Playlist

L’éther et l’ennui

Envie de dormir ?

par La Pèdre le 17 juin 2013

Entractes dénoués et reposants, intermezzi véritablement modernes, les instrumentaux vaporeux sembleraient être l’exaspération ennuyée de chacun et personne ne se douterait qu’un public naïf et équivoque (probablement très restreint et farfelu) les déguste en soi. Par fétichisme des pistes timidement lyriques et ennuyeusement instrumentales, nous dresserons donc une liste de morceaux que le monde juge ignoblement inutiles, mais qui prennent pour bien d’autres les apparences du plus délicieux abandon à soi - celui où meurt l’esprit critique.

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Cocteau Twins - Lazy Calm/Fluffy Tufts (Victorialand, 1986)

Évidemment, il y aurait un véritable travail exégétique à accomplir sur les très grands Cocteau Twins - quel émoi ont-ils pu provoquer chez nos fétichistes du rien lyrique et de la douceur ingénue ? Pour l’exercice, retenons le morceau de bravoure que constitue l’entrée dans ce Victorialand, quatrième et souverain album du trio. Cette ouverture, en réalité constituée de deux morceaux, se présente comme un diptyque tant la mélodie, sautillante et élégiaque, se tisse d’un uniforme sommeil doré. Cuivres cupidonesques sur Lazy Calm se prolongent en mélopées veloutées sur Fluffy Tufts, dont seule la pelucheuse allitération du titre laisse présager l’effet. On se laisse bercer par cette délicatesse qui évoque si bien la chaste et paresseuse luxure d’un paradis romain.

John Abercrombie - Timeless (Timeless, 1974)

Combien de fois Miles Davis a-t-il détruit et recréé le jazz ? Si souvent que certains se sont satisfait à la contemplation des ruines - voilà ce que pourrait être Timeless, piste éponyme qui clôture le premier album du guitariste John Abercrombie. Long morceau qui s’ouvre comme une réminiscence vaguement indienne, pleine d’une fumée étourdissante et ascendante, nous menant jusqu’à l’ennuyeux sommet qu’à partir du premier tiers nous ferons que lentement dévaler. A partir de là, le touché rond et gras de la guitare fait des merveilles, offrant par moments des fulgurances d’une sobre rapidité, auxquelles vient se mêler un clavier fluet et translucide. Cette flânerie mentale nous offre un ennui cosmique et élégant, trouvant dans la pochette de l’album sa parfaite figuration : celle d’un panorama romantique composé dans un minimalisme tout allemand.

Flying Saucer Attack - For Silence (Further, 1995)

Musiciens de l’ombre, les membres de Flying Saucer Attack ont traversé les années 90 avec une discrétion qui ne peut qu’aller avec leur musique ; entre les cendres du shoegaze et les bouillonnements apaisés du space rock, ce duo bristolien prendra le parti de la mélancolie et des cordes claires. Dès Further, leur deuxième album, le groupe revendique rondement des chansons d’une intimité bucolique et nocturne, voire d’une mysticité franchement naïve. For Silence, qui part et qui revient, commence par des intrépides accords de guitare limpide sur lesquels la brume vient lentement et finalement regagner ses droits. Le tout monte comme une trombe et s’apaise dans des larsens douillets et vespéraux, comme on s’imaginerait une fin de nuit pluvieuse en environnement portuaire.

Slowdive - Erik’s Song (Just For a Day, 1991)

On a si souvent lu des groupes shoegaze qu’ils étaient aériens et brumeux qu’il faudrait revenir un peu sur nos lieux communs. Il faut le dire, personne ne s’abandonnerait vraisemblablement à l’introspection sur le pont de You Made Me Realise, et encore personne ne soutiendrait la légèreté du vert chambard de Chapterhouse. Ne reste que Slowdive, dont on nous ventera les mérites du dernier Pygmalion  : sobre et décharné, léger et cynique. Mais qui se soucie vraiment de cet Erik’s Song, petite merveille enfermée au milieu de Just For a Day, aux nappes galantes et automnales ? Sonic Youth proposait trois ans auparavant leur Eric’s Trip, et malgré le rapport probablement nul entre ces deux titres, le contraste est producteur de sens : le prénom d’origine scandinave réclame chez Slowdive une orthographe plus authentique, annonçant un certain romantisme nordique et éternel.

Micheal Stearns - Lightplay (M’ocean, 1984)

Au même titre que Robert Rich et Steve Roach, Michael Stearns est devenu incontournable parmi les chantres de la musique ambient. A force d’expérimentations platoniques, ces vaillants personnages ont tracé la nomenclature d’un genre plus complexe et noble qu’on viendrait bien le faire croire ; l’ambient ne pourrait malheureusement se résumer à de l’odieuse musique d’ascenseur, mais véritablement à de la musique de sensations et d’univers, tant chacun de ces musiciens se sont risqués dans des imaginaires à chaque fois hétéroclites et hermétiques. L’album M’ocean revisite les souvenirs du soleil souverain et de la mer, tranquille ou angoissante - Lightplay évoque à merveille la frisson du soleil qui glace la peau. Ces montées grandiloquentes et compactes nous irradient d’un plaisir diffus et juvénile, et voilà que nous plongeons allègrement dans le bain lustral des souvenirs méridionaux.
P.S. : Lightplay démarre sur ce lien à 18:01.

This Mortal Coil - The Last Ray (It’ll End in Tears, 1984)

Avec la grâce, la gravité et l’anachronisme d’un maître tapissier, les musiciens du légendaire label 4AD nous ont offert une pléthore de textures sophistiquées et précieuses. This Mortal Coil, projet ponctuel mené par la savante voix d’Elizabeth Frazer est suffisamment connu pour It’ll End in Tears, album d’une magnifique splendeur romantique, dont on a si souvent cité ce Song of the Siren désormais un peu rebattu. Il serait temps de revenir sur The Last Ray et Barramundi qui sont les deux intermèdes de circonstance. Sur The Last Ray, le mélange de cordes limpides et des claviers patinés rend souvent comme le pincement mélancolique éprouvé face à une vieille photographie, d’un sépia passé et timidement dramatique. Sa batterie mécanique achève l’originalité d’une beauté se mouvant dans une gaze émouvante et poussiéreuse.

Benoit Poulîard - Nod (Lasted, 2010)

Une musique sans but musarde dans une brume délicieuse. Voilà comment nous pourrions qualifier ce son qui ne manquera pas d’évoquer à l’écoute une foule de sensations puériles (en général tout ce qui participe au réchaud douillet du corps - en excluant par contre la sage incontinence). Artisan multi-instrumentiste, c’est souvent avec ces pistes chaleureusement cotonneuses que Benoit Poulîard (dont le véritable nom - Thomas Maluch - ne laisse pas deviner sa nationalité américaine) structure ses albums, entrecoupant des chansons pop autrement plus conventionnelles mais non moins délicates. Cette piste en vaut cent autres, mais qui toutes prennent la forme d’une bulle sourde et moite.



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom


Cocteau Twins

Portrait Disques Chroniqués
Treasure Treasure

par Oh ! Deborah


5

Voir la fiche de Cocteau Twins