7 mois chaotiques, où il faut jongler avec les emplois du temps des acteurs qui, à l’exception de Judith O’Dea, sont non professionnels, ont une vie, un boulot, à côté. D’ailleurs, certains sont aussi les collaborateurs de Romero dans la petite société Image Ten, qu’ils ont fondée eux-mêmes, et engagent leur propre argent dans l’aventure. Les autres sont juste bénévoles. Anecdote : les tripes évoquées plus haut sont fournies par un investisseur qui présente l’avantage appréciable d’être un boucher du coin. Le maquillage est à la va-comme-je-te-pousse, le jeune Savini avait été contacté mais n’était pas dispo alors. Bref un joyeux bordel, qui ne doit son aboutissement qu’à un enthousiasme et à une persévérance maniaque.
Ce film est révolutionnaire. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est filmé de façon quasi-documentaire, là où les films d’horreur de l’époque fonctionnaient majoritairement sur le style, sur l’esthétique. Le choix du noir et blanc, s’il trouve en partie des raisons budgétaires, renforçait cet aspect puisque les télévisions de l’époque ne diffusaient également qu’une image monochrome. Comme le dit Romero lui-même « la perception du monde passait alors par le noir et blanc de la télévision. » La camera, dans les moments de panique, semble ne plus savoir où se mettre, comme si elle tentait maladroitement de trouver sa place au milieu de l’effervescence des occupants de la maison, adoptant le point de vue possible de l’un d’entre eux, immergeant directement le spectateur/reporter au sein de l’action.
Révolutionnaire, au sens politique du terme, également. Par le biais de la psychologie de chaque personnage, merveilleusement dessinée. Il y a Barbara, d’abord, comme un oiseau tombé de son nid, une fille qu’on devine un peu prude, un peu coincée, un peu dans sa bulle. Une fille dont le monde semble s’être écroulé tout autour d’elle, qui ne trouve jamais la force de se battre mais préfère le plus confortable refuge que procure la folie. Il y a Harry Cooper (Karl Hardman), le pur produit de l’American Way Of Life. Un lâche, frileux, tyrannique avec son épouse (Helen, interprétée par Marilyn Eastman), sûr de son bon droit, et fervent partisan du repli total dans la cave en attendant que ça passe. Il y a le jeune couple, l’incarnation de l’avenir, progressiste et ouvert au dialogue, mais terrifié et en demande permanente de réassurance. Et enfin, et surtout, le héros. Un black, mais oui. En fait, sa couleur n’est qu’un hasard, Romero assure que le regretté Duane Jones fut choisi uniquement parce qu’il était le meilleur acteur. Mais le fait que le personnage de Ben, malin, volontaire, décidé, conscient de la nécessité de se battre pour survivre, soit incarné par un noir est un acte politiquement fort. A posteriori, ce qui ressort est le constat qu’ayant toujours eu à se bagarrer pour faire valoir ses droits autant que sa propre survie, la communauté afro s’est préservée de la décadence. Il y a aussi ces longues phases où on le voit s’agiter pour trouver des armes, des vivres, se barricader, avec pour seul fond sonore les informations venues du dehors par le biais de la radio ou de la TV, ce contraste entre le chaos du monde et la rage de vivre tout de même de Ben.Une des scènes finales, où il se retrouve aculé dans cette cave où il avait refusé de se replier malgré les injonctions de Cooper, est d’un grand cynisme. L’issue, on la pressent quelques instants avant qu’elle n’advienne, sans que cela n’entame en rien la colère qui nous saisit alors. Au contraire. La résistance acharnée, le courage, annihilés par la bêtise d’une armée de chasseurs à la gâchette facile, dont l’instant de gloire a exacerbé le sentiment de toute puissance. Le générique final est une succession d’images type photos de journal, où la dépouille du héros est traitée comme une charogne avant d’être jetée au bûcher.
Comme quelques autres génies, George Romero est un visionnaire qui s’ignore : alors que le film vient d’être achevé et que l’équipe part à la recherche de distributeurs, Martin Luther King est assassiné. Le sort de Ben prend alors une valeur symbolique inattendue. Le véritable but de Romero, en fait, était « simplement » de montrer l’effondrement d’une société rationnelle face à l’émergence d’un ordre de folie et d’anarchie, le passage d’une ère à une autre qui soit son exact opposé. Mais peu importe, ses ambitions de critique de ses contemporains trouveront de toute manière leur apogée seulement dans son film de cadavres ambulants suivant : Dawn Of The Dead (Zombie, chez nous), et il donne suffisamment de grain à moudre aux sociologues autant qu’aux cinéphiles dans Night Of The Living Dead pour qu’on puisse accorder à ce film son statut culte. Et puis, Romero ne le sait pas à l’époque, mais il vient de donner naissance à un genre florissant : le film de zombie. Et que désormais, chaque zombie à venir sera directement pompé sur les siens. Rien que pour ça, respect.
À noter : Night Of The Dead fera l’objet d’un remake en 1990, produit par Romero lui-même mais réalisé par Savini, afin de tirer quelques sous de cette histoire qui, si elle fut d’une rentabilité énorme lors de sa sortie, ne leur rapporta presque rien, la faute à quelques escrocs et à la jeunesse de l’équipe.
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