Chansons, textes
The House Of The Rising Sun

The House Of The Rising Sun

The Animals

par Thibault le 13 octobre 2008

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The House of the Rising peut prétendre au titre de chanson « reprise par tout le monde et n’importe qui dans un grand n’importe quoi général ». A en croire un site russe qui ne fonctionne plus ( !), il existerait deux-cents-cinquante enregistrements différents, étalés sur plus de soixante ans. Il est hors de question de dresser un tel inventaire dans ces lignes, rassurez-vous, il s’agit juste d’éclairer le sens de cette chanson légendaire en zoomant sur quelques versions et utilisations de la chanson qui se démarquent du lot. D’ailleurs, pourquoi cette chanson est-elle si reprise ? Pourquoi cette chanson suscite t-elle tant d’attention ? Une question d’autant plus légitime lorsque l’on regarde rapidement la liste des groupes qui l’ont joué ; quel lien entre les aliens fluorescents eunuques de Muse et le grand maître Bob Dylan ? Entre Nina Simone et Toto ? On serait tenter de répondre le fric. En effet, The House of the Rising Sun est une chanson dite « traditionnelle », cela signifie que n’importe qui peut la jouer sans payer de droits d’auteur, celui-ci étant inconnu. Nombre de groupes se sont jetés sur la chanson pour meubler un concert ou un disque, trop heureux d’avoir un (excellent) texte tout fait. Et puis reprendre une chanson « traditionnelle » ça fait bien, ça pose un musicien, ça fait érudit au nez creux, on se place dans le camp des « gens qui savent », et cela à peu de frais. On regarde de haut la plèbe qui reprend Where Is My Mind ? en se disant « ah les pauvres fous, s’ils savaient ce que nous possédons ». Mais ce serait passer outre toute la force et la beauté d’une chanson qui a su traverser un siècle et sûrement davantage, et dont la portée dépasse toute considération financière.

Une origine incertaine donc, The House of the Rising Sun fait partie de ces véritables chansons populaires et remonte à une époque où la propriété artistique était le dernier des soucis. Les paroles mêmes diffèrent selon les interprètes, mais quelques constantes restent. Ainsi, certaines versions mettent en scène une jeune fille qui suit son mari à la Nouvelle Orléans et devient une prostituée au bordel prénommé « The Rising Sun », alors que d’autres adoptent le point de vue d’un jeune homme, qui passe son temps dans le dit lupanar. Cependant l’idée reste la même, celle de jeunes gens nés dans la misère, qui se lancent sur la route et qui sombrent dans l’alcool, la débauche et dans tous les pièges tendus sur leur parcours. Dans les versions féminisantes, la jeune femme pleure d’avoir suivi à la Nouvelle Orléans son imbécile de mari ivrogne, ce qui la ruine et la force à se prostituer pour survivre dans un monde impitoyable.

Go tell my baby sister
Never do like I have done
To shun that house in New Orleans
They call the Rising Sun.
 
My mother she’s a tailor ;
She sold those new blue jeans.
My sweetheart, he’s a drunkard, Lord, Lord,
Drinks down in New Orleans.

Celles du point de vue masculin évoquent la vie sans but ni direction d’un jeune homme errant, qui gaspille son argent et son temps en fréquentant les bordels tout en se saoulant continuellement.

Oh Mother, tell your children
Not to do what I have done
Spend your life in sin and misery
In the House of the Rising Sun

Le point commun entre ces deux protagonistes étant qu’ils se sont laissés aveugler et ont cédé à la facilité, puis ont regretté ces choix. Ils vont prévenir leur frères et sœurs de ne jamais, ô grand jamais, agir comme ils l’ont fait et retournent porter leur croix dans une souffrance assumée.

Well, I got one foot on the platform
The other foot on the train.
I’m going back to New Orleans
To wear that ball and chain.

Il est intéressant de noter que cette strophe reste la même dans pratiquement toutes les versions. Il s’agit donc d’une chanson à forte résonance sociale. The House of Rising Sun nous entraîne dans les méandres de la misère, dans les bas fonds d’une Amérique glauque, nation de rats, de crapules, d’alcooliques, de prostituées et de mères en pleurs. Une terre où, derrière la cadillac et les grandes avenues de carte postale, il y a une majorité de perdants, de vagabonds, de personnes nées au mauvais endroit et que le capitalisme ne permet pas de faire vivre les hommes en harmonie (et ce n’est pas la situation actuelle qui viendra nous contredire !)

