Chansons, textes
No Surprises

No Surprises

Radiohead

par Giom le 21 mars 2006

Bien plus qu’un morceau sur la B.O. de L’Auberge Espagnole !

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En plein cœur d’OK Computer et après le terrible Climbing Up The Wall se trouve une véritable berceuse où se mélangent rythmique acoustique douce et sons de xylophone apaisants : No Surprises, ou le morceau idéal pour les attentes téléphoniques ! Colin Greenwood, bassiste de Radiohead, affirma d’ailleurs : « L’idée était de commencer par effrayer tout le monde avec Climbing Up The Walls puis de les réconforter avec une chanson pop au refrain qui sonne comme une berceuse. » Belle idée mais à l’étude du texte, le réconfort n’est pas forcément garanti...

Le morceau est en tout cas si marquant et réussi qu’il fut repris par le cinéaste Cédric Klapisch pour la bande son de son film L’Auberge Espagnole en 2002. Souvenez-vous des passages où Romain Duris est triste dans sa chambre de Catalogne, un peu perdu dans sa nouvelle vie, regrettant encore un peu son Audrey Tautou préférée... (pas pour longtemps, certes) et bien la musique qui accompagne ces séquences n’est autre que ce titre de Radiohead, sorti en single en janvier 1998 et atteignant tout de même la deuxième place des charts britanniques.

Mais No Surprises est bien plus qu’une musique de film pour jeunes épris de libertés et d’aventures dans une Union Européenne élargie, c’est avant tout un texte extrêmement profond qui évoque le suicide, la dépression et le malaise de ne pas avoir de repères dans un monde matérialiste et sans valeurs crédibles auxquelles se raccrocher. Et oui, rien que ça !

Composé dès 1995 et expérimenté sur scène dès cette époque, le morceau s’appelait d’abord No Surprises Please. Il aurait été inspiré à Thom Yorke par le très beau Sad And Beautiful World des Américains de Sparklehorse que Yorke écoutait beaucoup à l’époque. La première version est encore plus terrible et les paroles encore plus crues et moins imagées. En tournée avec REM, le chanteur d’Oxford qui à cette époque sympathise avec son homologue Michael Stipe lui aurait joué en premier le titre provoquant une réaction enthousiaste du plus célèbre des chauves d’Athens (car il y en a sûrement plus d’un !).

Morceau triste donc qui commence par une comparaison implacable créant tout de suite une ambiance déprimante :

« A heart thats full up like a landfill »
Un cœur bien rempli comme une décharge d’ordure

Et c’est parti pour la description d’une vie vide (« A job that slowly kills you (...) you look so tired_nhappy » - on notera ici comme souvent chez Radiohead, un lien entre thème et écriture même du texte dans le livret puisque le vide existentiel est ici renforcé par un trou linguistique avec l’omission d’une lettre charnière), mais soudainement ranimée à la fin de la première partie par l’espoir que représente une révolution sociale, peut-être dans ces cas là synonyme de réveil personnel : « Bring down the government. They don’t. They don’t speak for us. »

Mais cet espoir est vite balayé par la suite du texte qui se caractérise par un changement énonciatif. Le « je » remplace ainsi le « tu » et les pensées du personnages se révèlent à l’auditeur. Pensées uniquement tournées vers la recherche de calme, de quiétude dont on comprend avec effroi que cette recherche ne peut trouver son aboutissement que dans la mort, unique monde sans « alarms » et sans « surprises ». L’invocation « no alarms and no surpises » est alors répétée par Yorke de nombreuses fois, comme une triste litanie, comme pour donner corps à son propos, suivie par un « silent » lourd de sens. On comprend alors que le dernier combat, le dernier « mal de ventre » (« this is my final fit. My final bellyache. ») du personnage sera de franchir le pas qui l’amènera vers son monde sans alarme. Le « please » final, susurré par Thom Yorke est déchirant, ponctum du texte qui lui enlève tout espoir et laisse la musique douce achever un morceau extrêmement remuant (psychologiquement, je veux dire).

La voix de Thom Yorke, comme souvent dans les morceaux de la période OK Computer, porte une charge émotionnelle très importante accompagnant le texte et luttant avec le personnage en contraste avec une musique douce et calme, elle plutôt symbolique d’un monde parfait, un monde mélodique, un monde pop... Ce titre, derrière ses potentialités de tube, est donc construit sur une opposition créatrice d’une tension interne très forte et il est encore plus terrible dans cette optique de voir que le xylophone (où pour être précis le glockenspiel), qui avait commencé le morceau, survit au chant, symbolisant d’une certaine façon la pérennité de la structure bien huilée sur l’individu rouillé. Les paroles de Yorke à propos de sa voix sur ce morceau prennent alors tout leur sens : « Pour No Surpises, j’ai essayé de créer la voix de quelqu’un qui tente à tout pris de rester sur pied, mais, finalement, ne peut pas. »

Sinon constat terrible pour l’auditeur, après s’être penché sur un tel texte, impossible à nouveau de chanter cette chanson sous la douche d’un air guilleret et innocent. C’était pourtant le titre du groupe qui s’y prêtait le mieux, « une chanson pop au refrain qui sonne comme une berceuse... » comme dirait l’autre !



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