Ainsi il n’est pas étonnant que l’une des grandes figures du folk contestataire, Woody Guthrie, ait repris la chanson en 1941. Son interprétation popularise The House of the Rising Sun au-delà du sud des USA ; la scène folk est alors en train de s’implanter à Greenwich Village à New York. Sans être une « protest song » à proprement parler, son caractère à la fois personnel et social retient l’attention ; elle devient ainsi un standard qui s’impose largement dans le répertoire des folkeux. De fait, le morceau figure sur le premier album de Joan Baez sorti en 1960 et Bob Dylan s’en empare pour son disque éponyme daté de 1962. Relatons une anecdote connue mais significative à propos de cette version. Dylan pique l’arrangement et la mélodie à son ami Dave Van Ronk sans lui demander son accord, mais cependant il ne retouche pas les paroles. Vous me direz que c’est bien le principe de la reprise, mais à l’époque il n’est pas rare de remanier certains mots ou certains vers. Ainsi au-delà des accords, arrangements et des interprètes, c’est bien le texte de The House of the Rising Sun qui fait son intérêt. C’est aussi à cette époque que la chanson gagne en popularité. Nina Simone la reprend sur son album Nina at The Village Gate. Comme les folkeux américains de tout poils la reprennent, leurs ambassadeurs français suivent naturellement le mouvement. Marie Laforêt chante à son tour la maison du soleil levant en 1963, contribuant à la diffusion du titre sur le vieux continent.

Mais c’est en Angleterre que se produit le déclic. En 1964, un jeune groupe emmené par Eric Burdon et Alan Price, The Animals, enregistre une version définitive du titre, la meilleure selon toute vraisemblance. Habités par leur sujet (les années soixante sont dures pour la jeunesse anglaise, le pays est à reconstruire, ils rêvent d’émancipation et de liberté dans une société qui manque de tout et d’argent pour commencer) les Animals interprètent la chanson avec une virtuosité et une justesse exceptionnelle. Les légendaires arpèges d’introduction, l’orgue magnifique de Price et le chant surpuissant de Burdon, tout file des frissons dans ce titre. D’autant plus que cette version est très novatrice, elle possède un son unique, comme du folk rock avec une touche bluesy, ce qui fait d’elle un hit immédiat. The House of the Rising Sun jouée par les Animals devient n°1 dans les charts américains, un exploit pour un groupe anglais que seuls les Beatles avaient réussi auparavant ! C’est avec cette réussite que la chanson s’impose comme le véritable classique que l’on connaît. Comme tout hit anglais de l’époque, The House of the Rising Sun est adapté en français. Et c’est un certain Johnny Halliday qui chante donc Le Pénitencier. Sans être honteux, c’est complètement anecdotique. En revanche la version heavy psychée de Frijid Pink (1969) s’avère très bonne. A l’instar de Blue Cheer qui avait pulvérisé le Summertime Blues d’Eddie Cochran, Frijid Pink sort les pédales fuzz et wha wha pour une interprétation hallucinée (qui atteindra le top dix des ventes dans plusieurs pays d’Europe) qui vaut franchement le détour. Le titre sera ensuite repris par quantité de groupes mais c’est bien la version des Animals qui reste une légende.

En 1995, le grand, l’unique, le génial, le formidable réalisateur Martin Scorsese utilise la chanson pour l’épilogue de l’un de ses chefs d’œuvre, l’excellent Casino. Un film qui met en scène le parcours de deux mafieux (incarnés par la paire d’as Robert De Niro / Joe Pesci) dans le monde des casinos de Las Vegas. Ascension, succès, argent à plus savoir qu’en faire, ennemis, paranoïa, conflits et finalement trahison. Scorsese utilise The House of the Rising Sun pour sa séquence finale (l’une des meilleures qu’il m’ait été donné de voir), celle du règlement de compte ultime, où les anciens caïds se font finalement éliminer, implacablement, comme tous ceux qu’ils avaient auparavant dégagés de leur route, perdant tout ce qu’ils avaient tenté en vain de construire sur des fondations en sable. C’est ici que la métaphore du « soleil levant » apparaît pleinement. Le « rising sun » est tout ce qui brille au point de nous aveugler et de nous faire perdre la tête. Le « rising sun », c’est le bordel infâme qui fait fantasmer les jeunes paumés de la Nouvelle Orléans, qui pensent trouver le bonheur dans une nuit de sexe achetée et alcoolisée. C’est le faux Eldorado impitoyable de Las Vegas où l’on finit toujours par perdre. C’est le rêve américain que des millions de personnes ont cherché là où il n’était pas. C’est la course vaine à la célébrité. Ce sont tous ces moments où nous nous sommes laissés prendre par l’appât du gain, du pouvoir, de la notoriété, de la facilité, de la médiocrité. Tous ces moments où nous avons fuit le combat contre nous-mêmes, pour finalement pleurer sur le temps gâché. The House of the Rising Sun nous rappelle que les regrets peuvent être plus lourds et plus difficiles à porter que toutes les chaînes du monde, et qu’on ne peut trouver le sens de son existence que par une lutte permanente, et tout d’abord par une lutte intérieure.



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La version de Joan Baez est disponible sur son premier album éponyme de 1960.

La version de Bob Dylan peut se trouver sur son premier disque, sorti en 1962.

La version des Animals est sortie en single en 1964 et est disponible sur la compilation Retrospective datée de 2004.

L’interprétation de Frijid Pink est sorti en single en 1969 et se trouve également sur leur album éponyme sorti l’année suivante.